L’illectronisme ?
Quand les technologies d’information qui sont censées faciliter, rapprocher deviennent un facteur d’exclusion à plusieurs niveaux
Que ce soit Si Mahjoub Sebti, un jeune retraité âgé plus de 70 ans, qui a vécu sans Internet ou bien Lamiss Tounsi, une jeune fille de la générations Alpha (née après 2010) qui ne sait pas comment chercher un emploi sur la Toile alors qu’elle connaît toutes les failles de Facebook, les tendances d’instagram et cent façons de faire un selfie ! Ils sont les deux concernés par l’illectronisme ou l’illettrisme numérique. En d’autres termes tout le monde est concerné par la fracture numérique mais à des degrés divers. L’informatique restera toujours de la science-fiction pour certains et un jeu d’enfant pour d’autres. Ce n’est pas tant le progrès technologique qui va diminuer la fracture. En effet, ce n’est pas l’installation de la dernière technologie et des serveurs les plus sophistiqués dans une administration qui va la réduire ! Il faut de l’accompagnement pour qu’un retraité se connecte sur le site de la CNSS et puisse recevoir le mandat sur son portefeuille e-dinar ! Comme disent les sages : estce que la société va évoluer toute seule grâce aux nouvelles technologies et aux solutions techniques ?
Un peu de politique…
En août 2000, la Poste Tunisienne a lancé une monnaie électronique tunisienne intitulée "e-dinar". Celle-ci vient concrétiser la décision prise en juin 2000 par le Conseil ministériel présidé par l’ex-président Ben Ali - pour la génération Z et Alpha, il s’agit du deuxième président tunisien depuis l’indépendance - concernant l'économie immatérielle et appelant au lancement de projets pilotes d'inscription universitaire à distance. En regardant la chose - abstraction faite de la dimension politique cette fois -, l’objectif (il y a presque 20 ans) était en partie de rendre l’inscription universitaire sur Internet plus coutumière afin de préparer les futurs dirigeants et chefs d’entreprise d’aujourd’hui à la culture numérique. Résultat : entre-temps des dizaines d’universités tunisiennes délivrent un diplôme en informatique et beaucoup de slogans séduisants comme « Informatique pour tous », « Le numérique est la solution » (digital houwa elhal) , « Digital is born » apparaissent en vue de réduire la fracture numérique. Il n’en reste pas moins que ce phénomène n’est pas uniquement tunisien. En effet, l’illectronisme est bien présent dans le monde, beaucoup plus qu’on le pense et même dans des zones insoupçonnées.
Un peu de culture
Wikipedia définit l’illectronisme comme un néologisme emprunté à l’anglais ( information illiteracy). Celui-ci transpose le concept d’illettrisme dans le domaine de l’informatique désignant un manque ou une absence totale de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation et à la création de ressources électroniques. L’“illectronisme” est donc l’incapacité à accéder aux contenus de l’information numérique et à les utiliser. Car sans un minimum de savoir-faire, le web devient une source d’exclusion. Cette fracture numérique est par essence la disparité d'accès aux technologies informatiques et notamment Internet. Le terme d’origine américaine « Digital Divide », apparu à la fin des années 90, illustre bien le fossé entre ceux qui ont accès aux technologies de l’information et de la communication modernes et ceux qui n’ont pas d’accès ou peu. Ces technologies incluent le téléphone, la télévision, les ordinateurs personnels et Internet. Au départ, l’idée était de mesurer les inégalités territoriales et la fracture numérique faisait principalement référence au fossé entre ceux qui avaient un accès au téléphone et ceux qui ne l’avaient pas. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 90, que le concept commençait à être utilisé par rapport à l’accès à Internet, en particulier le haut débit. La fracture numérique existe aussi entre les habitants des villes et ceux des zones rurales, entre les pays les plus développés et les moins industrialisés.
Ça évolue dans le monde ?
Beaucoup d’études (américaines ou européennes) montrent que la fracture numérique est encore aujourd'hui une réalité. Elle est beaucoup plus profonde qu’on ne le dit. A titre d’exemple, une étude de la Maison-blanche (en 2013) sur le haut débit montrait que 30 % des foyers américains ne l’avaient pas encore adopté. Microsoft a publié aussi un récent rapport (en 2018) soulignant que plus de 162 millions de personnes aux Etats-unis n’utilisent pas Internet à haut débit ! Au niveau européen, depuis 2002, des plans se sont succédé pour minimiser cette fracture numérique comme le plan e-europe 2002 et celui de e-europe 2005. Ce dernier est un plan d'action de la Commission européenne qui a pour but de développer le recours aux services électroniques dans le cadre de l'interaction entre gouvernement et citoyens. Il a pour principal objectif la mise en place d'interfaces électroniques entre administration et administrés et la facilitation des affaires en ligne (e-business) pour les entreprises européennes. Il n’en reste pas moins qu’avec tous ces plans mondiaux, cette évolution exponentielle des nouvelles technologies, cette amélioration du taux de pénétration d’internet dans le monde, la fracture numérique et plus exactement la fracture entre ceux qui savent bien utiliser Internet et ceux qui ne le savent pas s’est-elle réduite pour autant ? On en doute fort ! Éric Guichard, philosophe et maître de conférences, a bien clarifié le concept par ces mots : « Ces problèmes d’inégalité existaient déjà avant Internet sauf qu’on les voyait moins ». Partout dans le monde (la Tunisie ne fait pas exception) réduire l’illettrisme numérique est un combat de longue haleine. Mon voeu le plus profond est de ne pas le combattre en 2020 par un 20+20, comme on a vu un 5+5 relatif au Sommet mondial de Tunis sur la société de l'information de 2005 !