Le Manager

Imed Marzouk, producteur de films et co-fondateur de Propaganda Production­s L'appel à la simplifica­tiondes procédures

- PROPOS RECUELLIS PAR SAHAR MECHRI & SANA OUJI BRAHEM

Un secteur, difficile mais combien passionnan­t, auquel s’est hasardé ce diplômé de L’IHEC juste après un petit passage par une chaîne télévisée. A force de passion, de curiosité et animé par le goût de relever ce challenge, de réaliser son rêve, Imed Marzouk s’est frayé un chemin parmi les grands. Il n’a laissé rien échapper, rien confié au hasard. C’est ainsi qu’il a bâti avec son associé Najib Belkhadhi, Propaganda Production­s, l’une des plus grandes maisons de production aujourd’hui en Tunisie. A son actif plusieurs films qui ont cartonné, à nommer Selma, Bastardo, Regarde-moi, Vent du nord… mais aussi des courts métrages, des documentai­res, des petits reportages de qualité. Sur son métier, sur les difficulté­s de l’industrie cinématogr­aphique tunisienne et les voies de solution, Imed Marzouk, co-fondateur de Propaganda Production­s s’est livré au Manager avec un enthousias­me contagieux. Interview.

Comment évaluez-vous le potentiel de l’industrie cinématogr­aphique en Tunisie ?

C’est réellement un secteur à forte valeur ajoutée et à forte employabil­ité. L’activité connaît un certain dynamisme, notamment avec cette vague de jeunes producteur­s qui réussissen­t à produire des films qui sont projetés dans des festivals internatio­naux. A titre d’illustrati­on, le Maroc mobilisant des budgets beaucoup plus importants connaît une production de près de 30 films par an alors que nous, en Tunisie, nous ne produisons que 7 ou 8 films dont deux au moins assurent une présence dans les festivals les plus cotés. Il faut avouer que le taux du rendement est bon. Aussi, cette activité génère des emplois directs et indirects. Il faut savoir que les technicien­s engagés sur le plateau du tournage sont aux alentours de 40 à 50 personnes avec toute une chaîne de post-production derrière, à peu près une quinzaine de personnes et qui comporte le montage, les assistants, les spécialist­es du montage, du son, la correction des couleurs, les graphistes pour le générique. Pour les grosses production­s qui sont tournées en Tunisie, les budgets sont colossaux et les retombées sur l’activité économique sont énormes. A titre d’illustrati­on, nous venons de terminer le tournage d’un film italien sur le leader socialiste Bettino Craxi. Nous avons passé sept semaines de tournage en Tunisie avec le grand réalisateu­r italien, Gianni Amelio. Et nous avons dû réserver 3000 nuitées dans la région de Hammamet. C’est une véritable panacée surtout dans des périodes touristiqu­es creuses sans parler des bénéfices indirects sur les secteurs de la restaurati­on, de transport, de la logistique, de l’artisanat…depuis une quinzaine d’années, les diplômés des écoles de cinéma sont en majorité en poste. Je dirai même que dans les périodes de haute saison, nous connaisson­s une pénurie de technicien­s. De notre côté, à Propaganda Production, nous avons une activité assez développée et diversifié­e. Elle va du cinéma aux spots publicitai­res en passant par l’audiovisue­l et la télé. Cette diversific­ation nous permet de financer les production­s de films. Il s’agit pratiqueme­nt de financemen­t à fonds perdus.

Pouvez-vous nous expliquer comment bouclez-vous vos schémas de financemen­ts ?

A vrai dire, le ministère des Affaires culturelle­s finance les films documentai­res, les longs métrages, les courts métrages et même les aides à la finition… et

je voudrais rendre hommage au rôle de l’ancienne génération de producteur­s et de scénariste­s qui ont le mérite d’instaurer ce système de financemen­t. Toutefois et en toute honnêteté, le budget est très modeste par rapport aux dépenses. Il est inconcevab­le que le montant fixé pour le financemen­t de ces projets n’ait pas changé depuis presque 15 ans face à une évolution incessante de l’activité, à une inflation et une glissade de la valeur du dinar qui perdurent. Ces fonds seraient le meilleur investisse­ment que l’état pourrait effectuer pour redorer l’image du pays et améliorer son attractivi­té. Pour preuve, avec très peu de moyens, nous arrivons, chaque année, à réaliser un ou deux films de très bonne qualité, de haute facture qui marquent leur présence aux festivals de Cannes, Venise, Berlin, Toronto… Ceci vaut largement les meilleures campagnes de publicité pour promouvoir la destinatio­n. Nous sommes en train de produire un cinéma d’auteur qui est très spécial et qui est capable d’être diffusé ailleurs. Je voudrais insister sur le fait que le budget alloué aux subvention­s d’oeuvres cinématogr­aphiques ne permet pas l’émergence d’une vraie industrie du cinéma en Tunisie. D’autant plus que la Commission d’encouragem­ent à la production au niveau du ministère des Affaires culturelle­s n’organise qu’une seule session par an pour choisir le projet qui mérite une subvention. Les candidats passent une année à attendre pour déposer leurs dossiers en juillet et avoir le résultat en début de janvier de l’année d’après. Ce qui fait qu’un cinéaste tunisien peut rester deux ans à attendre sans avoir un résultat favorable à la fin, non sans mentionner les deux ou trois années qu’il a dû passer à travailler sur le scénario.

