Le textile tunisien Innover ou mourir
L’industrie du textile et de l’habillement est l’un des principaux moteurs de l’économie tunisienne. Son développement était l’un des choix stratégiques de l’etat depuis les années 1960. Sur les cinq premiers mois de 2019, le solde net des exportations de ce secteur se chiffre à 793 millions de dinars. Il constitue ainsi l’un des rares domaines d’activité qui affichent un solde positif. Mais pour conserver ce statut et le renforcer, il faut mettre à jour la stratégie nationale.
C’est la composante la plus importante dans le coût de fabrication des articles de textile, surtout lorsqu’il s’agit d’un produit final de qualité.
La matière première, largement incontrôlée
Prenons l’exemple du coton, cette fibre végétale prélevée à partir de la fleur de coton et qui est l’élément le plus utilisé dans le monde. Il en existe des centaines de variétés. La production mondiale est largement dominée par la Chine, l’inde et les Etats-unis qui s’accaparent ensemble près de 60% de la production mondiale. La Tunisie n’est pas un producteur de coton et une première expérience vient d’être lancée à Kairouan et à Mateur. Bien que les résultats soient encourageants, nous restons loin d’atteindre la couverture de nos besoins. Nous restons des importateurs nets de coton, ce qui nous rend dépendants de l’évolution des prix de cette matière sur les marchés. Les fluctuations des prix restent très importantes. En juin 2018, le cours du coton a atteint son plus haut sur 5 ans avant de reculer fortement. Là, il faut bien comprendre la logique de fonctionnement de ce marché. Les surfaces cultivées dépendent en fait des cours, en particulier dans les pays qui n'accordent pas de subventions aux agriculteurs. Autre facteur important : les conditions climatiques. L’exemple le plus récent est celui des Etats-unis. Depuis la deuxième moitié du mois de mai 2019, le prix du coton a baissé. La raison : la forte humidité dans les principales zones de production qui est favorable à la production de la fibre blanche. Le marché a donc anticipé une production plus importante que celle initialement prévue. Quelques semaines auparavant, les prix avaient augmenté en raison des inondations. L’évolution des cours à l’échelle internationale reste aussi fortement influencée par la production indienne et pakistanaise. Les industriels tunisiens ne peuvent que subir, surtout avec l’impossibilité de mettre en place des stratégies de couverture.
La main- d’oeuvre, un avantage comparatif limité
Une autre composante déterminante dans la compétitivité du pays reste le coût de la main- d’oeuvre. L’asie reste la zone où le coût de l’emploi est le moins cher. En Tunisie, la plupart des employés du secteur sont payés au taux horaire minimum de 1,722 TND, soit moins de 0,5 €. A titre de comparaison, il est de 0,82 € en Algérie, de 1,20 € au Maroc et de 2,23 € en Turquie. En Europe, le coût est trois fois plus cher vu le respect de toutes les normes environnementales et sociales en vigueur. Mais si le coût de la Tunisie
est compétitif, il reste très loin d’un pays comme l’ethiopie, où le salaire mensuel moyen de la main-d’oeuvre dans le secteur est de 23 € seulement. Conséquence : en moins d’une année, le pays a pu attirer plus de 2,5 milliards de dollars d’investissements étrangers dans le seul secteur du textile. Les conditions de travail dans ce pays restent difficiles mais les grands groupes internationaux continuent de profiter de ce cadre qui leur permet une marge plus importante.
Le changement s’impose
Le positionnement de la Tunisie, en tant que plateforme pour l’export du textile, est menacé à long terme. Nous ne maîtrisons pas les intrants et nous perdons en compétitivité coût. La proximité géographique reste un avantage réel, mais avec des logistiques peu efficaces, cet avantage tend à disparaître progressivement. Après la révolution, le secteur a enregistré une réduction des donneurs d’ordres étrangers, frappant ainsi les professionnels de plein fouet. Le tissu industriel comporte près de 1 700 entreprises totalisant plus de 160 000 emplois. Pour préserver ce gisement, il faut travailler sur les points faibles du secteur, à savoir les activités couvrant la conception, le prototypage, l'approvisionnement, la distribution et la commercialisation. L’une des branches à développer est le textile technique, où la valeur ajoutée est plus importante. Cette gamme est intégrée à d’autres matériaux et employée pour leurs performances techniques dans plusieurs domaines, comme le secteur automobile, aéronautique, électronique, génie civil et médical. La taille de ce marché est de plus de 234 milliards de dollars en 2017 et les projections l’estiment à 335 milliards de dollars en 2025. Il faut donc prendre sa place dès aujourd’hui surtout que nos clients traditionnels (France, Italie et Espagne) sont des consommateurs de ce genre de produit. L’autre axe est celui de l’environnement. Le projet "Tunisia Sustainable Fashion" qui vient d’être lancé vise à évaluer l’impact de l’industrie du textile sur l’environnement afin d’en faire un secteur écologique. C’est un thème à la mode et qui nous permettra de déverrouiller certaines destinations. Pour ceux qui ne le savent pas, l’industrie du textile est le deuxième pollueur au monde.
Il y a également le recyclage. C’est une opportunité pour attirer des investissements importants capables de rendre les matières recyclées aussi rentables que les matières vierges. Le recyclage mécanique du coton est aujourd’hui maîtrisé, mais il dégrade la qualité de la fibre. Un nouveau vêtement ne peut contenir plus de 20 % de fibre recyclée. En revanche, la laine peut être recyclée plusieurs fois et il est possible de transformer du coton en une fibre artificielle. Il faut juste se rappeler que pour des clubs comme Manchester United, le Bayern Munich, la Juventus Turin et le Real Madrid, Adidas a fait le choix d’offrir des maillots pré-match issus de la collecte de bouteilles recyclées.