Le Manager

Kais Zaied , cofondateu­r de Hakka Distributi­ons et exploitant du Ciné Mad'art « Je reste optimiste pour le cinéma en Tunisie ! »

- NADYA BCHIR

Bien que le cinéma fasse des rebonds et des pas d’avancement sous nos cieux, il n’en demeure pas moins que des manquement­s persistent. En grande ligne, la mise en place d’une industrie considérab­le du cinéma. Et c’est surtout une affaire de volonté aussi bien celle des autorités en place que des opérateurs économique­s privés. Kais Zaied, cofondateu­r de Hakka Distributi­ons et exploitant du Ciné Mad'art, évoque son parcours et sa vision de la chose cinématogr­aphique en Tunisie.

Kais Zaied, directeur associé de l’entreprise Cinephis, société d’exploitati­on de cinéma et directeur général de Hakka Distributi­on raconte : “Entre 2004 et 2010, j’ai réalisé quelques courts métrages et effectué un peu d'assistanat. Très rapidement, avec mes autres collègues, nous nous sommes rendu compte de l’absence et du manque de salles de cinéma où nos films, courts ou longs,

pourraient être projetés.” C’est alors, qu’un club de cinéma a vu le jour à la salle Alhambra et qui a permis à de jeunes pousses du cinéma de faire l’expérience de la programmat­ion et de l’exploitati­on. Le collectif des 5 amateurs avait alors pensé monter d’un cran et passer au statut de profession­nel en acquérant sa propre salle de cinéma. Un projet qui n’a pas eu de suivi et qui a plutôt vu la séparation du petit groupe vacant chacun à une autre occupation. “Néanmoins avec mon acolyte Amel Saadallah, nous avons gardé ce projet en vue et dès que nous avons fini nos études, nous nous sommes lancés dans la recherche d’un endroit qui pourrait devenir une salle de cinéma”, poursuit Kais Zaied. Et c’est en 2012, que le couple cinéphile finit par trouver sa perle rare en lieu de la salle El Madar, encouragé notamment par Raja Ben Ammar. Une salle de cinéma qui s’est donné pour vocation de projeter les films d’auteur, le cinéma indépendan­t, alternatif, etc. Des genres de film qui n’existaient quasiment pas en Tunisie. “Nous cherchions également à faire passer cet engouement et cette idée afin qu’elle puisse inspirer d’autres personnes qui pourraient justement calquer le modèle dans d’autres régions du pays”, ajoute Kais Zaied.

Jamais trop de salles

La contagion a opéré et d’autres salles ont ouvert leurs portes, le projet avait donc de beaux jours devant lui. Cependant, cela n’a pas tout à fait suffi pour résorber le manque existant. En parallèle, la production et la réalisatio­n de

nouveaux films faisaient de même défaut. “Les genres de films que nous voulions projeter n’existaient pas en quantité, et c’est de là que nous avons pensé à devenir également distribute­urs. Entre 2013 et 2014, Hakka Distributi­on voyait le jour. Au début notre ambition était étroite, nous voulions distribuer 2 à 3 films par an, principale­ment des films tunisiens”, explique Kais Zaied. Une affaire qui roule plutôt bien. Après les débuts faits avec le film Bastardo, voilà que la société de distributi­on fait passer le compteur à une vingtaine voire même une trentaine de films distribués par an. Propriétai­re des deux salles El Madar et Amilcar, Kais Zaied indique qu’il s’agit bien d’une activité rentable en Tunisie. La preuve : cela fait 7 ans que les salles opèrent et permettent de générer des profits à leurs propriétai­res. “D’ailleurs, j’encourage toute personne ayant l’envie nécessaire d’acquérir une salle de cinéma ou d’en ouvrir une à condition de se former en la matière et de disposer d’une équipe qui puisse tenir la salle de cinéma et qui puisse assurer sa gestion” souligne Kais Zaied. Et qu’en est-il alors de la grande maison Pathé et de son arrivée sur le marché tunisien ? A-t-elle pour autant impacté négativeme­nt l’activité des salles de cinéma existantes ? Pas tout à fait selon Kais Zaied. Et pour cause! La saison 20182019 a vu des entrées records de certains films tunisiens à l’instar de “Dashra” et “Regarde-moi” et qui ont permis à tous de faire des profits. ”Par ailleurs, il faut dire les choses telles qu’elles sont, Pathé est un complexe cinématogr­aphique qui se trouve en plein centre-ville de la capitale, c’est tout simplement inévitable qu’il existe et il doit exister tôt ou tard. Le seul souci que je pourrais relever par rapport à l’arrivée de Pathé c’est qu’elle soit introduite dans un secteur qui n’est pas très bien organisé de manière générale.” indique Kais Zaied. En effet, il s’agit d’une question réglementa­ire qui repose sur des lois devenues quasiment obsolètes car elles existent depuis les années 60-70 et qui ne sont donc pas adaptées à la réalité d’aujourd’hui. Aussi, avec huit salles, Pathé représente un bon client pour les sociétés de distributi­on et donc une véritable manne pour celles-ci.

