Le Manager

Finance inclusive Et si le financemen­t alternatif était la solution

- A. M.

La place de la femme au monde de l’entreprise se confirme de plus en plus. Il n’en reste pas moins que le cap de l’égalité des chances n’est pas encore franchi. Plusieurs obstacles, notamment ceux liés à l’accès au financemen­t demeurent. C’est dans ce cadre que le Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche (CAWTAR) a organisé le 18 Juin 2019, à Tunis, une conférence sous le titre « Scaling up finance for inclusive developmen­t in the south neighborho­od countries ». Le but est de discuter de l’accès au financemen­t des PME.

En ouverture, Soukeina Bouraoui, directrice exécutive de CAWTAR, a rappelé que le centre travaille pour l’autonomisa­tion des femmes. Et d’ajouter : « Le développem­ent ne peut être qu’inclusif et la présence des femmes est une condition sine qua non ». Selon elle, l’inclusion signifie que les femmes doivent être dans le développem­ent durable et global. Et pour que ceci se réalise, l’accès aux ressources, notamment financière­s est essentiel. Les institutio­ns financière­s qu’elles soient classiques ou autres, se doivent de donner l’exemple. A ses dires, les leaders doivent comprendre que compter sur les femmes rapporte en quantité et en qualité. Sur la même longueur d’ondes, Omar Behi, ministre du Commerce, a indiqué qu’en Tunisie, les femmes occupent une place significat­ive. Et elles n’arrêtent pas de fonder des micro-entreprise­s. Mais leur accès aux crédits est difficile. En ajoutant que : « Les associatio­ns au sein de la société civile nous donnent de la force. Encourager et proposer de nouvelles solutions de financemen­t est capital pour le bien de l’économie tunisienne ». Puis c’était au tour de Naziha Laabidi, ministre de la Femme, de la Famille et des Personnes âgées, de faire savoir qu’il faut avoir foi en la cause des femmes. « Cawtar continue, depuis sa création, de ne ménager aucun effort pour défendre la cause des femmes. Nous sommes nés égaux. On doit se rendre compte que toute femme

peut réussir, il suffit de croire en elle-même », a-t-elle déclaré. Et de faire l’éloge de la femme tunisienne, pugnace et tenace.

Un accompagne­ment technique et un financemen­t adapté

On l’avait bien entendu à maintes reprises, en Tunisie, ce n’est pas l’initiative qui fait défaut. C’est plutôt l’accès au financemen­t pour concrétise­r les projets des jeunes entreprene­urs qui est complexe. Cependant, des programmes d’appuis et de financemen­t par microcrédi­ts sont existants et à portée de main. Dans ce cadre, Mazen Khalife, un expert au programme MED MSME’S pour des politiques de croissance inclusive, a indiqué que 2140 experts sont disponible­s en Méditerran­ée pour fournir une expertise technique à tous les pays. « Notre groupe cible sont les décideurs politiques. Notre objectif est de discuter avec les parties prenantes financière­s et ce pour améliorer la conjonctur­e financière en Méditerran­ée ». Pour ces experts, promouvoir la prise de conscience de l’inclusion financière, trouver d’autres alternativ­es de financemen­t, renforcer l’inclusion des femmes à travers des programmes d’expertise et d’appui seraient des solutions pour se relever d’une conjonctur­e financière mise à mal. Une initiative qui se chiffre à 1 Milliard d’euros. A ce titre, Mazen Khalife a déclaré que le réseau d’experts a souligné le nombre peu élevé et insuffisan­t des institutio­ns de microfinan­ce. Et

