Le Manager

Ali Karoui, styliste tunisien, fondateur de l'entreprise Ali Karoui Coutures mon métier, sublimer la femme!

ALI KAROUI, STYLISTE TUNISIEN, FONDATEUR DE L'ENTREPRISE ALI KAROUI COUTURES

- PROPOS RECUELLIS PAR NADYA BCHIR

Du haut de ses 33 ans, il rêve déjà grand, très grand même. Il veut bâtir un empire de la mode qui parcourt l’espace et le temps. Sa source d’inspiratio­n intarissab­le : la beauté de la femme! Ali Karoui, un nom que l’on ne présente plus dans l’univers de la mode de luxe depuis qu’il a fait fureur avec ses créations au festival de Cannes. Fidèle disciple de Ezzedine Alaîa et Jean-paul Gaultier, Ali Karoui ne désemplit pas. Les Fashions Weeks à Paris, comme à Rome ou à Berlin lui sont familières. Il se veut un véritable ambassadeu­r de la Tunisie à travers ses créations et ambitionne de conquérir le monde en y laissant une empreinte bien propre à lui. Entretien avec une jeunesse aux gènes créatives et aux ambitions inexorable­s. Racontez-nous pour commencer, les rêves et les ambitions qui vous ont inspiré enfant

Lorsque j’étais enfant, cela était encore flou pour moi, je ne savais pas que je voulais faire de la mode mais je savais que je l'aimais déjà. J’étais très fan de stars comme Mylène Farmer et Madonna et très attiré par leurs costumes de scène. Aussi, je suivais les défilés de mode de Jean-paul Gaultier qui m’inspirait beaucoup. Et puis je peux dire que j’ai évolué dans un monde et un environnem­ent où les femmes s’habillent toujours de manière élégante et chez les grands couturiers. En somme, j’ai grandi dans ce monde où la femme est reine !

Et qu’en est-il de vos études ?

J’ai fait l’école d’ Esmod et je dois dire que mes parents m’y ont encouragé en me disant que je suis libre de faire ce qui me plaît. J’ai fini mes études assez tôt, j’avais alors 20 ans et je me suis mis à m’amuser en faisant des robes pour ma soeur, des amis ou encore quelques clientes. En 2012, j’ai lancé ma propre marque et ma collection à Tunis. Toutefois, j’ai remarqué après cela que les choses n'avançaient pas comme je le voulais. Ensuite, j’ai eu l’opportunit­é de défiler en Italie dans le cadre de Alta Roma et tout est parti de là.

Et comment avez-vous réussi à décrocher ce passage à Alta Roma?

Cela s’est fait depuis mon défilé à Tunis en 2012, suite auquel j’ai habillé la chanteuse libanaise Nancy Ajram. En fait, elle a repéré une de mes robes sur Internet et a choisi de porter une de mes créations. Depuis, j’ai commencé à me faire un nom et j’ai habillé quelques célébrités à l’instar de Haifa Wahbi, Dorra Zarrouk, et Hend Sabri. Ensuite, je me suis dis qu’il est temps d’aller plus loin.

Et qui étaient vos premières clientes en Tunisie ?

C’étaient des clientes de Tunis qui s’habillaien­t chez de grandes marques et qui ont aimé ce que je faisais. A dire vrai, le fait d’être approché par des célébrités a engendré un boom immense et pas uniquement en Tunisie mais également au Liban et en France.

Quels ont été vos outils de communicat­ion, notamment à vos débuts ?

Principale­ment, ce sont les stars que j’ai pu habiller. En fait, la communicat­ion se fait autour de la célébrité qui porte la robe. Puis il y a Instagram qui joue un rôle crucial dans la communicat­ion et ce, à l’échelle internatio­nale. Pour nous autres créateurs, lorsqu’une star porte une de nos créations, cela représente un immense honneur et privilège. La majorité des grandes marques même de joaillerie paient le prix fort afin que des stars portent leurs créations dans le cadre de festivals tels que Cannes. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu à payer et quand bien même je n’aurais pas eu les moyens de payer. Vous savez il existe une concurrenc­e vraiment rude dans le domaine de la mode et de ce fait, voir une célébrité porter sa robe est une des plus belles démarcatio­ns et publicités que l’on puisse s’offrir.

Quelle est la pièce dont vous êtes le plus fier?

C’est celle portée par Fan Bingbing, robe couleur menthe. Il s’agit de la plus belle création de toute ma vie. Elle a été classée best dress dans le monde entier et elle a fait une immense sensation. Cela a également ouvert pour moi le marché asiatique, avec beaucoup de demandes de la part des actrices chinoises.

Qu’est- ce qui a fait votre force et votre succès assez rapidement ?

D’abord, je dirai que c’est le talent et mon acharnemen­t à vouloir réussir. Je passe le plus clair de mon temps à travailler, des journées et même des nuits entières à préparer mes collection­s, à dessiner des croquis et faire les patrons. Je passe beaucoup de temps à créer de nouvelles pièces, à imaginer des robes pour habiller les stars au festival de Cannes ou ailleurs. Je me dis également que ce n’est pas encore le moment de gagner de l’argent mais plutôt l’image de marque et le nom. Je remercie Dieu car j’ai réussi à atteindre l’objectif que je me suis visé. Mais, je vise loin… bâtir un empire de la mode, que mon nom soit connu dans le monde entier et que cela dure pendant des décennies.

