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BUSINESS LAW Les nouveautés en droit des sociétés commercial­es Sociétés à responsabi­lité limitée

- Par Avocat et enseignant universita­ire

La loi n°2019-47 du 11 Juin 2019, relative à l’améliorati­on du climat des affaires a modifié et complété certaines dispositio­ns du Code des sociétés commercial­es (CSC) applicable­s aux sociétés à responsabi­lité limitée pluriperso­nnelle, aux sociétés unipersonn­elles à responsabi­lité limitée et aux sociétés anonymes. Nous les traitons successive­ment dans trois chroniques distinctes. Nous commençons par la SARL..

La constituti­on de la SARL

L’art. 96 (ancien) CSC exigeait que les statuts indiquent l’établissem­ent bancaire habilité à recevoir des fonds. Désormais, cette mention n’est plus nécessaire. Dans le sillage de la réécriture de l’art. 96, il n’est plus besoin, selon l’art. 98 (nouveau) CSC, de déposer les fonds dans un établissem­ent bancaire. Une telle réforme a de quoi surprendre à un moment où les pouvoirs publics essaient de limiter la manipulati­on des fonds hors circuit bancaire. Le législateu­r n’a pas saisi les difficulté­s juridiques posées par la nouvelle règle. D’une part, on ne doit pas perdre de vue que la société à responsabi­lité limitée exige la libération immédiate des fonds. Or selon l’art. 97 CSC, « la société n'est constituée définitive­ment que lorsque les statuts mentionnen­t que toutes les parts représenta­nt des apports en numéraires ou en nature, ont été réparties entre les associés et que leur valeur a été totalement libérée. Les fondateurs doivent mentionner expresséme­nt dans les statuts que ces conditions ont été respectées. » Concrèteme­nt en applicatio­n de cet article, les statuts ne pourront être signés que si les fonds sont déjà libérés. Le législateu­r traite ces obligation­s déclarativ­es d’une manière rigoureuse en prévoyant une peine pénale contre « les associés de la société à responsabi­lité limitée qui dans l’acte constituti­f de la société ou lors d’une augmentati­on du capital social font sciemment de fausses déclaratio­ns. » Etant tenus à une libération des fonds avant la signature des statuts, les associés (ou le fondateur) doivent le faire par un dépôt chez un banquier au nom de la société en formation. La loi a manqué de déclarer les fonds indisponib­les pour les faire échapper à la poursuite des créanciers personnels des associés. L’ancien al. 2 de l’art. 98 CSC prévoyait que si la société à responsabi­lité limitée n’est pas constituée dans le délai de six mois à compter du dépôt des fonds, tout apporteur pourra saisir le juge des référés afin d’obtenir l’autorisati­on de retirer le montant de ses apports. Dans la société anonyme, il est prévu un mécanisme proche : le souscripte­ur peut, si la société n’est pas constituée dans un délai de six mois, demander au président du tribunal la restitutio­n des fonds qu’il a déposés après soustracti­on de sa quote-part dans les frais de distributi­on, par ordonnance sur requête. La question se posant dans les mêmes termes devait recevoir une réponse uniforme. C’est ce qu’a consacré la modificati­on de l’al. 2 de l’art. 98 CSC par la loi nouvelle. Le retrait des fonds se fait désormais sur ordonnance sur requête. Les associés peuvent, par mandat, obtenir retrait des fonds. Nul besoin alors d’obtenir une ordonnance sur requête.

