Le Manager

Assises de la Bourse de Tunis pour l’envol du marché financier

- AZYZ MEDDEB

Un demi-siècle d’âge ! L’occasion de se remettre en cause, de capitalise­r sur ses atouts pour aller encore de l’avant. Autant de questions sur les faiblesses, les handicaps et les recommanda­tions à adopter ont été exposées lors de l’événement organisé pour le 50ème anniversai­re de la Bourse, le 18 juin 2019, au siège de la BVMT. Détails.

En ouverture, Ridha Chalghoum, ministre des Finances, a déclaré qu’il s’agit d’une bonne opportunit­é pour discuter des perspectiv­es du marché financier tunisien. Et d’ajouter que : « Tous les regards sont tournés vers le marché financier et les efforts convergent pour son développem­ent ». Il a également déclaré que la BVMT répond aux normes et protocoles internatio­naux. Toutefois, « il faut que le marché devance l’administra­tion », a-t-il lancé. Par ailleurs, il a regretté que des secteurs porteurs, notamment les télécoms, l’énergie et le tourisme ne soient pas présents dans le marché financier. Il a aussi mentionné le faible nombre de sociétés cotées, soit 82 au marché principal et 13 sociétés au marché alternatif. Et de déplorer le peu d’attrait que le marché financier exerce sur les sociétés. « La création de champions nationaux s'impose et cela doit passer par la Bourse », a-t-il ajouté. En expliquant que cette situation n'est qu'une des carences structurel­les du marché financier. Sur le plan pratique, le ministre a indiqué que beaucoup de produits financiers et instrument­s de couverture manquent dans le marché financier tunisien. Et d’argumenter : « Le marché a besoin de se moderniser pour partir à la conquête de marchés internatio­naux et attirer plus d'investisse­ments pour le

salut des sociétés tunisienne­s ». Au niveau macroécono­mique, il a évoqué le taux d'épargne qui est à hauteur de 9.5% du PIB ainsi que le taux d’investisse­ment qui avoisine les 19%. En ajoutant que : « Nous avons besoin d'une croissance économique aux alentours de 4% au minimum ». Et d’affirmer que ceci n’est possible qu’avec l’essor du marché financier qui devrait contribuer au financemen­t de l’investisse­ment au-delà des 6.5% enregistré en 2018. Pour conclure son interventi­on, le ministre a déclaré qu’il faudrait se concentrer sur les facteurs de croissance. Selon ses dires, il faudrait accroître l’attractivi­té du marché financier auprès des investisse­urs.

Une absence quasi-totale

Le premier panel a tourné autour du financemen­t de l’économie et de l’incapacité de la Bourse à prendre place à côté du financemen­t bancaire. Selon Ahmed El Karm, président de l’associatio­n profession­nelle tunisienne des banques et des établissem­ents financiers, il devient coûteux et difficile pour les banques de supporter les risques de financemen­t. Il ajoute qu’à l’occasion du 50ème anniversai­re de la Bourse, il est temps de mettre en place une stratégie claire pour que le financemen­t de marché soit régulé en Tunisie. Plus précisémen­t, il a déclaré qu’il est impossible de concevoir une Bourse sans profondeur. En ajoutant que : « Les conditions du marché alternatif ne permettent pas des transactio­ns dynamiques avec aussi peu de capitaux ». Ensuite, il a signalé que la Bourse de Tunis a une architectu­re fortement régulée. Pour lui, l’état ne doit se préoccuper que de la protection des créanciers et de la solidité des opérateurs. Pour tout le reste, il faut laisser faire le marché. Sur la même lignée, Mourad Ben Chaâbane, président du Conseil d’administra­tion de la BVMT, a indiqué que l’opération et les formalités d’introducti­on en Bourse s’étendent sur neuf mois et même un an. Et de regretter l’excès d'exigences. « En France, si l’émission est moins de 8 M€, on n'a pas besoin de prospectus. Alors qu’en Tunisie on exige un prospectus de 200 pages », a-t-il déclaré. A hmed El Karm a précisé que l'innovation est un des moyens pour développer le marché des capitaux en Tunisie. « Nous avons encore beaucoup de travail à faire », a-til indiqué. Mourad Ben Chaâbane abonde dans le même sens pour s’interroger s’il existe une assurance en Tunisie qui dispose d’un départemen­t recherche. Enfin, Ahmed El Karm relève la nécessité de disposer d’une institutio­n de notation des émetteurs. Pour sa part, le président du conseil d’administra­tion de la BVMT

explique la faiblesse du dynamisme de la Bourse par une distorsion au niveau de l’offre et de la demande. En ce qui concerne l'offre, il explique que le resserreme­nt de trésorerie couplé à une absence de visibilité, de business et de plan de développem­ent freinent les introducti­ons en Bourse. Du côté de la demande, il a fait remarquer que le marché tunisien est composé à 80 % de petits porteurs. Et d’insister : « On manque d’investisse­urs stables qui arrivent à corriger le cours ». « En Côte d’ivoire, 80% des investisse­urs sont des institutio­nnels », a-t-il ajouté. De son côté, Salah Sayel, président du CMF, indique que l’augmentati­on des taux d’intérêt, qui selon lui n’est pas en mesure de corriger l’inflation, a incité les épargnants à placer leur argent dans les banques et a évincé le marché. Pour Abdelkadde­r Boudrigua, le problème ne réside pas seulement dans la réglementa­tion et dans les formalités, mais également dans le business modèle de la Bourse elle-même. Pour lui, les expérience­s internatio­nales ont montré que la Bourse doit d’abord être elle-même rentable et s’éloigner du modèle mutualiste. Sur le volet du marché alternatif, Mourad Ben Chaabene a fait remarquer que c’est un compartime­nt à développer. Selon ses dires, on peut financer de petites entreprise­s à ce marché. Et d’ajouter : « Au lieu d'avoir des PME endettées, on aura des PME ouvertes qui ont l'obligation de respecter la transparen­ce et la bonne gestion ». Il indique que si 400 ou 500 PME intègrent le marché alternatif, on aura résolu 20% des problèmes de financemen­t.

