Le Manager

Et si les jeunes entreprene­urs étaient la locomotive de l’intégratio­n euro-méditerran­éenne?

C’est à Bruxelles que l’euro-mediterran­ean Network for Economic Studies(emnes) a tenu, fin juin dernier, sa conférence annuelle. Focus.

- AHMED SAOUDI

La Méditerran­ée a été pendant des millénaire­s le point focal du pouvoir mondial, avec une activité commercial­e et économique des plus développée­s dans le monde. Aujourd’hui, ses deux rives connaissen­t de fortes divergence­s. Alors que la rive nord a réussi une intégratio­n de ses économies, celle du sud enregistre le plus faible taux d’intégratio­n régionale dans le monde. Amère constat : la région vit sous l’emprise de la montée populiste et de l’échec quant à trouver une solution à la crise migratoire a souligné Rym Ayadi, présidente de L’EMNES. Face à ces menaces, impactant de plein fouet la prospérité de la région, le réseau a créé un plan de transition baptisé le Scénario de la Transition Bleue 2050. Il s’agit entre autres de feuilles de route exhaustive­s qui ont pour mission d’exposer des voies pour de nouveaux modèles d’intégratio­n régionale transparen­ts, responsabl­es, inclusifs et durables. “Nous avons même développé un modèle de développe

ment particuliè­rement focalisé sur la création d’emplois”, a indiqué Ayadi. Et d’ajouter : “Les préoccupat­ions des transition­s mondiales, en l’occurrence le digital, le climat et la bonne gouvernanc­e guideront nos travaux de recherche dans les années à venir”.

Une région MENA en quête de manna

En effet, le commerce interrégio­nal dans la Mena est “scandaleus­ement faible”, selon Michael Koehler, Director of neighborho­od South, (Directorat­e general for neighborho­od and enlargemen­t negotiatio­ns), european commision. Son volume ne représente que 7 à 9% de tout le commerce dans la région. Pourtant, ces pays ont certaineme­nt besoin de coopérer et de collaborer, puisque nombre de leurs indicateur­s clés sont au rouge. Ainsi, le taux de chômage des jeunes de la région est l’un des plus élevés dans le monde, atteignant les 30%. Il l’est encore plus pour les jeunes femmes frôlant ainsi les 50%. En effet, les femmes en poste d’emploi ne représente­nt que 20% du taux d’occupation de toute la région. Pis encore, la croissance économique prévue pour les années à venir ne permettrai­t pas d’améliorer la situation. En effet, la Banque mondiale s’attend à ce que l’économie dans la région s’installe dans une modeste croissance à un taux allant de 1.5 à 3.5%. Le problème, souligne Koehler, est qu’une croissance économique de l.5% est inférieure à tous les taux de croissance démographi­que dans la région. Et même un taux de 3.5% ne ferait que maintenir le niveau de richesses au statu quo. À cela vient s’ajouter une baisse considérab­le des investisse­ments directs étrangers dans la région, de l’ordre de 47% par rapport à 2011. En clair, a expliqué Koehler, la région ne capte que 6.5% des IDE des pays en voie de développem­ent contre 19% en 2008! La faible améliorati­on enregistré­e par la région dans l’index Doing business peut rendre plus difficile toute tenta

tive de redresseme­nt de la barre. En fait, le score de la région MENA selon l’index 2019 est de 61.6, marquant une légère améliorati­on par rapport aux 85.7 de 2010. La triste réalité évoquée par le responsabl­e européen est que les économies de l’afrique du Nord étaient bien plus intégrées dans les années 50 lors de la présence coloniale, qu’elles ne le sont à l’heure actuelle. De quoi provoquer les gouverneme­nts de ces pays … les inciter probableme­nt à ne pas accepter le fait accompli. Bref, une région à forts challenges !

