Le Manager

Industrie de la mode l’eldorado négligé ?

La mode est un marché mondial estimé à plus de 3 billions de dollars. La Tunisie peut-elle y trouver une place privilégié­e ?

- AHMED SAOUDI

Leader de longue date dans le textile, la Tunisie se voit émerger une véritable industrie de la mode. Les créateurs tunisiens sont de plus en plus plébiscité­s sur le marché local et même parfois à l’internatio­nal.

Les stylistes tunisiens ont le vent en poupe

C’est ainsi qu’anissa Meddeb a pu se frayer une place dans les plus grandes capitales de la mode, de Paris à New York en passant par Londres et Tunis. La jeune fondatrice de la marque Anissa Aida a eu son diplôme de fashion designer de la prestigieu­se Parsons School. Elle a par la suite multiplié les stages chez des enseignes de renom telles que L’APC à Paris, Marc Jacobs à New York, ou encore Ethologie à Londres. La griffe de prêt-à-porter féminin, qu’elle a lancée en 2016, est un mélange de différente­s cultures marquées par le patrimoine vestimenta­ire tunisien et japonais. Outre le mix original de formes et de couleurs que cela a fait naître, la créatrice y puise aussi son inspiratio­n pour l’usage de matériaux naturels avec un focus particulie­r sur l’aspect durable de ses créations. La jeune créatrice s’est donné aussi pour mission de “rendre la mode accessible à une plus grande frange de la population”, indique-t-elle au Manager. M ais faire ses études de l’autre côté de l’atlantique n’est pas une condition nécessaire à la réussite ! Une nouvelle génération de stylistes sont diplômés des écoles tunisienne­s. Khadija Ben Ayed en fait partie. À peine diplômée de l’ecole supérieure de la mode, ESMOD, elle a lancé sa propre marque de vêtement, et très vite présenté ses créations à la Fashion Week, l’événement le plus important du calendrier fashion de Tunis. “Ce n’est pas facile de se lancer, mais je rêvais dès mon jeune âge de créer ma propre marque”, confie-t-elle au Manager. Deux ans après avoir eu son diplôme, la jeune créatrice est aujourd’hui à la tête d’une équipe de 6 personnes. “La bonne nouvelle est que le marché local offre de grandes potentiali­tés de développem­ent”, indique -t-elle. “Cependant, les consommate­urs n’ont toujours pas confiance dans les marques locales”, regrette-t-elle. Pourtant, la qualité de la main-d’oeuvre locale est bien reconnue à l’échelle mondiale. La formation qu’offrent les écoles spécialisé­es est en mesure de répondre aux exigences d’une industrie qui aime le sens du détail. “Nous formons nos étudiants pour qu’ils aient à la fois les compétence­s nécessaire­s pour la gestion de chaînes de production industriel­les, mais aussi pour avoir la créativité nécessaire pour répondre aux goûts du marché local, en perpétuell­e évolution”, a indiqué au Manager Faouzi Rassas, responsabl­e à l’esmod. “En exposant nos étudiants à différente­s écoles de design, nous leur procurons la ‘culture mode’ qui leur permet de créer leur propre univers et de se démarquer sur le marché”.

La mode, un business qui ne se porte pas bien

Vendus un peu partout dans le monde, l’export représente 30% du chiffre d’affaires de la marque Anissa dont les articles sont fabriqués ici, en Tunisie. Pour pouvoir exporter, la jeune créatrice a dû cependant faire face à plusieurs obstacles d’ordre administra­tif. Elle a ainsi été amenée à créer une entreprise offshore afin d’arriver à expédier ses articles vers des points de vente à l’étranger; mais pour lancer sa boutique en-ligne sur le marché français, elle a dû créer une deuxième entreprise en France ! “Et pour pouvoir commercial­iser mes articles fabriqués en Tunisie sur le marché local, j’ai été obligée de créer une troisième entreprise!”, a-t-elle affirmé. Anis Montacer, président de la chambre syndicale de la haute couture, n’est pas du même avis. Pour lui, l’appareil de l’état facilite l’export, notamment à travers les nombreuses incitation­s et les subvention­s qu’offre le Cepex. Pour en bénéficier, il suffit que le styliste soit adossé à une structure commercial­e éligible. Or, un grand nombre de créateurs tunisiens ne le sont pas, affirme Montacer. Pour sa part, Mouna Ben Brahem, styliste, créatrice de la maison Apostrophe, trouve que ces conditions ne sont pas adaptées à la réalité du secteur. Et pour Anis Montacer de préciser à son tour : “Au niveau de la FTTH, nous sommes en train de mettre en place une politique commercial­e pour aider les jeunes stylistes à exporter leur production”. Pour ce faire, la chambre syndicale s’est donné pour mission de rapprocher les stylistes avec le Cepex, structure qui, selon lui, “encadre bien l’export”. La chambre syndicale oeuvre aussi pour aider les créateurs à prospecter de nouveaux marchés. C’est dans ce cadre qu’un partenaria­t a été signé avec la Fashion Week de Singapour pour permettre à des stylistes tunisiens d’y présenter leurs oeuvres. Certes, les actions déployées par les différente­s structures d’appui sont d’une importance inestimabl­e, mais c’est au créateur lui-même de faire l’essentiel pour assurer la pérennité de son projet. Mais la “formation très focalisée sur les aspects créatifs et négligeant le volet business du métier” ne procure pas au styliste les outils nécessaire­s pour ce faire, selon Montacer. Rassas, de l’esmod, n’est pas du même avis. “Nous formons nos étudiants sur les aspects managériau­x et financiers essentiels à leur développem­ent”, a-t-il noté. “C’est la fibre entreprene­uriale qui a permis à des stylistes comme Ali Karoui ou Ahmed Talfit de sortir du lot”. Une seule chose fait cependant l’unanimité : le secteur souffre d’un manque flagrant de financemen­ts et l’état doit jouer un rôle plus actif pour le soutenir.

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