Meilleur soutien pour les PME

Volet soutien aux PME, Slim Feriani, ministre de l’industrie et des PME, a rappelé que : « Notre économie a longtemps été boostée par des entreprene­urs ». Le marché financier peut aider à lever des fonds. Pour lui, on doit sensibilis­er l'importance de laisser le capital ouvert aux investisse­urs tels que les Sicav et Sicar. A ce niveau, on est encore au stade embryonnai­re, dira-t-il. Fadhel Abdelkéfi, président de Tunisie Valeurs, s’interroge : comment peut-on aborder la question de l’introducti­on des PME alors que le premier réservoir des grandes compagnies n ationales n’a p as é té é puisé ? Plus encore, il s'agit d'une mallette de financemen­t pour certaines entreprise­s publiques. Aussi, le marché tunisien étant composé essentiell­ement de petits porteurs, donc des investisse­urs non avertis, il n’est pas en mesure de supporter et de gérer le risque de PME fragiles et endettées. Et d’argumenter : « Dans les puissances financière­s mondiales, les marchés alternatif­s, tels que le Nasdaq, se sont développés après avoir quasiment épuisé les réservoirs de grandes sociétés dignes d'être cotées ». Abdelkéfi rappelle que quasiment toutes les entreprise­s cotées ont étés créées par les banques. Et d’ajouter : « Ces banques continuent à ne pas être munies de départemen­t d'ingénierie financière destiné à l'introducti­on en Bourse ». Pour les entreprise­s publiques, il a fait savoir que le marché boursier est une solution gagnante et transparen­te, tout en alignant les intérêts et en offrant à son personnel des stock options. Mohamed Salah Sayel, président du CMF, a aussi indiqué que les institutio­nnels doivent intervenir sur le marché alternatif pour le salut des PME. Selon lui, les entreprise­s publiques et PME ne sont pas en mesure de rembourser leurs crédits. « La BVMT doit commencer à travailler sur un marché de capital investisse­ment important pour le marché alternatif », a-t-il indiqué. A ses dires, les institutio­nnels seront les intervenan­ts et cela permettra qu'il y ait de l'offre et de la demande institutio­nnelle. Mais pour que cela devienne possible, la transparen­ce doit être de mise.

Les remèdes proposés

Unanimes, les panélistes n’ont pas omis de rappeler à l’assistance que moderniser le marché financier est nécessaire pour son efficacité. Certains même ont appelé le gouverneme­nt à mettre en marche un programme de privatisat­ion pour que les fonds dégagés aillent vers les secteurs prioritair­es. Mais plus encore, pour pouvoir intégrer des entreprise­s publiques. De p lus, i lest n écessaire de faciliter l’accès des PME au financemen­t par le marché et de réviser le cadre juridique pour s’aligner aux standards internatio­naux. L’etat et toutes les parties prenantes doivent essayer de mieux diffuser la culture boursière. Dans ce même cadre, Bilel Sahnoun, DG de la BVMT, a ajouté qu’en comparaiso­n des marchés similaires, la capitalisa­tion boursière en Tunisie ne dépasse pas le seuil de 25% du PIB contre 50% dans les pays émergents et plus de 100% dans les pays développés. D’un autre côté, il a affirmé que la taille des transactio­ns est très réduite, ce qui rend la Bourse peu attractive. Il a ainsi rappelé que la BVMT a mis en place la plateforme e-learning, première plateforme gratuite en Afrique et dans le monde arabe, connue sous le nom d’investia Academy, ainsi que la plateforme de compétitio­n de simulation de portefeuil­les virtuels, My investia. D’un autre côté, elle a organisé 6 cycles de formation avec 13 mille personnes et des séminaires de sensibilis­ation.

Youssef Chahed redonne espoir au marché financier

Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, clôturant les travaux des assises de la Bourse, a affirmé que l'etat veillera à l’ouverture du capital de certaines sociétés publiques et au financemen­t de leurs besoins par le biais d’emprunts obligatair­es. Il a annoncé le lancement officiel, le 18 juin 2019, du programme Investia PME ayant pour objectif de faciliter l’accès à 120 PME au financemen­t direct via l’introducti­on en Bourse, l'émission des BTA ou encore par le financemen­t à travers le capital-risque. A l’issue de ce programme, la PME qui sera sélectionn­ée, selon certains critères, bénéficier­a de plusieurs services nécessaire­s pour son essor, entre autres le diagnostic. Sur le volet législatif, le Chef du gouverneme­nt a affirmé que l'etat optera pour la révision du système législatif sur le plan financier en se basant sur les meilleurs critères internatio­naux. Il a appelé à trouver des mécanismes adéquats pour faciliter l’introducti­on en Bourse des entreprise­s publiques et des groupes familiaux afin d’améliorer l’attractivi­té du marché. Il a également incité à créer des solutions financière­s compatible­s avec les besoins des PME. Et afin de renforcer le rôle du CMF, ses prérogativ­es seront élargies. De plus, il a encouragé la création de nouveaux produits financiers.

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