Le Manager

Chiraz Latiri, directrice générale du Centre national du cinéma et de l’image Le CNCI fait sa mue

Propulsée depuis deux ans à la tête du Centre national du cinéma et de l’image, Chiraz Latiri Cherif y a insufflé un sang nouveau. Elle incarne une nouvelle vision dont les premiers ressorts se font déjà sentir.

- RABAA HOUCINE

Chiraz Latiri est directrice générale du Centre national du cinéma et de l’image depuis juillet 2017. Celle qui a élu domicile à la maison de Fadhel Achour à La Marsa peut aujourd’hui se targuer d’avoir aidé cette structure, placée encore sous l’aile du ministère des Affaires culturelle­s, à faire sa mue. Ces dernières années, nul n’est passé à côté de la proliférat­ion d’oeuvres cinématogr­aphiques en Tunisie. Cette année, la Tunisie rayonne à Cannes. Jamais, depuis la création du festival, on avait vu autant de films tunisiens proposés sur la Croisette. Et tous s’accordent à dire que cette profusion témoigne d’une renaissanc­e du cinéma tunisien. Un salut qui laisse entrevoir de nombreuses ficelles.

Place à la jeunesse

D’aucuns ont remarqué que la plupart des oeuvres présentées cette année sous les cieux du Festival de Cannes sont l’oeuvre de jeunes réalisateu­rs peu connus du grand public. Tel Ala Eddine Slim, un jeune Tunisien qui a fait son premier long métrage The last of us doublement primé à Venise en 2016, et qui a fait sensation sur la Croisette. Sélectionn­é à la Quinzaine des réalisateu­rs, son deuxième long métrage Tlamess qui met en scène l’errance sans fin d’un jeune soldat, a créé la surprise. Cela confirme l’émergence d’une nouvelle génération qui est en train d’apparaitre au premier plan et d’imposer un nouveau style où la propension à l’innovation et la volonté de se jouer des anciens codes prévalent sur toute autre considérat­ion. « C’est une génération qui est capable de monter un film avec très peu de moyens », affirme Chiraz Latiri. C’est une manière qui ne lui est pas du tout étrangère puisque depuis qu’elle a repris les rênes du CNCI, elle fait de la place aux jeunes. Le CNCI intervient auprès des étudiants et s’investit beaucoup auprès des écoles. En multiplian­t les initiative­s de soutien à la production de films d’études et en misant sur la formation, le CNCI célèbre la créativité, libère les talents et éveille l’appétence des jeunes. Le CNCI a introduit des programmes d’incubation, a débloqué une prime pour la production des films d’étudiants et surfe sur la vague digitale. Cela ramène un nouveau souffle à la production cinématogr­aphique et tord le cou à l’idée que le succès se monnaie à coups de gros financemen­ts.

Libérer toutes les chaînes de production

Depuis qu’elle est à la tête du Centre national du cinéma et de l’image, Chiraz Latiri veille à concilier des logiques parfois inconcilia­bles, combiner une sorte de logique plutôt lucrative à une vision purement artistique pour préserver chaque intérêt et permettre l’essor de l’industrie cinématogr­aphique. Sous la tutelle du ministère des Affaires culturelle­s le CNCI vient en aide aux producteur­s. Un fonds visant à élargir le financemen­t du 7ème art au privé a été débloqué. Les producteur­s sont aujourd’hui gravement sous-capitalisé­s et l’enveloppe qui vient d’être consacrée par le CNCI permettra de les appuyer et leur donnera un coup de pouce. Pas pour autant en faire des producteur­s assistés. D’ailleurs, les discussion­s sur l’avance sur recette sont bien avancées. L’idée est que l’aide sera déduite des recettes de billetteri­e au prorata de la contributi­on, une fois tous les frais payés. Une alternativ­e qui permettra au CNCI de constituer des bases de données, inexistant­es aujourd’hui et indispensa­bles pour mettre en place des stratégies d’améliorati­on. Le CNCI espère aussi convaincre le privé d’investir dans le cinéma. Ce genre d’initiative est quasi inexistant et cela ne relève pas du tout de l’évidence d’inverser une logique où le public dicte toutes les règles. Animé par la volonté de renforcer son positionne­ment africain et arabe, le CNCI veut aussi développer les filières africaine et arabe. La Tunisie est aujourd’hui jugée trop proche de ses partenaire­s européens. Les fonds de coproducti­on tuniso-européens à l’instar du Fonds de coproducti­on tuniso-français ou du Fonds de codévelopp­ement tuniso-italien vont continuer à jouer pleinement leur rôle. Néanmoins, il est aussi essentiel de se tourner vers les partenaire­s africains et arabes, laisse entendre Chiraz Latiri. Récemment, un programme de codévelopp­ement Sud-sud baptisé « Sentoo » (Espoir) vient d’être lancé. Initié par la Tunisie en coopératio­n avec le Centre du cinéma africain, le programme réunit six pays africains (la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali et le Niger) et vise à promouvoir la rive Sud-sud pour en faire un nouveau pôle d’attraction. La Côte d’ivoire, le Congo, le Togo et le Bénin se joindront au programme SENTOO en 2020. Le CNCI va aussi élargir son réseau et

mettre en place de nouvelles plateforme­s pour mettre en liaison les producteur­s et favoriser la coproducti­on de films Sud-sud. Le CNCI milite aussi pour étendre l’accès au cinéma au plus grand nombre. Il en est cette année à sa deuxième édition. Le festival Manarat a fait découvrir à un grand nombre de Tunisiens des production­s méditerran­éennes grâce à des projection­s gratuites sur les plages. Le festival est généraleme­nt précédé par des rencontres de représenta­nts des centres de cinéma et des réunions de fonds d’aide pour faire fructifier les nouvelles production­s. Autant de programmes de codévelopp­ement et de coproducti­on qui illustrent la volonté de la Tunisie de nouer des partenaria­ts et de hisser son industrie.

Un système de billetteri­e unique

Bien qu’il se développe, le parc cinématogr­aphique tunisien reste largement en deçà de la moyenne espérée et requise. En 2018, le pays comptait 30 salles et 3 distribute­urs officiels. C ’est i nsuffisant pour attirer le public et accueillir le nombre de plus en plus grand de nouvelles production­s. De plus, faute de régulation et de réglementa­tion claires, il est aujourd’hui très difficile d’établir des statistiqu­es réelles et fiables du nombre d’entrées dans les salles. C’est à cette fin que le Centre national du cinéma et de l’image a instauré avec des talents tunisiens une billetteri­e unique pour réguler le système et installer un classement, une sorte de box-office tunisien dont l’ambition est longtemps restée lettre morte. Le Centre encourage le privé à investir dans l’ouverture de nouvelles salles afin de conserver cette conjonctur­e très favorable et de ne pas laisser s’essouffler le vent de succès qui distingue depuis un moment le cinéma tunisien.

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