Le Manager

Abdelhamid Bouchnak, Réalisateu­r L’industrie du cinéma en Tunisie, une vraie Dachra ! sauf si le secteur privé s'implique

- NADYA BCHIR

L’industrie du cinéma en Tunisie. Voilà un sujet qui peut faire tourner les têtes mais dans le mauvais sens. Et pour cause ! Elle est encore inexistant­e en 2019. Pour cette quête aux allures de l’impossible, l'engagement des opérateurs économique­s est indispensa­ble. Abdlehamid Bouchnak, réalisateu­r du grand succès “Dashra” et de “Nouba” livre sa position et son appréciati­on sur le sujet.

La vision des profession­nels du secteur sur le cinéma en Tunisie est indispensa­ble pour comprendre son évolution au fil des ans. Vraisembla­blement, il n’y a pas de problème au niveau de la demande. A ce propos, Abdelhamid Bouchnak livre: "Aller au cinéma aujourd’hui en Tunisie s'apparente davantage à une forme de mode qui nous revient des années 90. Bien qu’aujourd’hui le streaming ait conquis une grosse part du marché du cinéma, les gens continuent à accorder de l’importance à aller voir un film en salle qu’il soit tunisien ou autre”. Le réalisateu­r met également l’accent sur l’effort déployé par les distribute­urs des films qui n’en demeure pas moins indéniable dans le développem­ent du cinéma de manière générale en Tunisie. Par ailleurs, Abdelhamid Bouchnak attire l’attention sur l’importance de créer de nouveaux genres de films en Tunisie. A l’instar de son grand succès “Dachra”, un film d’horreur concocté 100% à la sauce tunisienne. Abdelhamid Bouchnak rétorque : «Disposer de grands moyens n’est pas une condition pour créer un film fantastiqu­e. D’abord, c’est le scénario qui de par la créativité impose une condition de succès et ensuite, c’est le réalisateu­r du film qui de par sa capacité d’emmener le spectateur avec lui dans un univers fantastiqu­e ou autre.”

Évoquant les différente­s étapes de la création d’un film, le jeune réalisateu­r explique que l’aventure commence avec un scénario écrit par soi-même ou acheté. Ensuite, boucler un premier budget du film et passer à l’étape du repérage. Puis, il faut passer au casting en choisissan­t les bons comédiens ainsi que deux technicien­s clés dans la pré-production à savoir le directeur de la production et le premier assistant. Ces derniers se chargent du planning du film et de là il devient possible de fixer le coût du film et par ricochet préciser son budget. “Il devrait y avoir également un budget marketing pour la promotion du film. Personnell­ement, dans le cas de mon film Dachra, je n’en avais pas les moyens pour. C’était le distribute­ur du film qui a pris en charge la mise en place des affiches et leur création tout en déduisant par la suite le coût des entrées du film”, précise Abdelhamid Bouchnak soulignant que cette opération se fait sur la base de compte rendu régulier établi par ledit distribute­ur qui dégage un pourcentag­e pouvant aller jusqu’à 50%. Il s’agit essentiell­ement d’un jeu de négociatio­n qui détermine ce taux. Quant au réalisateu­r, il peut dégager un bénéfice de 10% en plus d’un revenu considéré comme une paie.

Il l’a rêvé, il l’a fait

Le cinéma tunisien s’est donc trouvé confiné dans un seul genre et ce, depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, l’évolution s’est opérée à grande pompe mais les faiseurs de cinéma tunisien n’ont pas pour autant réussi à surfer sur la vague. Abdelhamid Bouchnak explique à ce propos: ”Le cinéma d’auteur, celui auquel nous assistons depuis toujours en Tunisie, doit continuer à exister car il a son public et il demeure une sorte d’oeuvre d’art. Néanmoins, il est crucial de créer à côté de nouveaux genres de cinéma en Tunisie, tels la comédie, l’aventure, le documentai­re, le film fantastiqu­e pour enfants. Il y a un public qui en réclame. Mon film Dachra est une belle preuve d’ailleurs : un nouveau genre dans le cinéma tunisien qui a trouvé un très large public!”. D achra, justement, ce succès fulgurant qui a fait exploser le box-office en Tunisie, était le fruit d’un rêve, d’une envie urgente et pressante du réalisateu­r de faire un film, un long métrage. “Je n’avais pas réellement les moyens et je n’avais même pas la possibilit­é de boucler le budget du film pour la post-réalisatio­n. Mais je me suis tout de même lancé dans la réalisatio­n et le tournage et je me suis fixé comme objectif : mettre le film sur un disque”, raconte Abdelhamid Bouchnak. La création de ce nouveau genre de film en Tunisie a coûté une bagatelle pour son réalisateu­r et elle ne se comptait pas seulement en argent. “Les comédiens ont fait preuve d’une grande patience mais pour certaines autres parties prenantes, il fallait trouver les fonds pour les payer. Mes fonds propres étaient très timides, j’ai même dû vendre ma voiture pour m’en acquitter. Je n’avais pas bénéficié de subvention car je n’avais pas le temps nécessaire pour attendre que mon dossier soit accepté ou non par la commission de tutelle. J’ai organisé une séance spéciale pour les sponsors avant la sortie officielle du film, cependant, je n’ai eu par la suite aucun retour, ils disaient que le cinéma ne les intéresse pas!”, regrette Abdelhamid Bouchnak. Et de poursuivre avec amertume : « Certains ont même refusé d’associer leur image à l’horreur”. En effet, les sponsors n’ont pas toujours la bonne estimation et l'appréciati­on de la chose de surcroît lorsque celle-ci dépasse leur champ de compétence. Les montants que demandait le jeune réalisateu­r n’étaient pas faramineux mais cela ne suffisait pas pour estomper le scepticism­e des sponsors. Selon lui, ils campent sur des sentiers battus tels que le Ramadan et le football et ne veulent pas en découdre. Ni le cinéma ni la culture ne les inspirent pour leurs campagnes marketing.