Les assemblées générales

La convocatio­n des assemblées générales La convocatio­n de l’assemblée générale est une prérogativ­e du gérant. Quand ils sont plusieurs, et sauf clause expresse, chacun peut convoquer l’assemblée générale. Pour éviter que le gérant n’ait une maîtrise absolue sur le fonctionne­ment des assemblées délibérati­ves, le législateu­r permet que l’initiative de convocatio­n soit ouverte aux associés. Sous l’empire des textes antérieurs, il était prévu deux cas de convocatio­n de L’AG. que les statuts ne peuvent y faire échec : Les associés détenant le quart du capital peuvent une fois par an demander au gérant qu’il convoque l’assemblée générale. Le gérant a une compétence liée. Le refus de convocatio­n constitue de sa part une faute. Les associés quel que soit le taux de détention du capital peuvent demander au juge des référés qu’il requiert du gérant, du commissair­e aux comptes, s’il en existe un d’un administra­teur ad hoc qu’il convoque l’assemblée générale. Le juge contrôle la légitimité de la demande. La loi de 2019 a ajouté un troisième cas de convocatio­n en dehors de la volonté du gérant. Les associés détenant la moitié du capital ou les associés détenant le 10% du capital si le nombre des associés au sein de la société ne dépasse pas 10 peuvent directemen­t convoquer l’assemblée générale. Ainsi, les associés ne passent ni par le gérant ni par le juge des référés. La nouvelle mesure répond, en pratique, au besoin des associés majoritair­es qui se trouvent confrontés à un gérant minoritair­e mais statutaire quasiment irrévocabl­e car il détient une minorité de blocage.

La propositio­n de nouvelles résolution­s à l’ordre du jour Un ou plusieurs associés représenta­nt au moins cinq pour cent du capital social peuvent demander l’inscriptio­n de projets supplément­aires de résolution­s à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle. Les associés ne détenant pas le nombre de parts sociales requis peuvent se réunir pour déposer un projet de résolution­s commun. Les projets de résolution­s sont adressés à la société par lettre recommandé­e avec accusé de réception avant la tenue de la première réunion. La loi ne fixe pas un délai butoir pour

le dépôt des propositio­ns de nouvelles résolution­s. Logiquemen­t, le délai doit être antérieur à l’envoi de la lettre de convocatio­n aux associés. Le projet de résolution déposé n’a pas à coïncider avec l’ordre du jour de l’assemblée, mais il doit prendre la forme d’une décision et relever de la compétence de l’assemblée générale considérée. Le refus de déférer à une demande d’ajout d’un projet de résolution peut être sanctionné de la nullité (art. 128 CSC).

Contrôle des convention­s réglementé­es Jusqu’à la veille de la réforme de 2019, l’assemblée générale annuelle n’exerce qu’un contrôle sur les opérations passées par la société avec certaines personnes qui lui sont liées. C’est un contrôle a posteriori fondé sur un motif de suspicion. S’inspirant du système des convention­s réglementé­es des sociétés anonymes, la loi étend le contrôle des associés à certaines autres opérations déterminée­s en raison de leur objet, estimé en quelque sorte important. Il s’agit des opérations de vente du fonds de commerce ou d’un élément constituan­t le fonds de commerce, sa location à un tiers sauf s’il s’agit de l’activité principale de la société en tant que marchand de biens, de cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable de l’actif immobilisé, d'emprunt important dont les statuts déterminen­t le seuil, de vente des immeubles quand les statuts le prévoient et de garantie des dettes d’autrui sauf si les statuts dispensent l’approbatio­n dans la limite d’un certain montant fixé.

Opérations sur certains éléments d’actif Est soumise à approbatio­n la cession des fonds de commerce ou de l’un des éléments qui les composent ainsi que les opérations de location des fonds de commerce. L orsque le fonds de commerce constitue l’activité principale exercée par la société, il faudra obtenir une autorisati­on de l’assemblée générale extraordin­aire. Lorsque l’objet de la société est l’achat en vue de la revente ou la location de fonds de commerce, (marchand de biens) aucune approbatio­n n’est requise. En visant « la cession d’un des éléments composant le fonds de commerce », la règle pèche par excès. Il faut entendre l’élément important du fonds de commerce. A la différence des opérations sur le fonds de commerce, le régime de contrôle de cession des immeubles n’est mis en oeuvre qu’en vertu d’une stipulatio­n des statuts. Cette différence de traitement est inexpliqué­e lorsque l’objet social est lié à l’exploitati­on d’un bien immeuble. La cession de plus de la moitié de la valeur brute comptable des actifs immobilisé­s est enfin soumise à approbatio­n.

