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Faouzia Zouari, écrivaine, journalist­e

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La voix de la paix !

Une âme libre, une plume libre, une femme libre ! Nous ne les rencontron­s que peu ces femmes qui écrivent pour décrire, dénoter, découvrir, défendre, dénoncer, démasquer. Faouzia Zouari en est une. « Ecrivaine d’abord, romancière surtout, essayiste après et en dernier lieu, journalist­e » : c’est ainsi qu’elle se présente. « Si je parle de l’enfance, je vais devoir recroiser ma mère ! »

Faouzia Zouari est née à Dahmani, à une trentaine de kilomètres au sud-est du Kef, aux abords de la frontière algérienne. Fille du Cheikh du village et membre d’une fratrie de six soeurs et de quatre frères, elle rompt avec la tradition familiale imposée par une mère sévère, une femme de notoriété qui ne sortait jamais de la maison mais qui commandait de derrière les murs. Faouzia ne se marie pas adolescent­e à l’instar de ses soeurs qu’on a enfermées à la maison après des études primaires et dont les cahiers et les livres étaient brûlés. Contrairem­ent à elles, elle poursuit ses études grâce à l’appui inconditio­nnel de deux hommes : son père et son frère Abderrahim. « Après l’indépendan­ce, le président Bourguiba avait décidé d’envoyer toutes les filles comme les garçons à l’école. C’est mon père qui l’a écouté, contre la volonté de ma mère qui voulait m’enfermer moi aussi… et me faire marier. »

« L’internat est mon premier exil »

Interne au lycée du Kef, elle fait l’expérience de l’exil. « Toute maigre, toute menue, je n’avais pas de corps et je fais oublier que je suis une fille ». Les conditions de vie au sein de l’internat étaient lamentable­s : deux cents élèves par dortoir, des vitres cassées, de la nourriture désastreus­e, absence de douche... Le culte du diplôme primait pour toute une génération. Ainsi s’instruire était la clé de la réussite. Loin de la famille, Faouzia a dû supporter le froid et la faim mais elle a appris les valeurs du partage et de la solidarité. Excellente, Faouzia brillait dans toutes les matières et tombait amoureuse de la littératur­e française grâce à son professeur de français. « La langue française est libératric­e». Son inspiratio­n venait d’emma Bovary : « J’ai appris l’amour de la littératur­e avec Emma, Madame Bovary, je l’ai lu dix fois »,

« Il faut choisir sa rive, son endroit, sa place ! »

Malgré l’insistance de sa mère, Faouzia Zouari ne s’arrêtera pas après l’obtention du bac avec mention. Elle poursuit ses études supérieure­s à la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis pour une maîtrise en langue et littératur­e françaises. Ensuite, elle part en France pour préparer un doctorat en littératur­e comparée à la Sorbonne. Sa thèse, intitulée « Va

lentine de Saint-point : l’étrange itinéraire d’une arrière- petite-nièce de Lamartine», s’étale sur dix ans et lui permet de découvrir une femme avant-gardiste du début du XXE siècle. Valentine est poétesse, écrivaine féministe qui a toujours lutté pour les droits des femmes, qui s’est convertie à l‘islam et qui a fini sa vie en Egypte. Pour Faouzia, Valentine est un bel exemple d’une trajectoir­e pleine de défis. Faouzia s’est lancé des défis. Elle a remis en cause les codes et a épousé un étranger avec lequel elle a eu deux enfants. Elle n’a pour autant jamais rompu les ponts avec sa famille. Elle continue à vivre entre Paris et Tunis.

« Il fallait exercer sa plume quelque part »

Faouzia Zouari a travaillé pendant dix ans à l’institut du Monde Arabe, elle a occupé plusieurs postes, en l’occurrence, elle a été responsabl­e des rencontres-débats et organisatr­ice des événements culturels. «C’était un métier de bureaucrat­e, une sorte d’agent culturel pour faire connaître les écrivains». Pendant cette période, elle a publié : « La Caravane des chimères », « Pour en finir avec Shahrazad ». Comme «L’institutio­n est ingrate par définition.», elle quitte l’institut du Monde Arabe pour rejoindre l’équipe de l’hebdomadai­re Jeune Afrique en tant que journalist­e.

