Sonia Bahri, Conseillère du Président de la Commission Nationale Française pour L’UNESCO Le parcours de l’excellence
Nous découvrons ce mois-ci un parcours d’exception, celui d’une femme qui s’est engagée dans la défense de plus d’une cause.
Portée par une mission, Sonia Bahri a une vision claire de l’inclusion sociale et culturelle. Elle lance des projets, initie et dirige ; elle crée des rôles et assure des missions. C’est sa manière de faire avancer les intérêts économiques et sociétaux ainsi que le développement professionnel par l’éducation à l’entrepreneuriat, l’utilisation des TIC et l’enseignement à distance. Sonia Bahri oeuvre au quotidien pour créer un monde où les hommes et les femmes évoluent pour s’épanouir et par conséquent valorisés.
Une voie d’excellence
Sonia Bahri était aux bancs de l’école Chevreuil pour être scolarisée ensuite au Lycée Carnot de Tunis où elle a passé son baccalauréat scientifique, malgré un penchant très prononcé pour l’histoire et la philosophie. C’est par le biais de la philosophie et plus particulièrement de l’épistémologie qu’elle a apprécié à sa juste valeur la portée du raisonnement scientifique et la beauté des mathématiques, modèle d’intelligibilité. Le baccalauréat en poche, elle a tenté le concours d’entrée à l’institut d’études politiques de Paris se disant que ce type d’études, couvrant différentes disciplines, l’aiderait à mieux comprendre le monde. Elle avait en effet été marquée lors des dernières années de lycée par les lectures des livres de René Dumont : l’utopie ou la mort et les conclusions du Club de Rome (Rapport Meadows) sur les limites de la croissance économique et les risques écologiques auquel le monde serait confronté. Elle est admise en première année dite année préparatoire (AP). Une fois diplômée de Sciences-po, Sonia Bahri a obtenu une équivalence pour s’inscrire à une licence en économie appliquée à Paris Dauphine où elle a renoué avec les mathématiques, très peu enseignées à Sciences-po. Elle a poursuivi ses études doctorales en Sciences Économiques à Panthéon Sorbonne. Un parcours en parallèle duquel elle a poursuivi un DEA d’histoire contemporaine à l’institut d’études politiques de Paris vu son intérêt pour l’histoire et notamment l’histoire de l’éducation en Afrique du Nord.
Une voie d’expertise
Au tout début de sa carrière, Sonia Bahri a commencé par enseigner et faire de la recherche en sciences économiques. En parallèle, elle a effectué une mission d’analyse économique dans une filiale de la Caisse des Dépôts, la SEDES, puis à L’UNESCO sur un projet de production de matériel éducatif et culturel dans les pays de la région MENA. Elle a fini par être recrutée comme fonctionnaire internationale par cette organisation en 1990. Elle a mis en place un programme d’éducation au VIH/SIDA en collaboration avec L’OMS et L’ONUSIDA à une période où cette pandémie faisait des ravages en Afrique sub-saharienne. On confie à Sonia Bahri la section en charge de l’enseignement secondaire à L’UNESCO où elle a constitué un consortium inter-agences qui a engagé des travaux et
« L'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde.» Lysistrata - Ve siècle avant J.-C.
développé des recommandations sur des thématiques clés telles que le nouveau rôle des enseignants et des chefs d’établissements, les contenus de l’enseignement secondaire, l’éducation à l’entrepreneuriat, l’utilisation des TIC et l’enseignement à distance pour un plus large accès. Sonia a ensuite assuré la direction du programme Unitwin/chaires Unesco et de la coopération internationale dans l’enseignement supérieur et la recherche, puis celle du programme des politiques pour la science, la technologie et l’innovation (STI), tout en assurant le secrétariat exécutif du Prix L'oréal-unesco pour les Femmes et la Science. En 2015, Sonia est nommée conseillère du président de la Commission nationale française pour l’unesco pour les questions scientifiques, le développement durable et la coopération internationale avec en parallèle une mission d’expertise auprès de la ministre française de l’environnement, de l’energie et de la Mer (MEEM) dans le cadre de la COP21 et de son suivi (octobre 2015 à mai 2017).