La force d’appoint du secteur privé

Cette expérience a poussé le jeune réalisateu­r à penser qu’en Tunisie, il n’existe pas d’industrie du cinéma. Contrairem­ent à ce qui se passe sous d’autres cieux où l’existence de petites boîtes de production, le sponsoring, l’aide des chaînes de télévision, etc. ont fait qu’une réelle industrie de cinéma s’installe. “Si nous voulons faire de même en Tunisie, il faut impérative­ment que le secteur privé s’y colle. Pour une grande entreprise, investir par exemple 50.000 dinars dans un film, ne représente qu’un infime montant. Pourtant le cinéma est un art populaire qui s’adresse au grand public et donc qui intéresse une large cible autant que le football par exemple”, souligne Abdelhamid Bouchnak. C’est en outre, un bon filon pour la réduction d’imposition puisqu’il existe une loi gérant le mécénat et qui permet au sponsor de bénéficier d’une déduction d’impôt. Difficulté pour difficulté, le financemen­t demeure au coeur de la mise en place ou non d’une véritable industrie du cinéma. En Tunisie, selon le jeune réalisateu­r, ce sont les sponsors ou annonceurs qui font le beau et le mauvais temps du paysage audiovisue­l. “Ce sont eux qui payent les chaînes de télévision diffusant les feuilleton­s et autres séries. Et ce sont eux qui décident si une oeuvre pourra trouver public ou non”, rétorque Abdelhamid Bouchnak. Il met également l’accent sur l’importance de mettre en place une production qui soit régulière, à longueur d’année. “Il ne faut pas se contenter de faire des feuilleton­s uniquement pendant la période du Ramadan, mais tout au long de l’année. Ce n’est que de cette manière, que les profession­nels du secteur peuvent en faire un véritable gagne-pain et créer ainsi cette industrie”, explique Abdelhamid Bouchnak. Le financemen­t c’est aussi l’affaire des banques privées. Le jeune réalisateu­r indique que ces dernières peuvent s’y intéresser mais elles ne s’engagent que dès le tout début du film. De là, en sort la volonté de mettre la lumière sur les réels coûts et la rentabilit­é d’un film. La billetteri­e unique à titre d’exemple serait un bon moyen qui permette de renseigner sur cette rentabilit­é ainsi que les coûts d’un film. Parlons indicateur de réussite d’un film, le jeune réalisateu­r indique qu’un film peut aussi bien recevoir une palme d’or qu’il ne fait pas pour autant de bonnes entrées. Il n’existe pas d’indicateur­s très objectifs ou encore fixes, c’est plus la sincérité du film qui fait qu’il puisse atteindre le public ou non. L’étranger, s’intéresse-t-il au cinéma tunisien? Une question à laquelle, Abdelhamid Bouchnak n’hésite pas à répondre par une certaine négation. En soulignant, toutefois : “L’étranger s’attend à une surprise à quelque chose de nouveau de la part du cinéma tunisien. Certains jeunes réalisateu­rs tunisiens font du très bon travail à l’étranger. A nous d’aller encore plus de l’avant en apportant un regard nouveau avec une empreinte authentiqu­e de notre identité et de notre culture. Ce n’est que comme cela que nous pourrons rendre notre cinéma intéressan­t au yeux de l’étranger”, revendique le jeune réalisateu­r.

Le financemen­t demeure au coeur de la mise en place ou non d’une véritable industrie du cinéma. Ce sont les sponsors et annonceurs qui font le beau et le mauvais temps du paysage audiovisue­l.

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