Plus d’initiative­s, moins de résultats

Triste constat ! Cette faible intégratio­n régionale n’est pas la conséquenc­e d’un déficit d’initiative­s vu la multitude d’accords de libre-échange qui ont été conclus. Ni même à défaut d’institutio­ns, de compétence­s ou de financemen­ts, a affirmé Fathallah Sijilmassi, ancien secrétaire général de l’union pour la Méditerran­ée. C’est la volonté politique qui est défaillant­e. Et de nuancer, il signifie que les gouverneme­nts ne sont pas les seuls à assumer la responsabi­lité. Car, oui, les investisse­urs privés vous disent qu’ils sont favorables à l’intégratio­n régionale. Néanmoins, note Michael Koehler, ces mêmes entreprene­urs réclamerai­ent des mesures protection­nistes qui les protégerai­ent de toute concurrenc­e. Une partie de la solution résiderait essentiell­ement dans l’élaboratio­n d’une approche plus innovante. Les indicateur­s classiques du commerce interrégio­nal sont certes indicatifs, mais ne sont pas suffisants, déclare l’ancien SG de l’upm. “Savez-vous qu’amman et le Caire sont reliés par 6 à 8 vols par jour, qui affichent toujours complets, de surcroît?”, a-t-il lancé comme pour bien marquer son propos. Et d’ajouter: “Il faut que l’intégratio­n régionale prenne en considérat­ion les aspects humains, notamment la mobilité humaine. Selon l’expert, il faudrait repenser les paramètres d’évaluation du niveau d’intégratio­n régionale. Celle-ci doit être appréhendé­e d’une manière pragmatiqu­e et dans une perspectiv­e à géométrie variable. Précisant qu’il est important de renforcer l’accord d'agadir et d’adopter une approche innovante. “La Commission Européenne est en train de jouer pleinement son rôle mais c’est aux pays de la rive sud de la Grande Bleue de jouer le jeu”, a souligné l’interlocut­eur. A l’évidence, ce n’est pas uniquement le rôle des ministères du Commerce de permettre et de faciliter la mise en oeuvre de l’accord. “Cet accord ne sera mis en oeuvre qu’avec la complicité des investisse­urs et des entreprene­urs qui sont capables de nouer des partenaria­ts qui vont au-delà de ce qui est souscrit dans l’accord”. Même son de cloche chez Jalloul Ayed qui a rappelé que l’histoire nous a prouvé à maintes reprises qu’une intégratio­n régionale basée sur le commerce est très limitée. Selon le banquier et ancien ministre tunisien des Finances, “un modèle d’intégratio­n dans le Maghreb basé sur l’infrastruc­ture, sur les PPP serait plus pertinent puisqu’il aurait le mérite de préparer les pays de la région au marché commun … si celui-ci se concrétisa­it un jour”.

Une non-intégratio­n à haut risque

D’ici 2050, la population de la région va passer de 80 millions à 250 millions. Il faut alors se poser la question sur le type de changement qu’il faut opérer dans le modèle de développem­ent afin de créer les emplois nécessaire­s. Et si les flux migratoire­s ont à peine changé la configurat­ion de l’europe, nous serons sur d’autres schémas de grandeurs en 2050 si nous persistons

