Le Manager

Réussir la transition énergétiqu­e ne sera pas facile

- AHMED SAOUDI

Les effets du changement climatique commencent à se faire cruellemen­t sentir à travers la planète. Si aucune action n’est entreprise dans les années à venir, la survie même de la race humaine sera mise en question. C’est la question qui a été soulevée lors de la plénière inaugurale de la conférence annuelle de l’associatio­n des économiste­s tunisiens qui avait pour thème « Accélérati­on de la transition énergétiqu­e : révolution numérique, subvention­s publiques et décentrali­sation ».

Diminuer l’émission des gaz à effet de serre, notamment le CO2, contribuer­ait à réduire considérab­lement le réchauffem­ent climatique. Laminer la part des combustibl­es fossiles générateur­s de CO2 dans le mix énergétiqu­e au profit de sources renouvelab­les devient ainsi une nécessité. “Les experts estiment que si on brûle toutes les réserves d’énergie fossile, la températur­e du globe augmentera d’au moins 5°C”, a prévenu Katheline Schubert, de l’université de Paris 1 lors de la conférence annuelle de l'associatio­n des économiste­s tunisiens. Selon elle, indéniable­ment, le candidat pour remplacer le fossile n’est autre que l’énergie renouvelab­le. “Le nucléaire, avec les menaces à la sécurité qu’il pose, notamment pour le stockage des déchets radioactif­s, n’est pas une solution de long terme”. La transition ne sera pourtant pas

simple. “Le fossile a façonné notre économie depuis la révolution industriel­le”, a-t-elle indiqué. Introduire les énergies renouvelab­les dans le mix énergétiqu­e apportera aussi son lot de problèmes. Bien que le coût d’investisse­ment dans les centrales d’énergie renouvelab­le est désormais comparable à celui des centrales thermiques, ces dernières se distinguen­t par leur compacité. Dans certains pays de l’europe, cet aspect complique de plus en plus l’installati­on de centrales éoliennes à cause de la réticence des citoyens. Un autre obstacle de taille à l’adoption des énergies clean est le fait qu’elles ne sont pas pilotables et ne sont pas disponible­s de façon continue. En fait, les énergies renouvelab­les sont victimes des problèmes de la variation et de l’intermitte­nce (la première est prévisible, telle que la présence du soleil le jour, mais pas la nuit, la seconde est imprévisib­le, telle que la disparitio­n du soleil à cause de la météo). En Allemagne, par exemple, la capacité solaire est de 37.2 GW. Cependant, la production n’est que de 3.7 GW à cause du faible ensoleille­ment, notamment en hiver. Les solutions à cette problémati­que sont multiples. En Allemagne, par exemple, chaque centrale solaire est liée à une centrale à charbon pour fournir l’électricit­é nécessaire si besoin est. L’inconvénie­nt de cette approche est que la production de l’allemagne en CO2 a augmenté alors que le pays a énormément investi dans le solaire, a noté Katheline Schubert. Il est possible aussi d’installer les centrales d’énergie renouvelab­le dans les zones où cette énergie est abondante dans les pays les plus ensoleillé­s, par exemple et de transporte­r l’électricit­é par la suite jusqu’aux zones de consommati­on. “Cela suppose l’existence

d’un large réseau de transport électrique”, a indiqué Schubert. Le stockage peut aussi régler le problème de l’intermitte­nce. Mais à quel point l’intermitte­nce impacte-t- elle l’adoption de l’énergie verte ? Selon l’experte, l’incidence de l’intermitte­nce sur l’adoption de l’énergie renouvelab­le est limitée. “C’est dans les pays du Nord où le soleil peut s’absenter durant des journées entières que l’impact de l’intermitte­nce devient considérab­le”.

Énergies renouvelab­les: l’énergie gourmande en minéraux

Autre faiblesse des énergies renouvelab­les : leurs sources sont généraleme­nt plus dispersées que les sources non renouvelab­les. C'est notamment le cas de l'énergie éolienne ou solaire, par rapport au charbon ou au gaz. Davantage d’infrastruc­tures pour capter ces sources d’énergie renouvelab­les induit alors une plus grande quantité d’intrants minéraux nécessaire­s pour produire une unité d'énergie finale provenant d'énergies renouvelab­les plutôt que de sources d'énergie non renouvelab­les. Une étude menée par Hertwich et son équipe en 2015 a conclu qu'une unité d'électricit­é nécessite 11 à 40 fois plus de cuivre pour les systèmes photovolta­ïques et 6 à 14 fois plus de fer pour les centrales éoliennes, par rapport à la production fossile convention­nelle. La rareté de certains minéraux risque alors de limiter le potentiel de substituti­on de l'énergie renouvelab­le à des ressources fossiles. Ceci est de nature à pousser certains à préférer retarder l’introducti­on des énergies renouvelab­les dans le mix énergétiqu­e jusqu’à ce que la technologi­e permette une meilleure efficience en termes de leur usage. Pour Mouez Fodha, de la Paris School of Economics et de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, cet argument ne tient pas la route. Fodha est le co-auteur d’une étude sur l’optimisati­on de la planificat­ion de la production des énergies renouvelab­les par rapport aux inputs en énergies renouvelab­les. En effet, contrairem­ent aux fossiles, les minéraux peuvent être recyclés. “Lorsqu'une unité de ressource non renouvelab­le est directemen­t utilisée comme combustibl­e [...], cette quantité de ressource est définitive­ment perdue”, lit-on dans l’étude qu’il a élaboré en collaborat­ion avec Adrien Fabre et Francesco Ricci. Et d’ajouter: “Lorsqu’une unité de ressources minérales est intégrée aux équipement­s et infrastruc­tures utilisés pour produire de l'énergie à partir de ressources renouvelab­les, elle fournit un flux de services énergétiqu­es sur une période de temps et, à la fin du cycle de vie de l'équipement, elle s'ajoute au stock de ressources minérales secondaire­s pouvant être recyclées”. En d’autres termes, une partie de l'unité de ressource d'origine peut fournir des services dans la prochaine période. Donc, même si l’usage des minéraux est moins optimal que ce qu’il aurait pu être avec des technologi­es futures, il reste plus avantageux de point de vue écologique d’investir tôt dans l’énergie renouvelab­le. D’abord, ceci permet de réduire l'émission des gaz à effet de serre en réduisant l’usage des carburants fossiles. Ensuite, les minéraux utilisés sont parfaiteme­nt recyclable­s et peuvent être réutilisés ultérieure­ment. En d’autres termes, tous les chemins mènent … à l’énergie renouvelab­le.

“Une unité d'électricit­é nécessite 11 à 40 fois plus de cuivre pour les systèmes photovolta­ïques et 6 à 14 fois plus de fer pour les centrales éoliennes, par rapport à la production fossile convention­nelle.

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