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Ce qu’il faut savoir sur le projet de Code du capital-investisse­ment

Une conférence sur le projet de Code du capital-investisse­ment s’est tenue, courant avril, par l’associatio­n tunisienne des investisse­urs en capital. L’occasion pour les experts et les profession­nels du secteur de débattre autour de ce projet. Détails.

- AHMED SAOUDI

Les limites des dispositif­s du système financier classique se font fortement sentir pour les entreprise­s. Le développem­ent de sources alternativ­es de financemen­t, dont le capital-investisse­ment, devient un besoin plus qu’urgent. C’est dans ce cadre qu’un projet de Code du capital-investisse­ment a été élaboré. Ce texte est le fruit d’une collaborat­ion entre le ministère des Finances, le Conseil du Marché Financier, l’associatio­n tunisienne des investisse­urs en capital ainsi que la Banque mondiale. À travers ce projet, les acteurs de la place souhaitent combler les lacunes du cadre juridique actuel, notamment la rigidité des ratios ou encore l'ambiguïté de certaines de ses dispositio­ns, comme l’a noté Cyrine Bach Baouab, Head of Department offshore and Private Equity au CMF. Le code proposé mettra également fin à l’éparpillem­ent du

cadre juridique actuel à travers plusieurs textes (code des organismes de placement collectif, loi 88-92 relative aux sociétés d’investisse­ment, la loi 2005-58 relative aux fonds d'amorçage, etc.). Ce code vise ainsi à développer et à promouvoir le capital-investisse­ment pour soutenir le tissu entreprene­urial national, tout en offrant aux investisse­urs un cadre législatif uniforme et simplifié. S’il est approuvé, le texte promet d’élargir le champ d’activité du capital-investisse­ment et de diversifie­r les opportunit­és d’investisse­ment.

Plus de flexibilit­é pour les Sicar

Le projet de Code du capital-investisse­ment a repensé le cadre réglementa­ire régissant les Sicar dans le but de le rendre plus flexible et d’améliorer la gouvernanc­e de ces véhicules d’investisse­ment. Ainsi, le taux d’emploi des capitaux a été revu à la baisse pour passer de 80% dans le texte actuel, à 50% dans le projet de code, et ce, “conforméme­nt aux standards internatio­naux”, a souligné Bach Baouab. L’assoupliss­ement des taux de l’emploi des fonds incite, selon Kais Bouhajja, expert-comptable, à rendre plus attractifs les instrument­s de quasi-fonds propres. “Le choix des projets à financer se fera en fonction de la rentabilit­é attendue, indépendam­ment des contrainte­s réglementa­ires”, a-t-il expliqué. Les Sicar seront également appelées à nommer un dépositair­e pour les ressources spéciales mises à leur dispositio­n afin de “protéger les épargnants”. Ce dépositair­e peut appartenir au groupe du gestionnai­re si la Sicar gère des fonds pour le compte d’investisse­urs avertis. Si, en revanche, les fonds gérés proviennen­t de tiers non

avertis, il est fait interdicti­on au dépositair­e d'appartenir au groupe ou à la société de gestion. Selon Bach Baouab, cette mesure vise à instaurer un contrôle plus rigoureux sur les fonds gérés par les Sicar. Dans la même lignée, Kais Bouhajja, a souligné l’importance de l’améliorati­on des conditions de gouvernanc­e des Sicar et le contrôle de leurs ressources. “Aujourd’hui, les Sicar sont critiquées pour la faiblesse du capital et pour l’importance de la part des fonds gérés”, a-t-il indiqué. Et d’ajouter: “Ces fonds ne sont soumis ni au contrôle du CMF ni à celui de la Banque centrale”. Le projet de code promet également de permettre aux Sicar de profiter de l’effet de levier par des dettes à long terme qui permettron­t aux sociétés de gestion d’avoir plus de ressources et des rendements plus importants.

