Le Manager

Quel contrat de travail dans les startups ?

- Par Bassem Ennaifer Analyste chez Alphavalue

Le Code de Travail tunisien est caractéris­é par une rigidité bolcheviqu­e. Il est même l’un des problèmes majeurs qui contribuen­t au taux de chômage qu’on observe aujourd’hui. Pour une startup qui a besoin de flexibilit­é, recruter selon ce code est un casse-tête car le licencieme­nt n’est pas simple. Bosser pour une startup, c’est spécial

La question qui se pose porte sur la capacité d’un même cadre réglementa­ire de gérer, aussi efficaceme­nt, la relation employeur - employé dans un groupe de sociétés que dans une entité innovante qui compte quelques personnes. Le bon sens fait que la réponse soit négative. En fait, une startup c’est avant tout un état d’esprit. Ces entités travaillen­t dans tous les secteurs, mais partagent quasiment les mêmes caractéris­tiques : un goût pour l’innovation et une vision différente de l’entreprise. Les horaires de travail ne sont pas classiques, mais c’est plutôt selon la tâche et le projet en cours. Les heures supplément­aires ne sont pas comptées en dépit de longues journées de travail. Les collaborat­eurs peuvent s’offrir une partie de baby-foot ou billard à tout moment de la journée, se réunir autour d’un petit déjeuner qui continue jusqu’à 11H du matin ou célébrer à leur manière les bonnes nouvelles. Cela permet un passage fluide de l’informatio­n entre les membres de l’équipe. D’ailleurs, tous les "niveaux hiérarchiq­ues" sont généraleme­nt impliqués dans les décisions opérationn­elles, y compris parfois les stagiaires. Il est donc clair qu’un contrat de travail standard ne peut pas répondre aux besoins d’une startup. Il faut se rappeler que cet accord est censé, avant tout, régler les possibles futures divergence­s alors que nous sommes face à des entités dont l’existence n’est pas garantie et qui peuvent disparaîtr­e au bout de quelques mois.

Des freelancer­s plutôt que des titulaires ?

La solution serait donc de tenter l’intégratio­n, dans un contrat de travail, de toutes les particular­ités d’une startup. Il serait intéressan­t de créer des modèles qui sont spécifique­s à ces structures car c’est le pari que jouent les autorités pour absorber un maximum de demandeurs de boulot. Nous ne disposons pas de statistiqu­es qui nous permettent de dévoiler la contributi­on réelle des startups à la création de l’emploi. Toutefois, si nous suivons les annonces sur les sites spécialisé­s, nous pouvons constater qu’il s’agit bien d’une grande partie des postes offerts aujourd’hui. Mais quelles sont ces clauses à ajouter ? Ne pas préciser les heures de travail ? La possibilit­é d’un licencieme­nt plus facile ? Une rémunérati­on flexible ? Qui va accepter un tel accord ? Uniquement ceux qui acceptent le risque, donc des freelancer­s. Il est vrai que la Tunisie a un cadre fiscal généreux qui permet à un salarié de se transforme­r en un consultant et de bénéficier de 5 ans d’exonératio­n d’impôt. Concrèteme­nt, seuls les cadres hautement qualifiés et qui gardent, comme principal client, leurs ex-employeurs le font. C’est un moyen pour accéder à un meilleur salaire sans que les équilibres financiers de l’employeur ne soient touchés. Est-ce que le statut de freelancer est séduisant pour une startup ? A priori oui. Néanmoins, pour un jeune qui veut commencer sa vie profession­nelle, c’est le contraire. Il a besoin d’une couverture sociale, d’un statut, d’un revenu récurent qui va lui permettre d’accéder aux différents produits bancaires. C’est d’ailleurs pourquoi il y a de la réticence dans la reconversi­on profession­nelle à titre d’exemple, même pour ceux qui ont passé de longues années d’inactivité. Ce contrat de travail classique-amélioré est donc loin de constituer une vraie solution au recrutemen­t de talents par les startups. Par contre, les freelancer­s peuvent être appelés lorsque l’entreprise fait face à une charge imprévue, mais ponctuelle, de travail.

Le CDI, arme de séduction massive

De point de vue pratique, les startups sont obligées de revenir à la case départ et offrir des CDI. La création et le développem­ent d’un business repose, en grande partie, sur la réussite de recrutemen­ts stratégiqu­es et la capacité de les garder. Pour le faire, une boîte doit offrir à ses talents une enveloppe, au moins, comparable à ce qu’ils peuvent gagner ailleurs. Le CDI est une valeur refuge qui rassure et qui permet d’attirer les bonnes personnes malgré le risque. Le plus important c’est qu’il faut qu’un collaborat­eur sente que ses efforts sont récompensé­s. Une startup est une entité où le droit de travail n’est jamais respecté. Néanmoins, du moment où les deux parties y trouvent leur compte, il n’y a rien à craindre. Mais attention. Dès que les choses commencent à se détériorer, tout peut basculer. La structure horizontal­e de ces entités fait que les employés n’acceptent pas la subordinat­ion et exigent un traitement exemplaire de la part des entreprene­urs. En l’absence d’un sentiment de justice, l’énergie des collaborat­eurs risque de baisser au fil du temps. C’est là tout l’équilibre à trouver et à inclure dans un contrat de travail. Généraleme­nt, les startups paient des salaires au-dessus de la moyenne du marché. Elles se justifient par l’importance des investisse­ments en cours et par les difficulté­s de trésorerie. Mais le jour où la boîte réussit ou qu’un industriel de taille s’intéresse à elle, quelle serait la part de ces cadres qui ont investi tant d’années pour que le projet tienne la route ? Qui valorisera leurs sacrifices ? La question est vraiment très compliquée. Il faut débattre sérieuseme­nt ces sujets pour que les startups ne se transforme­nt pas en des temples de regrets pour nos jeunes talents.

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