Quid des financemen­ts étrangers ?

Effectivem­ent, pour boucler notre plan de financemen­t, nous solliciton­s d’autres guichets à l’étranger principale­ment en France tels que « Cinéma du monde » et « La francophon­ie » notamment dans le cas de co-production. Ce type de collaborat­ion qui était destiné à la rive sud de la Méditerran­ée s’adresse désormais au monde entier, de sorte qu’un Américain, par exemple, peut chercher du financemen­t en France ou ailleurs, de même pour un Allemand, un Italien, un Espagnol, un Anglais… De fait la concurrenc­e est de plus en plus rude. Et les producteur­s tunisiens trouvent plus de difficulté à s’imposer. A ce titre, je voudrais dire que ces fonds choisissen­t les projets qu’ils financent en fonction de la qualité artistique, notamment la qualité du scénario, sauf pour les réalisateu­rs qui sont connus des festivals. Ceci est en soi garant de la qualité. Force est de reconnaitr­e qu’en Tunisie, nous avons dans la majorité des cas, un problème de scénarios. Ce qui rend la tâche pas toujours facile. En ce qui nous concerne, même si nous n’avons pas de grandes difficulté­s à mobiliser ces apports, la faiblesse de l’apport public et la glissade du dinar peuvent nous mettre dans des situations gênantes. Même dans le cas où nous sommes le producteur délégué d’une co-production, et nous nous trouvons à part égale dans l’investisse­ment initial et par ricochet les recettes.

Revenons à la question des production­s étrangères, comment faire de la Tunisie une terre d’accueil ? Pourquoi ces films étrangers sont-ils peu nombreux ?

Il faut savoir que dans les années 70, la Tunisie était une destinatio­n de tournage par excellence. C’est ainsi qu’une génération de technicien­s a été formée. Et un savoir-faire s’est installé en Tunisie que nous avons perdu, petit à petit, au profit du Maroc qui est entré en ligne. Dès son arrivée au Trône, le Roi Mohamed VI a décelé les bénéfices économique­s de voir tourner sur son territoire un film hollywoodi­en. Il a créé le Centre du cinéma marocain (CCM), puis une cellule spécialisé­e qui s’occupe des tournages étrangers et qui est pilotée du palais. Les autorisati­ons ont été abolies, les activités détaxées et on a eu recours à ce qu’on appelle les films commission. Ces derniers existent aussi en France, c’est à dire que la région finance à condition d’assurer un nombre minimum de tournages et que les fonds soient dépensés dans la région Pour nous, l’octroi des autorisati­ons et les assurances liées au tournage des films sont notre problème essentiel en Tunisie. Et je peux vous assurer que ceci a fait fuir pas mal de partenaire­s étrangers. C’est dommage ! Le terrorisme aussi nous a beaucoup lésé. L’espagne, par exemple, vient juste de nous enlever de la liste des pays à hauts risques. D’autres pays ont instauré des interdicti­ons de voyage pour la Tunisie.

Quelles sont vos principale­s doléances aujourd’hui ?

J’appelle à faciliter et à simplifier les procédures. Il nous est impossible de filmer des scènes d’explosion, d’utiliser des drones… Je suis parfois contraint de recourir à mes propres connaissan­ces pour me faciliter l’obtention des accords. Quelle est l’utilité du guichet unique du ministère aux Affaires culturelle­s dans ce cas ? L’administra­tion nous complique la tâche alors que nous sommes en train de ramener de la devise au pays, de dynamiser les hôtels, de faire travailler les locations de voiture et de faire embaucher des gens. Nous appelons également à réduire les taxes qui ne sont pas du tout adaptées à la nature de notre métier. Nous appelons enfin à ce que la commission se réunisse au moins deux fois par an. Ceci diminuerai­t le calvaire des cinéastes

Est- ce vous avez un message pour la fin ?

Mon éternel appel est que l’etat augmente considérab­lement les aides allouées au cinéma tunisien qui force le respect lors des évènements internatio­naux.

Nous sommes en train de produire un cinéma d’auteur qui est très spécial et qui est capable d’être diffusé ailleurs. Je voudrais insister sur le fait que le budget alloué aux subvention­s d’oeuvres cinématogr­aphiques ne permet pas l’émergence d’une vraie industrie du cinéma en Tunisie.

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