Une voie d’implication
Enfant, Sonia avait cofondé à 14 ans le petit club d’archéologie du Lycée Carnot qui organisait des visites de sites archéologiques romains avec des professeurs d’histoire et de latin. Adulte, elle s’engage dans l’associatif au cours des 3 dernières années, notamment en cofondant We4dev (Women for Development), un réseau de femmes tunisiennes en Tunisie et à l’étranger reconnues pour leur parcours professionnel, dont le but est d’apporter, chacune dans son domaine, avec ses compétences et son expérience, une contribution au développement durable du pays à travers l’autonomisation des femmes en milieu rural comme en milieu urbain. Par ailleurs, Sonia Bahri garde le souvenir de sa rencontre avec Nelson Mandela à Durban (Afrique du Sud) en 2000. Elle avait échangé avec lui sur les stratégies éducatives face à l’épidémie du VIH/ SIDA à un moment où le continent africain devait affronter de plein fouet ce phénomène dévastateur, en l’absence de traitement thérapeutique. « J’ai été frappée par sa confiance en l’humain et par la force mentale qui émanait de sa personne. »
Une voie de lecture
En parlant de livres et de lecture, Sonia Bahri dit qu’elle n’a pas un auteur préféré mais des auteurs, suivant les époques, les continents et les cultures. En ce qui concerne les auteurs contemporains du monde méditerranéen, elle aime beaucoup Amine Maalouf pour ses captivantes biographies romancées comme ses essais historiques et ses réflexions sur le monde contemporain. Son livre de chevet reste les Fables de la Fontaine, source inépuisable d’humour et de sagesse.
Une voie de révolution
« Je n’ai pas été étonnée du départ de Ben Ali. » Sonia Bahri se souvenait de la situation très tendue dans le pays avant l’épisode de l’immolation par le feu de Bouazizi, « un acte de désespoir que nous ne devons jamais oublier », dit-elle. Une atmosphère étouffante de fin de règne dominait, tout le monde parlait de la corruption dans l’entourage présidentiel, phénomène qui paralysait toutes les initiatives entrepreneuriales. De plus, ni les citoyens ni les médias n’osaient s’exprimer librement. Comme des millions de Tunisiens, elle avait compris que quelque chose d’inédit était en train d’émerger et que le peuple voulait vraiment en finir avec le pouvoir en place. « Je suis fière de cette capacité qu’a eue le peuple tunisien à mettre un terme à la dictature sans trop de violence et heureuse d’ailleurs de cette liberté. »
Une voie de visionnaire
« Il faudrait réserver une place prioritaire à l’éducation. » La Tunisie a réussi à devenir un pays démocratique, ce qui est déjà une avancée considérable. Le pays dispose de nombreux atouts sur lesquels il peut s’appuyer, notamment un riche patrimoine historique, culturel et naturel, des compétences dans différents domaines et des femmes aussi éduquées (sinon plus) que les hommes. C’est grâce à l’éducation que l’on permet à un pays d’avancer et à ses habitants de prendre leur destin en main. La Tunisie de Bourguiba a fait ce choix dès l’indépendance. Cela a donné des résultats en moins de 2 décennies. Il faut continuer dans cette voie et continuer à réserver une place prioritaire à l’éducation. Il ne s’agit pas simplement de mettre des millions d’enfants sur des bancs d’école. La qualité de l’enseignement, la pertinence des contenus et l’efficacité des méthodes éducatives sont essentielles pour former des citoyens responsables et autonomes. « Pour tracer la voie du développement, une forte volonté politique est nécessaire» Mais la situation économique doit être rapidement améliorée pour permettre au plus grand nombre de Tunisiens d’avoir un niveau de vie décent grâce au travail. Des choix stratégiques en faveur d’une croissance verte, durable et inclusive sur l’ensemble du territoire, s’appuyant sur les avancées scientifiques et technologiques et sur l’innovation, devraient permettre de fixer un nouveau cap, et notamment de réduire le déficit énergétique qui coûte cher au pays. Ces choix et les investissements qui doivent les accompagner devraient également permettre de conquérir de nouveaux marchés dans des filières d’avenir comme les énergies renouvelables, le numérique, les biotechnologies, le recyclage des déchets. De même que la restauration de la confiance des Tunisiens dans l’avenir de leur pays est nécessaire.
Une voie de raison
Depuis 2015, je vis entre la France et la Tunisie. Je fais régulièrement de nombreux aller-retour, parfois pour participer ou animer des tables rondes lors de conférences. Dans le cadre de We4dev, j’ai organisé avec d’autres membres du réseau des formations au coding de femmes diplômées, au chômage, grâce au soutien bénévole d’universités comme Esprit, Ecole d’ingénieurs. « Continuer à agir pour mon pays ! » Son souhait est que cette fabuleuse créativité de la jeunesse tunisienne s’incarne dans des projets pour le développement de tous les territoires du pays et devienne un exemple pour les autres pays de la région.
Une voie de reconnaissance
Le premier janvier 2019, Sonia Bahri a été nommée Chevalier de la Légion d'honneur par le président Emmanuel Macron. La reconnaissance est toujours source d’émotion surtout lorsqu’on a donné le meilleur de soi-même et quand celle-ci arrive en consécration d’un parcours de vie. « Lorsque j’ai reçu cette décoration, j’ai tout de suite eu une pensée très émue pour mon père, qui n’est malheureusement plus de ce monde, pour lequel le goût du savoir et la valeur travail étaient essentiels. »