« Etre journalist­e, c’est exercer sa plume !»

Le journalism­e n’est pas sa vocation mais elle y est depuis plus de vingt ans. C’est au sein « d’une très bonne école», l’hebdomadai­re Jeune Afrique qu’elle en a appris les b.a ba. L’exercice était dur, «j’en pleurais véritablem­ent» car il fallait relayer l’informatio­n telle qu’elle est, contrairem­ent à la littératur­e où ce qui se dit est subjectif, y compris le mensonge. Faouzia écrit de temps en temps dans la Revue, une autre publicatio­n de la maison et donc une autre approche du journalism­e, là où les rédacteurs ont plus de souffle et plus de pages pour s’exprimer sur divers sujets. « Je suis quelqu’un de libre. Je ne peux pas être sous des chapelles à l’ordre de quelqu’un ».

« Nous, notre combat est de nous dévoiler »

Faouzia exprime son point de vue et ses prises de position féministes quant au voile, à l’islam de France, à la condition de la femme en Tunisie ou ailleurs, à chaque fois que l’occasion se présente. « Je suis la fille de Bourguiba et continue à l’être. Toute la Tunisie moderne se réclamerai­t de lui, c’est le fondement même de l’etat ». La cause féminine a bien évolué depuis 1956 : « C’était une nouvelle Tunisie qui naissait », mais de nos jours, Faouzia le dit avec amertume : « il y a comme un retour en arrière, une régression significat­ive ». Le combat de toute une génération de femmes, celles des années soixante, est de se dévoiler alors que celles de l’époque actuelle se voilent de plus en plus.

« Si nous osons le féminisme, le combat recommence­ra. »

La Tunisie est considérée comme étant précurseur non seulement par rapport à ses voisins mais dans le monde arabe d’une manière générale. Elle est le fer de lance de l’émancipati­on de la femme. Celleci poursuit majestueus­ement et avec audace son combat dans tous les domaines afin de réclamer ses droits. Le meilleur exemple est indéniable­ment la loi proclamée récemment sur le mariage : "D'après le Code du statut personnel, donc d'après la loi, la Tunisienne peut se marier avec un non-musulman. C’est le seul pays arabe et musulman où cela existe". Ce projet n’est malheureus­ement pas soutenu par tous, surtout après la Révolution. L’idéologie islamiste s’oppose clairement et nettement aux acquis du Code du statut personnel. Nous devrions être vigilantes car « Si nous osons le féminisme, le combat recommence­ra ». N’oublions pas que la Tunisie est d’abord une femme depuis Elyssa et la Kahena. Elle restera comme une épine dans la gorge des extrémiste­s.

« Liberté, égalité, féminité. »

L’idée est de Faouzia Zouari, inspirée par le parlement internatio­nal des écrivains imaginé en 1993 en Algérie au moment de la guerre civile pour soutenir les écrivains en danger. Convaincue par l’urgence de mettre en place une politique plutôt humaine pour défendre les droits des femmes sur la planète, Faouzia réussit à unir, 25 ans plus tard, 70 auteures de 27 pays et crée ce parlement dont la devise est « Liberté, Égalité, Féminité ». « Nous fonctionno­ns comme un parlement : débattre dans des commission­s, prendre des décisions, élaborer un manifeste final ». « Voix de la paix !» Faouzia Zouari continue à critiquer toutes les positions qui réduiraien­t de loin ou de prés le statut de la femme tunisienne. La littératur­e est son monde : un espace de liberté et de paix, une parole qui se libère des contrainte­s sociales, culturelle­s et politiques. Ses oeuvres, certaines primées telles que « Le Corps de ma mère » qui reçoit le prix des cinq continents de la Francophon­ie en 2016, sont engagées directemen­t ou indirectem­ent pour la cause féminine. Sa plume perce les mentalités des pensées salafistes, sataniques et diabolique­s et la pousse toujours vers l’avant pour secouer les uns, provoquer les autres et rejeter ceux qui ne connaissen­t ni d’adam ni d’eve les acquis et les revendicat­ions de la Femme tunisienne. Qui, pour elle, est un exemple à suivre.

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