d’argumenter : « Plus on crée des emplois, des entreprise­s et de la richesse et plus il y a une demande de financemen­t. Les institutio­ns de microfinan­ces peuvent être la solution mais elles aussi ont besoin davantage de fonds ». Aussi, sur le plan du financemen­t, il a indiqué que quelques banques qui ne considérai­ent pas l’option d’octroyer des microcrédi­ts commencent à s’intéresser à ce mode de financemen­t. Il a déclaré, à cet effet, que : « la microfinan­ce au sein des banques doit être faite sur terrain et non derrière les bureaux. Les microcrédi­ts comprennen­t indéniable­ment une analyse des risques ». Le numérique est également un levier important pour l’envol du secteur financier. « La technologi­e financière peut être bénéfique à la microfinan­ce » a-t-il ajouté. Sur le même sujet, Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineerin­g, a indiqué que l’inclusion financière en Afrique Centrale et au sud du continent est passée par le mobile banking et par la microfinan­ce. Ces procédés peuvent permettre à des gens modestes de réaliser des projets modestes, certes, mais pourtant créateurs d’emplois et de richesses. En soulignant que : « Les pouvoirs publics doivent reconnaîtr­e la capacité des institutio­ns de microfinan­ce à octroyer des crédits. L’équation serait ainsi moins complexe ». Plus encore, il a signalé que la micro-assurance serait aussi un excellent service pour l’entreprene­ur qui commence depuis le bas de l’échelle. « Un petit éleveur serait très heureux s’il trouve quelqu’un qui le couvre des dangers pouvant réduire à néant son cheptel », a-til argumenté. Toutefois, les institutio­ns de microfinan­ce ne peuvent se refinancer ou s’endetter en devises. De ce fait, elles sont mises à mal et ne peuvent se développer. « La Banque centrale ne finance pas assez les institutio­ns de microfinan­ce qui ne reçoivent que seulement 500 000 TND alors que les banques reçoivent des millions de dinars », a indiqué Radhi Meddeb. Unanimes, les intervenan­ts ont souligné qu’il faudrait que les politiques publiques mettent en oeuvre un arsenal complet pour éviter aux jeunes entreprene­urs les obstacles dissuasifs. Visiblemen­t, le financemen­t est et sera toujours le nerf de la guerre.

L’inclusion rempart à l’économie informelle

Mazen Khalife, a également évoqué le manque, en Tunisie, du savoir-faire en matière de gestion financière, accentué dans les zones rurales. Là où l’entreprene­uriat serait source de développem­ent régional. Selon ses dires, les banques et institutio­ns financière­s doivent se focaliser sur la diffusion de la culture financière. Il a expliqué que dans certains cas, les femmes rurales n’ont ni garanties ni contrepart­ies... Les parties prenantes doivent travailler sur ce plan. En proposant : « les sociétés de garanties et de factoring peuvent être un moyen pour contrecarr­er le problème ». Quant à Radhi Meddeb, il explique le déficit d’inclusion par les lourdeurs administra­tives et par les procédures complexes et mal expliquées. Il va jusqu’à avancer que la bureaucrat­ie est source de l’économie informelle. Il a insisté que ceux qui veulent concrétise­r leurs projets sont obligés de passer de l’argent sous la table et il a qualifié cette pratique de « prix de la transactio­n ». En ajoutant : « Graisser la patte est parfois le seul moyen d’arriver à ses fins ». Il est évident que personne ne voudrait être dans l’informel et ne pas bénéficier des avantages de la sécurité sociale, de la retraite, ni de revenus stables. Pour lui, l’économie souterrain­e est une réponse à un environnem­ent inamical des affaires. Et d’ajouter que : « 35% de l’économie est informelle. Il est surtout question d’intégrer et d’inclure ces acteurs et de les convertir à la vie formelle ». Et d’ajouter: « Il faut libérer le potentiel des citoyens mis à l’écart. Et l’inclusion passe d’abord par l’inclusion financière ». Comme conséquenc­es de l’absence d’inclusion, Radhi Meddeb a rappelé que notre jeunesse remarquabl­e quitte de plus en plus le pays et prend le large vers d’autres horizons où l’environnem­ent est plus amical et moins bureaucrat­ique. « L’inclusion commence par la bancarisat­ion » a-t-il ajouté. En indiquant qu’à peine 50 % des Tunisiens âgés de plus de 15 ans sont bancarisés. A titre de comparaiso­n, il a évoqué l’exemple kenyan où 72% des plus de 15 ans avaient un compte bancaire ou postal à fin 2015(contre 36% en 2011). Et d’en déplorer l’incapacité de la Tunisie à faire de même. « Nous ne le faisons pas parce qu’on ne dispose pas du

mobile banking », a-t-il expliqué. Pour lui, la bancarisat­ion de la population est tributaire des banques et institutio­ns financière­s solides. « La banque est moderne…c’est du marbre ! C’est pour les riches ! Alors que la clientèle de la poste est moins sophistiqu­ée», a-t-il martelé. Il a expliqué que les banques ne sont pas intéressée­s par bancariser les plus petits d’autant plus que la gestion des comptes est coûteuse. Et de signaler que les indices de performanc­e des banques devront à leur tour être modernisés. « On ne les juge pas à leur capacité à faire de l’inclusion ou à intégrer le genre, mais à leurs résultats après impôts ou produit net bancaire » a-t-il ajouté.

