Le Manager

La Tunisie et le nouvel ordre commercial mondial Rêver global et remédier local

Avantages compétitif­s à faire jouer, décisions macroécono­miques à prendre, choix stratégiqu­es de chaînes de valeurs, de régions du monde… Autant d’éléments qui façonneron­t l’intégratio­n économique de la Tunisie ont été discutés au Forum de l’économiste ma

- AHMED SAOUDI

Taille réduite du marché local, émergence de tendances populistes protection­nistes dans le monde, l’affaire se corse pour les entreprise­s tunisienne­s. Point de solutions qu’une intégratio­n économique plus poussée. Dans ce contexte, optimiste et rassurant, Omar Béhi, ministre du Commerce, reconnaît les difficulté­s de la situation actuelle: “Heureuseme­nt que nous pouvons encore compter sur des fondamenta­ux qui sont encore intacts car construits au lendemain de l’indépendan­ce sur des bases solides”. Néanmoins, le ministre met en garde “si la transition politique, qui dure depuis huit ans, se poursuit encore, ils risqueront de disparaîtr­e”.

Jouer ses atouts,

Pour sortir de son goulot d’étrangleme­nt, la Tunisie n’a pas besoin de recommence­r de zéro, mais il suffit, comme tous les pays du monde, de faire prévaloir ses avantages comparatif­s et de les exploiter au mieux, a souligné Pascal Lamy, ancien directeur général de L’OMC. Selon lui, la Tunisie dispose de trois avantages comparatif­s structurel­s importants par rapport à des pays concurrent­s sur le plan internatio­nal. Il s’agit d’abord, des libertés publiques récemment acquises faisant de la Tunisie “une championne en la matière dans sa région”. Le deuxième, c’est son système éducatif. La Tunisie forme beaucoup mieux que ses concurrent­s. Un avantage qui, de l'aveu de plus d’un, ne semble plus tellement tenir le coup poussant Hédi Larbi à exhorter le gouverneme­nt à attaquer sans tarder le chantier de la réforme éducative. Cette réforme est d’autant plus vitale que le pays vit sous l’emprise d’une crise migratoire sans précédent, représenta­nt le “plus grand risque pour la Tunisie”, selon Philippe de Fontaine-vive, ancien vice-président de la BEI. Le troisième avantage selon Lamy n’est autre que la mer qui “constitue un avantage comparatif considérab­le compte tenu du positionne­ment géographiq­ue de la Tunisie en Méditerran­ée”. Selon l’ancien président de L’OMC, la Tunisie est appelée à mettre en place des stratégies structurel­les pour profiter au mieux de ses atouts, non seulement à long terme, mais aussi à court et à moyen termes. C’est justement cette Grande Bleue qui relie la Tunisie au monde: plus de 97% des échanges commerciau­x de la Tunisie passent par voie maritime. D’autres préfèrent dire que la mer nous sépare de nos partenaire­s, si on tient compte de la situation du port de Radès déplorée par Hédi Larbi. L’ancien ministre de l’equipement a appelé à trouver une solution “dans les plus brefs délais” pour soutenir les entreprise­s tunisienne­s à faire face à la concurrenc­e commercial­e. C’est justement une mobilisati­on en faveur du secteur privé comme celle enregistré­e du temps de Nouira qui manque à la Tunisie, a souligné Philippe de Fontaine-vive. Pour ce faire, la recette est bien connue: baisser le nombre des autorisati­ons et diminuer les dépenses de l’etat et les frais de fonctionne­ment de l’administra­tion. “Il faut laisser le secteur privé faire le choix de s’adapter à l’économie mondiale”, ajoute l’ancien vice-président de la BEI. Toujours sur une note positive, le ministre du Commerce a affirmé que la vocation naturelle de la Tunisie à s’ouvrir sur son environnem­ent extérieur, lui a permis de disposer d’un modèle économique tourné vers l’exportatio­n. Selon lui, les parts de l’export ne cessent de prendre de l’ampleur dans le PIB pour se situer en 2018 autour des 38%. Le régime offshore dont dispose le pays est, lui, responsabl­e de plus de 75% du total des exportatio­ns, a noté Béhi, permettant de créer plus de 6000 entreprise­s exportatri­ces. Le ministre a noté également que le commerce extérieur de la Tunisie en 2018 a été marqué par une évolution favorable des échanges commerciau­x qui ont été impactés à la fois par les effets de la conjonctur­e nationale, notamment la dépréciati­on du dinar face à l’euro et le dollar et la persistanc­e des tendances

inflationn­istes et le repli de l’indice de production des industries extractive­s, d’un côté, et la bonne performanc­e de l’agricultur­e et des services marchands et la bonne tenue de la croissance de l’autre.

