La méthode Abdelwaheb Ben Ayed
“Être visionnaire n’est pas à la portée de tous. Cela révèle une âme, un être qui n’est pas limité à ses sens.” — Elizabeth Gaskell
Son entourage professionel en parle
D’un charisme inégalable, feu Abdelwaheb Ben Ayed avait le génie naturel de ne pas laisser indifférents ceux qui le côtoient. Un entrepreneur, un manager ayant instauré ce que les gens du monde business appelle «l’école Poulina». Certains de ceux qui l’ont connu dans leur parcours professionnel témoignent.
Il a mené à sa façon son combat contre la maladie avec beaucoup de courage et de détermination. La mort a fini par l’emporter pour un monde meilleur. Abdelwaheb Ben Ayed le fondateur du groupe PGH, qu’il a su hisser sur les fonts baptismaux. Cet ingénieur agronome a très vite compris que sa vocation n’était pas dans la fonction publique. A la fin des années 60, sans que personne ne l’imaginait, il a pu détecter que le poulet allait s’inviter dans l’assiette du Tunisien. Il s’y est lancé à la surprise générale. Ce n’était que le début d’une saga industrielle qui a fait de Poulina la mère nourricière du pays. Il a vite entamé une diversification verticale et ensuite horizontale. Il ne ratait aucune opportunité pour compresser un coût ou mieux servir un client.
Un visionnaire, comme il y en a peu
« Il avait une sorte de charisme, une autorité naturelle qui laissait entrevoir une forte détermination », lance d’emblée Pierre Bérégovoy, DG de L’UBCI et avec qu’il entretenait une relation amicale. Indéniablement, Abdelwahab Ben Ayed avait cette intuition qui lui permettait d’anticiper les tendances et les mouvances. « Lors des réunions avec Chakib Nouira, président du conseil stratégique de L’IACE de l’époque, concernant la mise en place de la stratégie de L'IACE 2025, Si Abdelwaheb était d’un grand apport. C’est un véritable visionnaire, développeur. Il apportait également des solutions intéressantes sur la manière de s’y organiser », nous révèle Majdi Hassen, directeur exécutif de L’IACE. Ce n’est pas pour rien qu’il était précurseur dans plusieurs domaines de l’agroalimentaire au cloud en passant par les énergies renouvelables. Cet entrepreneur avait un sens aigu des affaires, mais ne se jetait pas à l’aveuglette. « C’est un véritable Entrepreneur qui a le goût du risque, autrement il ne serait pas arrivé là où il était, mais ses prises de risque sont réfléchies et calculées. C'est le client corporate idéal pour un banquier », nous confie Pierre Bérégovoy. Ce sens de la mesure provient certainement de son sens et de son aptitude à vite interpréter les chiffres. Hatem Meziou PDG de Satem, avec qui il était associé dans une société qui assurait une chaîne de distribution des parfums nous confie qu'il était très précis avec les chiffres. « Il n'acceptait pas les approximations. Dans les réunions, il était le premier à découvrir les dysfonctionnements. Il demandait tout le temps des précisions et avait le sens de l'exactitude », précise-t-il. D’ailleurs, il se souvient d’une réunion au cours de laquelle un collaborateur présentait le business plan pour le lancement d’un entrepôt frigorifique. A la fin, Abdelwaheb Ben Ayed feuilletant le document qu’il avait en main lui lance qu’il y a un zéro qui manquait. Le collaborateur si sûr de lui fait mine d’argumenter. Une année plus tard,, il s’avère qu’il avait raison :
le local s’est révélé trop étroit pour satisfaire la demande. Il fallait multiplier par 10 le volume et la capacité de stockage. Sans contribuer à l’étude il a pu anticiper le vrai potentiel de la demande.