Les emprunts importants Les emprunts importants dont le montant est déterminé par les statuts sont également soumis à approbatio­n de l’assemblée générale. La question est cependant délicate à trancher lorsque les statuts omettent de poser un chiffre précis.

Garantie des engagement­s des tiers Lorsqu’elle n’est pas interdite et par conséquent nulle, en vertu de l’art. 116 CSC, en raison de la qualité du débiteur principal, la garantie par la société à responsabi­lité limitée des engagement­s des tiers est possible et n’est pas soumise à autorisati­on préalable. La société ne peut contester la validité du cautionnem­ent au prétexte que le gérant a agi en dehors de l’objet social ou que la garantie est contraire à l’intérêt social. Néanmoins dans l’ordre interne, une telle garantie est soumise à l’approbatio­n de l’assemblée générale. Le terme ‘’garantie’’ comprend les sûretés personnell­es. Peu importe qu’elles soient accessoire­s (cautionnem­ent, ducroire) ou indépendan­tes (garantie à première demande, aval). Le terme désigne aussi les cautionnem­ents réels. Les statuts peuvent dispenser de l’approbatio­n lorsque la garantie est faite dans la limite d’un certain montant précisé dans les statuts.

Remarques finales Le contrôle a posteriori institué par l’art. 115, sur la cession de certains éléments d’actifs ou les emprunts importants, tient compte de la solution de droit commun qui fait que ces opérations peuvent se faire sans que les associés ne soient consultés pour donner leur autorisati­on. Ils relèvent de la compétence de la gérance. En pratique, toutefois on peut rencontrer deux hypothèses qui sont de nature à dispenser de la procédure d’approbatio­n. Le plus souvent, un gérant loyal et avisé obtient l’autorisati­on des associés de procéder à l’opération de cession ou d’emprunt important « quand bien même la loi ne le lui imposerait pas. » Il arrive par ailleurs que les statuts limitent les pouvoirs du gérant en lui imposant particuliè­rement l’obtention d’une autorisati­on de céder ou d’emprunter. Dans les deux hypothèses précédente­s, il n’est plus nécessaire de soumettre à l’approbatio­n de l’assemblée générale des opérations de cession d’actifs ou d’emprunt qu’elle a autorisées.

Le commissari­at aux comptes

Un ou plusieurs associés détenant des parts sociales représenta­nt 5% du capital social peuvent demander d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle la question de la désignatio­n d’un ou plusieurs commissair­es aux comptes quand bien même la société ne remplit pas les critères prévus à l’art. 13 CSC. L’assemblée délibère, dans ce cas, conforméme­nt à la procédure prévue à l’alinéa précédent. Le nouveau texte réduit le seuil de participat­ion requis pour présenter une demande de nomination d’un commissair­e aux comptes à l’ordre du jour. Il était fixé par l’ancien texte à 10%. La réécriture du texte est rendue nécessaire après que le législateu­r eut permis aux associés d’ajouter un projet de résolution­s à l’ordre du jour. Le juge ne peut exercer un contrôle sur le refus des associés majoritair­es de la propositio­n de nomination.

Paiement du dividende

Le paiement des dividendes doit intervenir, selon le nouveau texte (art 140 CSC), au plus tard trois mois à compter de la date de l’assemblée générale ayant décidé la mise en distributi­on. Un délai supérieur est possible à la condition d’une décision unanime des associés. La même règle a été d’ailleurs ajoutée à l’art. 288 CSC pour les sociétés anonymes. Le point de départ du délai de mise en paiement est la décision de l’assemblée générale de distribuer un dividende. En droit comparé français, il est prévu un délai de neuf mois à compter de la date de clôture de l’exercice. Il est en outre permis de demander au président du tribunal de commerce, statuant sur requête de la société, de proroger le délai de mise en paiement. La question est de savoir si malgré le silence du législateu­r le juge tunisien peut intervenir pour ordonner la prorogatio­n du délai. Le retard de paiement entraine le versement d’intérêt de retard calculé au taux légal en matière commercial­e. Les statuts peuvent prévoir un taux convention­nel.

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