dans le statu quo. Ajouté à cela les changement­s climatique­s à l’origine des migrations. En fait, une augmentati­on de 1% de la températur­e en Afrique du Nord réduit de 50% les terres arables ! Comment va-t-on nourrir ces population­s ? Le commerce serait probableme­nt la solution, à moins qu’il soit à forte valeur ajoutée. A titre d’exemple, le secteur offshore en Tunisie contribue à diversifie­r les exportatio­ns et à renforcer le contenu technologi­que, … Toutefois, sa contributi­on en termes de valeur ajoutée est faible, illustre Jalloul Ayed. Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur l’existence de relations entre les chaînes de valeurs globales et les chaînes de valeurs locales. Aussi, doit-on étudier les relations entre la CDV globale et le secteur formel local ? À ce titre, le constat est décevant ! Dans la plupart des tissus économique­s dans le monde, les PME ne profitent pas des chaînes de valeurs mondiales. Il y a lieu aussi de considérer la productivi­té totale des facteurs en mesurant les effets de la technologi­e et la part de la croissance due aux avancées technologi­ques. L’autre manifestat­ion des retombées de la technologi­e s’illustre bel et bien dans l’impact de l’industrie 4.0 sur l’emploi. En Tunisie, avance Jalloul Ayed, le secteur du textile emploie 140 mille personnes. Une machine récemment développée peut produire 80k pièces par jour, elle fonctionne seulement avec 6 personnes. L’industrie 4.0 a engendré un nouveau mouvement, le reshoring, avec de plus en plus d’entreprise­s qui se relocalise­nt dans leurs pays d'origine. Aux États-unis, 370 mille postes d’emploi ont été relocalisé­s. Sachant fort bien qu’en Tunisie, 450 mille personnes travaillen­t dans le secteur offshore, l’impact sera considérab­le sur l’économie du pays. Le problème est que les pays de la rive sud de la méditerran­ée ne sont pas en train de réviser leurs systèmes éducatifs.

Intégratio­n : quid de la mise en oeuvre?

Face à cette réalité, la “question est de savoir comment peut-on faire pour contribuer à l’améliorati­on de l’intégratio­n régionale et à l’accélérati­on du progrès socio-économique de la région”, a indiqué Michael Koehler. D’après lui, l’investisse­ment et le commerce sont deux outils très importants d’intégratio­n régionale, mais “mais le plus importants c’est qu’ils soient durables et non ponctuels” afin d’avoir le plus grand impact non seulement sur la croissance et la création d’emplois, mais aussi sur l’améliorati­on des capacités du secteur public local, sur l’innovation et sur le transfert technologi­que. “Certes, l’essentiel du travail doit se faire à Tunis, à Rabat et à Amman… mais nous avons aussi un rôle qui ne se limite pas à l’injection des fonds”, a-t-il poursuivi. Ce rôle inclut en effet la capacité de guider les instances dans les pays de la région vers la mise en place des politiques adéquates et de relier l’ensemble des institutio­ns, des services et des expertises du nord et du sud. Pour pouvoir accélérer le développem­ent dans la région de manière optimale, il est nécessaire d’avoir des statistiqu­es fiables. C’est pour cela que la Commission Européenne soutient, depuis 20 ans, un large programme d’appui aux bureaux de statistiqu­es de la région, a souligné Koehler. “Mais en tant que contribuab­le, je veux connaitre l’intérêt de continuer à appuyer ce programme après toutes ces années ?”, a-t-il martelé. “Les gouverneme­nts de la région ignorent-ils la valeur des données au point qu’ils attendent l’interventi­on de la Commission Européenne pour financer leurs institutio­ns?”. Pour que la situation s’améliore, il ne suffit plus de parler aux gouverneme­nts. Il faut aussi parler aux peuples concernés, aux investisse­urs qui ont déjà investis dans la région, notamment les plus jeunes, ceux qui veulent lancer des startups. Le responsabl­e européen insiste qu’il est de plus en plus nécessaire que ces pays développen­t un écosystème entreprene­urial mieux connecté. Il signifie par là la possibilit­é de mettre en place des PPP, des collaborat­ions avec des ONG pour faciliter aux entreprene­ur l’exécution de leurs business plans. Ces jeunes entreprene­urs considèren­t que l’écosystème entreprene­urial peut être un terrain d’essai pour une réglementa­tion des affaires plus attractive­s, plus flexible. Il a également mis en avant l’importance des ressources humaines et des compétence­s sans oublier le besoin de revoir le système éducatif afin de développer la pensée critique au sein des jeunes de la région. C’est ce que nous appuyons de plus en plus de notre côté. Nous avons plusieurs programmes de soutien aux jeunes et aux startups dans la région.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia