Entreprises publiques Comment les faire passer au vert ?
Il fut un temps où elles étaient le pilier de l’économie nationale. Elles sont devenues un fardeau pour le budget de l’état, pour le secteur privé et pour le citoyen. Il est grand temps d’engager un débat franc et de passer à l’action. C’est à quoi se sont tenus les organisateurs des Rencontres de l’économiste Maghrébin et de la Banque Mondiale.
Habib Karaouli, PDG de Cap Bank, qui a fort brillamment comme à son habitude présidé les débats, a fixé les véritables enjeux et les défis auxquels sont confrontées les entreprises publiques rappelant au passage que la gestion de la question du secteur public est liée au rôle de l’état, son périmètre d’action et son mode de gouvernance. Autant de questions qui sont au coeur du débat. Alarmant, sur l’urgence dans son mot d’ouverture, Hédi Mechri, directeur des publications, a affirmé qu’en moins de dix ans ces entreprises, qui ont en leur temps structuré l’économie et constitué son épine dorsale, auront tout connu. La grandeur des années fastes avant de sombrer - tout au moins, un grand nombre d’entre elles -, dans la décadence et la décréptitude. « Il suffit de prendre connaissance de leurs chiffres, de leurs résultats d’exploitation, de leurs comptes mutilés, des déficits en folie et de l’endettement sans fin qui atteint aujourd’hui des niveaux abyssaux : quelque 12.5% du PIB, nous dit-on. Du jamais vu ! Le pire n’est plus à craindre. Nous y sommes déjà. Et d’abonder dans le même sens, Fayçal Derbel, conseiller auprès de la présidence de la République, a signalé que la moitié
des entreprises publiques risquent de disparaître en 2020 s’il n’y a pas de réformes engagées à l’effet de les restructurer. D’entrée de jeu, Tony Verheijen, représentant résident de la Banque Mondiale en Tunisie, a planté le décor en présentant un état des lieux. Les pertes financières des 20 plus grandes entreprises publiques se sont élevées en 2016 à 1,3 milliard de dinars, soit 1,5% du PIB. Ce qui est plus préoccupant, c’est que certaines de ces entreprises publiques sont structurellement déficitaires. L’impact sur le secteur privé est aussi important, notamment à cause des avantages octroyés au secteur public en situation concurrentielle. Tony a expliqué l’ampleur de la détérioration des entreprises publiques par la persistance d’un modèle économique et social qui reste basé sur les bas prix en raison des subventions. Le chômage persistant n’aide pas à améliorer la situation. Gilles Chausse, directeur Général de L’AFD (Agence française de développement) a pour sa part expliqué que l’agence entretient des relations avec des entreprises de différents secteurs, que ce soit en tant que prêteur ou pour financer l'évolution et les investissements de ces entreprises. Dans le cadre du programme d’appui à la réforme de la gouvernance des entreprises publiques, Gilles Chausse indique que L’AFD mobilise sur ses ressources propres une expertise externe pour accompagner la task force interministérielle en charge de la finalisation du plan d’action. A ce titre, un appui budgétaire de 100 M euros octroyés en deux tranches de financement adossé à une matrice d’actions est mis en place. Taoufik Errajhi, ministre chargé de la Réforme de la Fonction publique, a fait savoir qu’il n’y avait pas de modèle unique et qu’il faut traiter les entreprises publiques en fonction du caractère stratégique de l’activité et du niveau de concurrence du marché. Le débat a fait montre de l'existence d’un consensus sur l’impératif d’adopter une démarche pragmatique, rationnelle et non dogmatique. Il y a un alignement général de la part des intervenants présents sur l’impératif d'oeuvrer dans l’urgence pour faire de ces entreprises des entités économiques et rentables qui créent de la valeur, contribuent positivement aux finances publiques et offrent un service public de qualité et à des conditions de coûts appropriés.
Plusieurs recommandations sont ressorties de ce riche débat. Nous les classerons selon les axes mis en exergue dans le livre blanc élaboré par la présidence du gouvernement.