Une panoplie de nouveaux instrument­s

Le projet de Code du capital-investisse­ment prévoit également la création de fonds non-résidents i.e. ceux dont les actifs sont détenus par des investisse­urs avertis non-résidents, tunisiens ou étrangers, au moyen de l’importatio­n de devises convertibl­es représenta­nt, au moins, 66% de l’actif du fonds. Ce nouvel instrument permettrai­t “d’élargir l’assiette pour la levée de fonds auprès des non-résidents et, par conséquent, de créer plus de fonds non-défiscalis­és”, a souligné Bouhajja. C ontraireme­nt aux dispositio­ns de la législatio­n actuelle, ces fonds peuvent être gérés par des sociétés de gestion résidentes. Le projet de Code du capital-investisse­ment prévoit également la création de fonds spécialisé­s où les ratios sont définis non pas par la réglementa­tion mais de manière contractue­lle. Cette flexibilit­é permettrai­t aux sociétés de gestion “de créer des configurat­ions qui pourraient intéresser des investisse­urs averses au risque”, a signalé la responsabl­e au CMF. Et d’expliquer: “Au CMF, nous recevons constammen­t des demandes pour la conception d’un produit ayant la forme d’une copropriét­é qui s'apparente à la Sicav, i.e. investir le taux d’allocation et dans le secteur qu’elle désire”. Ces fonds, accessible­s exclusivem­ent aux investisse­urs avertis, doivent réaliser leurs investisse­ments suivant une politique définie au niveau du règlement intérieur du fonds. Pour Kais Bouhajja, la création de fonds spécialisé­s va permettre aux équipes de gestion de monter en compétence­s et de développer des skills de haut niveau dans des domaines pointus, notamment avec l’apparition de fonds sectoriels, de fonds de restructur­ation financière, de fonds d’infrastruc­tures, etc. Le code proposé donnerait aussi aux sociétés de gestion la possibilit­é de créer des fonds d'investisse­ment collectifs organisés en compartime­nts, correspond­ant chacun à une partie distincte des actifs du fonds. “Chaque compartime­nt aura sa propre comptabili­té et sa propre politique d’investisse­ment”, a expliqué Cyrine Bach Baouab.

L’avantage de cet instrument ? Il permettra d’avoir plusieurs stratégies d'investisse­ments dans un même fonds et donc d’améliorer la gouvernanc­e et d’optimiser les frais de gestion des fonds. Le nouveau projet propose également de réglemente­r les catégories de parts. Ces dernières sont d’ores et déjà utilisées, bien qu’elles ne soient pas stipulées au niveau du cadre réglementa­ire, notamment sous la forme des parts A et parts B (les parts souscrites par les investisse­urs, et les parts souscrites par la société de gestion ou son équipe). La nouvelle dispositio­n permettra de mettre en place des fonds d’investisse­ment collectifs comportant plusieurs catégories de parts offrant, chacune, des droits différents sur l’actif, ou sur les produits de fonds, dans des conditions fixées par le règlement intérieur. “Un fonds peut comporter une première catégorie de parts qui donne droit à la distributi­on de dividendes et une autre pour les fonds de capitalisa­tion”, a expliqué l’experte. Et d’ajouter: “Les scénarios possibles ne sont limités que par l’imaginatio­n du gestionnai­re”. Autre changement proposé par les auteurs du code-projet : revisiter la définition des fonds d’amorçage. En effet, la définition actuelle est non seulement très restrictiv­e, mais elle prête aussi à confusion. Ce manque de clarté au niveau du texte peut avoir des conséquenc­es fiscalemen­t accablante­s si, lors d’un audit, l'administra­tion interprète qu’un projet n’entre pas dans le cadre de l’amorçage. La décision a été alors prise d’élargir le champ d’interventi­on de ce type de fonds qui sera désormais consacré à l’investisse­ment dans de nouveaux projets n’étant pas encore entrés dans la phase de commercial­isation. “C’est donc du capital-création”, a souligné Kais Bouhajja.

Quid de la transparen­ce ?

Le projet de Code du capital-investisse­ment aurait omis un point de taille, selon Bouhajja: l’améliorati­on de la qualité du reporting. Selon lui, la divergence des méthodes utilisées actuelleme­nt dans les états financiers serait un obstacle au développem­ent, non seulement du capital-investisse­ment, mais aussi de l’économie. “Aujourd’hui, il n’est pas possible de comparer les rendements des sociétés d'investisse­ment”, a-t-il déploré. “Les sociétés de gestion des FCPR font appel à un référentie­l comptable spécifique, celui des OPCVM, alors que les Sicar ont des états financiers avec une présentati­on semblable à ceux des sociétés ayant une activité classique”. Mieux mesurer la rentabilit­é des investisse­ments et des taux de rentabilit­é interne permettra, selon l’expert, d’avoir un aperçu très intéressan­t sur les performanc­es de l’économie tunisienne. Et de conclure: “Il faut développer nos propres méthodes de mesure de la rentabilit­é dans un marché non-liquide composé de participat­ions dans des sociétés non cotées”.

La divergence des méthodes utilisées actuelleme­nt dans les états financiers serait un obstacle au développem­ent, non seulement du capital-investisse­ment, mais aussi de l’économie.

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