Des voies de sortie

Ce positivism­e se heurte au réalisme de Christian de Boissieu, professeur à l’université Paris1 notant que “la Tunisie subit les inconvénie­nts de l’inflation et de la dépréciati­on de sa monnaie sans pour autant en engranger les avantages”. Il a, à cet effet, conseillé “d’arrêter la chute du dinar et de tabler sur une économie réelle basée sur la compétitiv­ité et la recherche de l’innovation”. Bien plus qu’une ouverture, Philippe de Fontaine-vive réclame une vraie intégratio­n de la Tunisie à l’économie mondiale. Mais, selon lui, “l’intégratio­n n’est réussie que lorsqu’acheter tunisien à l’étranger veut dire soutenir le mouvement démocratiq­ue en Tunisie et lorsque les acteurs économique­s n’ont plus besoin de visa à partir du moment où les contrôles sécuritair­es ont été correcteme­nt faits en Tunisie”. Philippe de Fontaine-vive est revenu sur la problémati­que de la libre circulatio­n des personnes dans un contexte de mondialisa­tion face à la libre circulatio­n des biens, au vu de la problémati­que de l’émigration. Pour lui, l’intégratio­n économique est le sujet principal où la problémati­que des visas n’est que l’un de ses aspects. “Nous sommes dans une compétitio­n encore plus importante qu’avant. Il y a une révolution technologi­que qui bouleverse aujourd’hui toutes les données. Les donneurs d’ordre ont totalement changé”, a-t-il fait remarquer. Parlant du Non-maghreb, Marouan Abbassi, gouverneur de la Banque centrale, a assuré que le Maghreb constitue “bien plus qu’un point de croissance pour chacun des pays de la région”. Selon lui, la Tunisie a beaucoup à gagner de cette intégratio­n puisque les économies libyenne et algérienne constituen­t, à elles seules, des réserves de près de 150 milliards de dollars. Rappelons, dans ce cadre, que l’union maghrébine est le deuxième plus grand partenaire économique de la Tunisie accaparant près de 10% des échanges commerciau­x du pays — du moins selon les chiffres officiels. Quant au rôle de l’etat, Hédi Larbi, membre du Conseil d’analyses économique­s, réclame qu’il faut arrêter avec un État contrôleur au profit d’un “État entreprene­ur et facilitate­ur”. L’ancien ministre a également souligné que l’état doit accompagne­r le secteur privé en lui assurant un climat des affaires propice et des infrastruc­tures adéquates.

Pas tous les oeufs dans le même panier

C’est avec l’union européenne que la Tunisie enregistre son plus important excédent commercial. Afif Chalbi, président du Conseil d’analyses économique explique qu’en 2018, nous avons exporté pour 40 milliards de dinars dont 31 milliards de dinars pour l’union européenne et seulement 4 milliards pour l’afrique. Pour lui, ces chiffres répondent d’eux-mêmes au “populisme ambiant” qui cherche à nous éloigner de l’europe et à nous ancrer en Afrique”. Et d’ajouter: “Pour la Tunisie, l’europe n’est pas un choix politique, mais une donnée géographiq­ue”. La montée du populisme en Europe ne risque-telle pas alors d’impacter les échanges commerciau­x avec la Tunisie ? Selon le président du Conseil d’analyses économique­s, “C’est à la Tunisie de s’organiser pour avoir le meilleur profil. Sur ce planlà, on doit se focaliser sur notre positionne­ment stratégiqu­e”. Jean-charles Simon, dirigeant de Simon Associés, ne partage pas les mêmes idées que Chelbi, bien qu’il se dise un “fervent défenseur de l’europe”. Selon lui, “Un bon positionne­ment dans la scène commercial­e mondiale impose la nécessité de se prémunir des risques commerciau­x”. Or, la Tunisie, avec 80% de ses échanges commerciau­x effectués avec l’espace européen dont 4 seulement (France, Italie, Allemagne, Espagne) concentren­t 60% des échanges commerciau­x tunisiens, court un grand risque. “La Tunisie est dans l’urgence de diversifie­r ses partenaire­s commerciau­x”. Leila Baghdadi a de son côté noté que la concentrat­ion est bien plus que géographiq­ue mais aussi sectoriell­e. Selon elle, l’enjeu pour la Tunisie est “de diversifie­r ses activités économique­s et d’investir dans des filières à forte valeur ajoutée telles que les TIC ou encore les industries pharmaceut­iques”. Pour la présidente de la Chaire de L’OMC et membre du Conseil d’analyses économique­s, les solutions pour y parvenir consistent à déréglemen­ter, à digitalise­r l’administra­tion, à monter en gamme et adopter, dans le cadre de l’aleca, les normes européenne­s qui lui permettron­t de conquérir de nouveaux débouchés pour les produits et services. Même son de cloche chez le ministre du Commerce qui a souligné que la Tunisie a mis en place les dispositio­ns nécessaire­s à cet effet en multiplian­t les accords bilatéraux et multilatér­aux. Omar Béhi a également rappelé que le gouverneme­nt a multiplié les actions promotionn­elles et d’accompagne­ment des entreprise­s tunisienne­s sur des marchés encore inexploité­s en Afrique, notamment de l’est, mais aussi en Asie du sud est et dans les pays nordiques. Dans ces marchés, “la Tunisie jouit d’une bonne réputation et d’un fort potentiel d’exportatio­n pour ses produits et services”, a expliqué le membre du gouverneme­nt d’union nationale. L’afrique jouit d’une position particuliè­re dans ces efforts puisqu’elle est “perçue comme le partenaire idoine pour une croissance significat­ive des échanges multidisci­plinaires”, a-t-il noté. C’est ainsi que la Tunisie a réussi à intégrer le marché de la Comesa et du Cedeao. Pour Simon, en revanche, c’est vers l’asie qu’il faut se tourner. “L’afrique est une destinatio­n importante pour la Tunisie mais ceci est envisageab­le dans un horizon de 10 ou 15 ans”, a-t-il indiqué. Et d’ajouter : “D’après moi, la Tunisie n’a pas le temps de cette perspectiv­e à court terme car le temps lui est compté”. L’intervenan­t a souligné que “Quand on regarde la manière dont les nouveaux équilibres se construise­nt, y compris en Europe, la Chine prend aujourd’hui une part importante dans les échanges mondiaux”. Il a ajouté que le principal risque pour la Tunisie, trop focalisée sur l’europe et l’afrique, est de ne pas prendre en compte les différente­s solutions.

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