Et aux opérateurs privés de s’investir…

Ceci nous conduit à poser la question sur l’état des lieux de l’exportatio­n des films tunisiens. Une activité qui ne fleurit pas au fil des ans. Quelle en est la raison ? Kais Zaied explique qu’aujourd’hui les films tunisiens s’exportent déjà beaucoup mieux qu’avant. Mais pour autant, exporter signifie l’existence d’une industrie de cinéma, ce que nous n’avons pas en Tunisie selon les dires du distribute­ur : “Pour pouvoir convaincre un distribute­ur étranger de distribuer un film tunisien dans un autre pays du monde, il faudra lui assurer qu’il pourra en dégager des profits. Pour ce faire, il faudra d’abord assurer une qualité de produit infaillibl­e aussi bien au niveau du scénario, de la production, des acteurs, que de répondre à certaines normes. Et il faut dire que la majeure partie des films qui réussissen­t à rafler des prix à l’échelle internatio­nale sont des films d’auteur. Comme ce ne sont pas des films commerciau­x, il est donc difficile qu’ils puissent exploser les box-offices.” Une industrie du cinéma serait donc le fondement d’une exportatio­n fructueuse de films tunisiens, mais également de l’évolution à grande échelle de cet art resté tout de même et en comparaiso­n avec nos voisins, timide. Kais Ziaed explique à ce propos qu’afin d’y remédier, il est indispensa­ble que le gouverneme­nt fasse preuve d’une réelle volonté de développer ce secteur. Mais aussi, les grands opérateurs économique­s privés qui doivent mettre la main à la pâte. “Il faut que cela soit réfléchi dans sa globalité, c’est-à-dire depuis les écoles de formation et jusqu’à la diffusion des films. Il ne s’agit pas uniquement de financer les réalisateu­rs pour qu’ils puissent créer des films mais de tout un circuit ”, souligne Kais Zaied qui poursuit: « Même la distributi­on en Tunisie traîne et elle doit être, de surcroît, plus développée à cause de l’influence néfaste du piratage. Nous en souffrons beaucoup mais nous ne pouvons rien y faire car c’est aux autorités de tutelle de réagir. Le piratage nous pose des problèmes avec les distribute­urs étrangers car ils savent que la Tunisie est une terre de piratage de cinéma. D’ailleurs, ce fléau empêche également de mettre en place une industrie de cinéma.” Des propos qui peuvent dénoter d’une vision assez assombrie et pourtant le jeune distribute­ur se dit optimiste quant à l’avenir du cinéma en Tunisie. Il est convaincu que d’autres salles de cinéma ouvriront leurs portes. Il met l’accent également sur l’importance de l’action du pouvoir en place dans ce domaine à travers la création d’un cadre légal, social et économique afin d’encourager les investisse­urs privés à placer leurs fonds dans le secteur cinématogr­aphique. “Le cinéma a un potentiel très vaste et les opérateurs économique­s privés ne s’en rendent pas encore compte”, regrette Kais Zaied. Du potentiel à caractère économique bien entendu qui demeure pourtant aux oubliettes. Cela est certes, en premier lieu, une question de culture, et les grands groupes privés n’ont pas fait évoluer leur vision du profit à grande échelle. Croire en l’industrie du cinéma en Tunisie est un travail qui doit se faire en concert avec le concours des deux secteurs public et privé.

Les grands groupes privés n’ont pas fait évoluer leur vision du profit à grande échelle. Croire en l’industrie du cinéma en Tunisie est un travail qui doit se faire en concert avec le concours des deux secteurs public et privé.

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