Une meilleure gouvernance globale
D’un point de vue stratégique, Samir Cheffi , secrétaire général adjoint de L’UGTT, a insisté sur l’impératif de clarifier l e rôle, la vision et le périmètre de l’etat. Taoufik Errajhi a à son tour déclaré que la stratégie actionnariale de l'état est liée au modèle économique. Dans ce sens Nefaa Ennaifer, membre du board de L’IACE, s’est interrogé vers quel modèle veut-on aller ? S’oriente-t-on vers un État social ou une logique de marché ? Autrement dit, l’ajustement sera fait par les subventions ou par les prix ? s’interroge Faycal Derbal. Il a également évoqué la question de la rationalisation. Il n’en reste pas moins qu’il vaut mieux que l’état soit minoritaire dans une entreprises privée efficiente et rentable que le principal actionnaire dans une entreprise qui cumule les déficits et les pertes, lance Tarak Chérif . A un niveau plus opérationnel, Faycal Derbal indique qu’il faut statuer sur le suivi des entreprises publiques et créer une entité qui centralise toutes les structures qui interviennent dans la gestion publique. Le traitement et l’examen des dossiers doivent être effectués dans une démarche participative, à travers la concertation et une communication plus soutenue et de meilleure qualité. Samir Cheffi appelle à mettre en vigueur les commissions participatives convenues lors des accords conclus entre les partenaires sociaux. D ans une dimension sectorielle, notamment le secteur bancaire, Tarak Chérif président de la Conect, propose une refonte de l'architecture du secteur. A quoi bon avoir d’autres banques commerciales, il vaut mieux une banque publique de développement forte qui accompagne les PME, à l’instar de BPI France.
Une gouvernance interne plus moderne
Apporter de la souplesse, de la flexibilité dans le management et p rivatiser les outils de gestion sont désormais des mécanismes indiscutables pour sauver ces entreprises, ont fait savoir Fadhel Kraiem, PDG de Tunisie Telecom, Nabil Smida, PDG de la SNDP et Lotfi Dabbebi DG de la STB. Revoir les textes de loi et les décrets à cet effet a été de tout temps une demande des organisations syndicales, patronales et des chefs d’entreprises publiques, notamment en matière de manuel d’achats. Le témoignage de Fadhel Kraiem illustre les bénéfices sur l’évolution de l’opérateur histoire, conséquence de la dérogation dont Tunisie Telecom a pu bénéficier. Taoufik Errajhi s'engage à faire profiter 15 entreprises de l’article 22 ter concernant la flexibilité de la gestion et acquisition de biens et services. L’importance du conseil d'administration comme un organe effectif de gouvernance et de surveillance a fait l'unanimité. L’exemple de la STEG International est une illustration, a fait savoir Nafaa Ennaifer et c’est un modèle de réussite. Le CA doit être composé d’experts, d'acteurs du secteur privé et d'administrateurs indépendants, a précisé Moez Joudi, président de l’association Tunisienne de Gouvernance. Hatem Salah, professeur d’économie à L’ESC et administrateur à la STB, a ajouté qu’il faut également valoriser le travail des différents comités au sein de l’entreprise. L e ministre Taoufik Errajhi s’est prononcé pour revoir le complément de la loi 89-9. Deux secteurs prioritaires ont été identifiés, à savoir le transport et l'industrie. Il a également mentionné que la responsabilité sociétale de certaines sociétés, en l’occurrence celles du secteur du phosphate, relèvera des attributs de la région. La majorité des intervenants se sont accordés sur l’importance de la disponibilité des informations. “Il faut pousser à plus de transparence”, a rétorqué Moez El Joudi. Et Sami Cheffi d’ajouter : “Il faut également de la transparence dans l a méthodologie de gestion des cas d’entreprises publiques”.
Les ressources humaines : le nerf du succès
Constat d’évidence : nous vivons dans une époque où le facteur de compétitivité est le capital humain. Il est grand temps de démystifier ! Restructuration ne rime pas avec suppression d’emploi. Supprimer les effectifs à lui seul ne suffit nullement, il faut embaucher des qualifications, et surtout des personnes qui maîtrisent l’ingénierie de la restructuration, a indiqué Nafaa Ennaifer. Bien au contraire, Hédi Baccour, DG de Magasin Général, a en peu de mots impressionné les participants en mettant en évidence les performances de Magasin Général. Hier, sous la houlette de l’état, entreprise moribonde et dernière de la classe, devenue en si peu d’années leader dans la grande distribution. Sa capitalisation boursière a explosé, elle détient le record des investissements et a développé une politique inédite de formation et de plan de carrière du personnel dont l’effectif a considérablement grandi. De son côté, Fadhel Kraiem a insisté sur l’importance de pouvoir introduire des mécanismes de gestion de ressources humaines qui permettent de capter et retenir les talents. Et de ne pas lésiner sur leur valorisation, a complété Lotfi Dabbabi. Nabil Smida a précisé, quant à lui, qu’il est impératif pour pouvoir gouverner de récompenser le mérite et la performance et de mettre en place un système de rémunération sur variable. Ceci est nécessaire pour la survie de ces entreprises, mais c’est indispensable quand il s’agit d’entreprises qui agissent dans des marchés concurrentiels, renchérit Fadhel Kraiem, non sans connaissance de cause.
Réformes financières, c’est là que le bât blesse
Il faut injecter des fonds, martèle Fayçal Derbal, mais les caisses sont vides selon Taoufik Errajhi. Nefaa Ennaifer persiste et signe “si la vision est claire, les fonds suivront”... A bon entendeur !