La gouvernance est le maitremot
Il avait cette intelligence de saisir l’opportunité et d’anticiper la demande. Mais, il savait également mener à bon port ses projets. Abdelawaheb Ben Ayed s’est forgé sa propre doctrine du management. Des best practices qu’on enseignerait dans les écoles de commerce les plus prestigieuses. Il a tout mis en oeuvre pour préparer son départ, reconnaît Pierre Bérégovoy. Et de préciser « Il allait chercher des compétences et faisait toujours la distinction entre l'actionnaire, le propriétaire et ceux qui sont dans l’exécutif parce qu'il faisait en sorte que cela puisse continuer après lui ». Majdi Hassen qui a assisté, à plusieurs reprises, aux réunions du mercredi de Poulina, une sorte de meeting des directeurs où ces derniers se partagent l’information et sont évalués par leurs pairs, a trouvé que c’est une démarche qui renforce considérablement la culture d’entreprise et l’adhésion des collaborateurs. Dans sa manière de gérer les équipes et les hommes, aux dires de Majdi Hassen, il accordait beaucoup d’importance à la culture et à l’ouverture d’esprit. Il disait que les gens qui en étaient dépourvus ne pouvaient pas développer une entreprise. Avant d’ajouter qu’il faisait toujours attention à ce qu'il n'y ait pas d'effet de groupe ou de régionalisme dans les équipes. S’il est un élément, un vrai marqueur du management de Abdelwaheb Ben Ayed, c’est son attachement au concept de méritocratie. Arriver à dire aux Tunisiens, à la fois Arabes et Méditerranéens, la vérité directement mais avec beaucoup de respect et de bienveillance, est tout un art qu’il maniait à la perfection », révèle-t-il. N’étaient promus à des postes de responsabilité que les gens qui le méritaient réellement, indépendamment de tous les autres facteurs. Il arrivait à dissocier son côté humain et affectif de la gestion de l’entreprise.
Le culte du process
A vrai dire, s’il était arrivé à instaurer cette méritocratie c’est en grande partie grâce à la rigueur du système d’évaluation qu’il a mis en place. Hatem Meziou n’hésite pas à dire que le système d'information qu'il avait mis en place dans son groupe était tellement performant qu’il était digne d'une multinationale. Il l'avait créé par ses propres équipes. Ce qui rendait possible une amélioration continuelle en fonction des changements de circonstances. Et de préciser : « Ce système évalue le positionnement du groupe par rapport aux concurrents pour tous les produits et services qu’il commercialise. Dans son évaluation des ressources humaines, il va jusqu’à mesurer même la charge d’électricité par collaborateur ». Majdi Hassen abonde dans le même sens signifiant que pour lui, les responsables sont tenus de mettre en place des systèmes. C'est le système qui doit fonctionner et mener à la décision. La
contribution serait de changer le système au cas où il y aurait des éléments qui ont changé. Par exemple, pour investir dans un projet, il faut passer par plusieurs étapes. Tout doit être organisé et schématisé. Tout doit être systémique ». Un vrai culte du process et un refus de l’arbitraire, du subjectif. Sur cet aspect le CEO de L’IACE nous confie qu’il en a été très inspiré : « Pour moi c’est une vrai clef de succès d’un manager », nous lance-t-il.
Une éthique développée
J’ai été impressionné par son sens des valeurs et du respect des autres, spécifie Hatem Meziou. « C’était au moment de décider de la liquidation de la société dans laquelle nous étions associés. Les chiffres présentés par le directeur général étaient très loin de la réalité. La troisième année, alors même que la décision de Si Abdelwaheb était déjà prise depuis longtemps. Et après discussion, il nous a informés que le mieux était de ne pas continuer dans ce projet. Et qu'il ne voyait pas le bout du tunnel. Il a su arrêter l'hémorragie au moment opportun. La liquidation s’est faite très proprement dans la plus grande transparence. Il était très loyal et respectueux vis-à-vis de ses associés autant que de ses futurs acquéreurs ».
Une générosité, un sens du partage
« C’était quelqu'un qui ne retenait pas l'information, il la partageait. Il donnait des conseils à ceux qui en avaient besoin. Et ceci d'une manière très naturelle », disait avec beaucoup d’émotion Hatem Meziou se rappelant l’épisode où il est allé lui demander conseil lorsqu’il voulait investir dans l’agriculture. Et d’ajouter : « Il était parmi les rares d’entre les généreux, qui était disponible et voulait que tout le monde réussisse ». Les trois personnes que nous avons interrogées n’ont de cesse d’affirmer combien il avait le sens du partage de l’information et du savoir lors de leurs échanges, sans parler de sa répartie. Hatem Meziou se rappelle d’une AGO où un petit actionnaire s’était dressé avec beaucoup de véhémence et s’en était pris à la direction en l’attaquant d’une manière très frontale pour à la fin menacer tout haut qu’il vendrait toutes les actions Poulina. « Gardez-en au moins une Monsieur, pour qu’on puisse se revoir l’année prochaine », lui lance-t-il ! C omme pour lui signifier tout le bien qu’il pensait de la critique.