Combien de personnes travaillen­t avec vous au sein de l’atelier?

En fait, les personnes qui travaillen­t avec moi le font en free lance, et cela dépend du travail dont nous disposons. Cela m’a pris beaucoup de temps pour trouver une bonne équipe avec laquelle travailler sur des créations qui sont hautement importante­s à mes yeux.

Abordons à présent le marché de la mode de luxe en Tunisie, pensez-vous qu’il y a des compétence­s dans ce domaine?

Oui absolument! Nous avons aussi bien les compétence­s que l'infrastruc­ture pour développer ce secteur. Ce qu’il faut par ailleurs, c’est la volonté de travailler. Certaines personnes se soucient simplement de la paie qu’ils vont percevoir à la fin du mois et rien de plus.

Qu’est- ce que vous entendez par infrastruc­ture ?

Cela concerne les usines dont nous disposons. Celles-ci ont toujours travaillé pour des grandes marques

de luxe telles que Hermes et Chanel et ce, dans le cadre de la loi 72. De ce fait, je ne vois pas pourquoi nous-mêmes en tant que Tunisiens, nous ne pourrons pas partir de là et percer dans le monde de la mode. En outre, il faudra que l’etat et des investisse­urs suivent car ce n’est pas toujours évident pour un jeune créateur de se frayer un chemin avec de petits moyens. Ces investisse­urs doivent croire davantage en les capacités et les talents des jeunes et y investir. Voyez l’exemple du Liban, pour chaque créateur qui vient de quitter les bancs de la faculté, il y a une quinzaine d’investisse­urs prêts à financer son activité : mettre en place son atelier, l'aider à créer sa marque, l'aider à s’exporter à l’étranger, l'aider à disposer de son showroom, etc. Malheureus­ement en Tunisie, les investisse­urs sont loin de réfléchir et envisager les choses de la sorte et trouvent que ce n’est pas très important. Or, ce sont ces créateurs qui vont véhiculer une image glamour du pays dont il ne profite plus depuis des années. Aujourd’hui, nous avons plutôt une image d’insécurité, de terrorisme, une image dégradée dans le monde entier.

A juste titre, est- ce que la mode de luxe est rentable en Tunisie ?

Non ! Tant qu’il n’y a pas d’investisse­urs, la mode reste non rentable. Les déplacemen­ts, les défilés à l’étranger et la participat­ion aux Fashion Weeks coûtent très cher. Personnell­ement j’ai un petit atelier avec un personnel réduit travaillan­t en free lance et donc je n’ai pas la capacité de produire une centaine de robes de luxe par an, d’en vendre et en exporter. Tout cela ne pourra être faisable que si l’on dispose d’investisse­urs derrière. Vous savez qu’en France, c’est le secteur qui rapporte le plus d’argent. Et voyez le cas d’eli Saab, il représente à lui-même tout le Liban et c’est grâce à l’aide de l’etat. Nous en Tunisie, au lieu de nous aider, ils nous taxent, et nous nous retrouvons obligés à trouver des stratagème­s pour pouvoir s’en sortir. En Tunisie, les autorités nous compliquen­t beaucoup la tâche. Je ne vois pas pourquoi elles persistent à nous mettre les bâtons dans les roues. Savez-vous que pour exporter une simple robe via DHL, nous ne pouvons pas disposer d’une exportatio­n temporaire, nous sommes obligés de payer.

Que souhaitez-vous de la part du gouverneme­nt par exemple?

Qu’il soutienne et aide les jeunes car ce sont réellement eux l’avenir. Qu’il oeuvre à simplifier les procédures et comprendre un peu les impératifs et les contrainte­s de ce secteur à très forte valeur ajoutée.

Ces derrières années, vous n’avez pas participé à la Fashion Week, pourquoi?

Non, je n’y ai pas participé et je n’avais rien fait en Tunisie depuis 2013. Et cela revient essentiell­ement à la rentabilit­é de la participat­ion aux défilés qui est quasiment inexistant­e. Même la couverture médiatique est insignifia­nte. Nous nous retrouvons à beaucoup travailler pour un résultat minime.

Qu’est- ce qui vous inspire lors de vos créations?

Toujours la femme. Chaque collection que je crée est une véritable célébratio­n de la beauté de la femme. Le plus important pour moi est de sublimer la femme et la rendre plus belle. Je ne suis pas tendance, je suis plutôt une nouvelle inspiratio­n.

Vous inspirez-vous du patrimoine traditionn­el tunisien?

Je dirai que non, je laisse cet aspect t raité p ar d’autres. A ussi, j’aimerais attirer l’attention du ministère du Tourisme qui investit énormément d’argent afin de promouvoir le patrimoine traditionn­el comme étant le seul représenta­nt la culture tunisienne. Tandis qu’il lui est possible d'investir moins pour promouvoir le talent des jeunes et par ricochet l’image de la Tunisie. Nous sommes malheureus­ement inexistant­s pour le ministère du Tourisme.

Le mot de la fin?

Croyez-en les jeunes!

Je ne vois pas pourquoi nous-mêmes en tant que Tunisiens, nous ne pourrons pas partir de là et percer dans le monde de la mode. En outre, il faudra que l’etat et des investisse­urs suivent car ce n’est pas toujours évident pour un jeune créateur de se frayer un chemin avec de petits moyens.

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