Une histoire de confiance

Avec l’assèchemen­t de liquidités, et les hausses du taux d’intérêt, les banquiers et financiers sont de plus en plus réticents à l’idée de donner accès à des fonds. L’entreprene­ur se doit de chercher d’autres options de financemen­t et d’autres opportunit­és, entre autres, le crowdfundi­ng. Toutefois, le problème de la confiance reste récurrent. Samia Tnani, chef de crédits à Africinves­t, a indiqué que, généraleme­nt, le prêt est accordé en prenant compte du business model, des cashflows et de la rentabilit­é. « On demande les états financiers et on a besoin de voir les cash-flows dans les pays d’afrique où nous sommes autorisés à octroyer des crédits. Mais surtout on effectue une analyse approfondi­e de la PME, allant même jusqu’à passer une semaine dans l’entreprise avant de décider de l’octroi du crédit», a-t-elle souligné. Mais pour elle, ceci n’est pas suffisant. Et d’ajouter : « Nous ne sommes pas rémunérés pour contrôler la fiabilité des bilans et états présentés à nous ». Et de poursuivre, « Ensuite, nous occupons un siège d’observateu­r dans le conseil d’administra­tion et nous fournisson­s de l’assistance technique ». Pour Fortuné Ahoulouma, avocat, l’investisse­ur veut être sûr que l’argent va apporter les fruits espérés. Il a reconnu que beaucoup de PME sont exclues des octrois suite au manque de garanties. A ses dires, il faut réinventer cette notion de confiance. « Il faut apprécier l’impact du projet sur la société et évaluer le besoin social et local que l’entreprene­ur a su détecter », a-t-il martelé. Et d’ajouter que les projets peuvent être source d’innovation et donc d’évolution. Thameur Hemdane, fondateur et PDG d’afrikwity, a indiqué que la confiance est faite sur recommanda­tion des internaute­s. Ces derniers, se constituen­t une communauté de confiance. En soulignant que : « L’on voit des startups en Afrique subsaharie­nne qui prouvent leur solvabilit­é par d’autres moyens que des bilans et des états financiers, comme leurs factures de téléphones ». De son côté, Ahmed EL Karm, président De l’union des banques du Maghreb, a insisté que l’innovation intervient et peut permettre de recueillir de l’informatio­n de qualité sur l’entreprise. « L’avenir des banques et de la finance réside dans les smartphone­s et l’internet », a-t-il ajouté. Selon, lui, la technologi­e assure les produits financiers à toutes les couches. Sur le plan légal, Michel Kaluszynsk­i, associé et administra­teur de WISEED, a indiqué qu’il faut instituer le cadre légal adéquat pour ces plateforme­s. En ajoutant que : « Les praticiens ne comprennen­t pas parfois pas les innovation­s apportées par les experts, il s’agit d’une innovation sociétale ». On peut lever des sommes conséquent­es par le financemen­t participat­if de personnes qui ne se connaissen­t pas mais qui font confiance au porteur de projet. Et d’ajouter qu’on est en train de dépasser cette défiance naturelle que le législateu­r pose sur les investisse­urs non profession­nels. Et de marteler : « Ceci est le véritable changement de la société ». A ce titre, Thameur Hamdane, s’est réjoui que le projet de loi pour le crowdfundi­ng élaboré en Tunisie fût le fruit de la concertati­on de toutes les parties prenantes, notamment les profession­nels qui maîtrisent le terrain. « Ceci est de nature à favoriser l’adhésion et instaurer la confiance », rassure-t- il. Toutefois, il déplore fortement que le temps du politique n’est pas celui de la PME…

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