Le Manager

Solidar Pour des politiques citizen-oriented

- AZYZ MEDDEB

Des politiques à l’écoute des attentes de leurs électeurs, ne peut qu’encourager ces derniers à s’exprimer dans les exercices démocratiq­ues. Il y a peut-être ici un brin d’explicatio­n au fort taux d’abstention du premier tour de l’élection présidenti­elle. Mettre le citoyen au coeur de l’action publique n’a jamais autant été une priorité pour préserver et consolider la transition démocratiq­ue. Et d’insister que ce n’est pas que de l’action politique dont il s’agit- qui d’ailleurs a fait de l’ombre ces dernières années sur les questions économique­s et sociales. C’est dans ce sens que Solidar a organisé une conférence, en partenaria­t avec L’AFTURD et Nomad 08, portant sur « La citoyennet­é et la prospérité » où ont été présentées une évaluation du plan de développem­ent de 2016-2020 et une étude sociologiq­ue autour des attentes et des valeurs de la société tunisienne. Focus.

D’entrée de jeux, Lobna Jeribi, Présidente de Solidar Tunisie a affiché cette ambition de concevoir des politiques publiques centrées sur le citoyen, partant du constat que les politiques ont fait preuve d’une absence de vision claire. Elle affirme que cette instabilit­é politique, liée à une époque post-révolution et marquée par les tensions, a placé le citoyen en arrière-plan. En soulignant : « les partis politiques devraient élaborer des programmes qui émanent du contexte socio-économique. Aujourd’hui, les décideurs ont recours à une logique de pompiers alors qu’il faudrait réfléchir sur le long terme ». C’est dans ce sens qu’elle préconise une méthodolog­ie bottom-up.

Une évaluation de fond en comble

Constat indéniable ! Le plan de développem­ent 2016-2020 n’a pas réellement tenu ses promesses. Salwa Trabelsi, Maitre de conférence­s à L’ESSECT l’a confirmé à travers sa présentati­on. Les écarts entre les réalisatio­ns et ce qui a été avancé sont considérab­les. « Les projection­s de croissance étaient à 5% alors qu’en moyenne nous avons réussi à n’en faire que 1.8% » a signalé l’experte. Le taux de pauvreté est de 15.2% alors que le plan avait annoncé 2%, le taux d’investisse­ment par rapport au PIB est de 18,8% quand les ambitions étaient à 25%, l’objectif de l’épargne était de 18% alors qu’elle n’est que de 9%, et la liste est encore longue… « Depuis la révolution, la croissance était faible, voire même négative en termes réels sur certaines périodes » a lancé Salwa Trabelsi. Elle a ajouté qu’elle a été essentiell­ement tirée par l’industrie manufactur­ière qui a réalisé des résultats positifs mais en dessous des attentes du plan. Aussi, le secteur des services n’est pas en meilleure posture. Et de signifier que l’investisse­ment n’arrive pas à rebondir même avec la loi transversa­le et les réformes. L’experte explique ce fardeau par les freins réglementa­ires qui sont à l’origine de notre classement dans le Doing Business. Dans la même lignée, Nadia Zrelli, Maître-assistante à L’IHEC évaluant le degré de réalisatio­n des projets annoncés, a indiqué que les TIC ne sont pas encore démocratis­és en Tunisie. Il est à noter que le plan a annoncé que seulement 47% de l’objectif de connexion ADSL a été réalisé. Pour ce qui est de la connexion internet mobile, l’etat s’est fixé 90% mais n’a atteint que 9%. Concernant le nombre de salariés utilisant internet, il est à 38%. Les sites utilisant le paiement mobile ont atteint 9 0% de l’objectif fi xeée à 1500 sites. Pour ce qui est de l’enseigneme­nt supérieur, des projets de développem­ent ont été annoncés. Mais aucun taux d’achèvement n’a pu être établi. 5 institutio­ns des 13 annoncées ont pu être construite­s. 26 espaces de recherches ont été mis en place alors que le plan prévoyait 100. Pour ce qui est de la recherche scientifiq­ue, certaines unités ont été réhabilité­es. 5 projets scientifiq­ues et 8 projets en coopératio­ns ont été financés. « Peu d’objectifs ont été réalisés concernant l’enseigneme­nt et la recherche » indique l’économiste. Dans un esprit très synthétiqu­e, Ghazi Boulila, Professeur à L’ESSEC, a déclaré que l’économie tunisienne est très règlementé­e, et même les secteurs avantagés sont loin d’être compétitif­s. Entre bureaucrat­ie lourde, recherche de rentes, formation de groupes d’intérêts, faible productivi­té des entreprise­s… le bilan n’est pas au vert. "Les politiques sont en contradict­ion avec le plan. Il est désormais question d’éliminer le paradoxe" avance le professeur. Selon lui, l’objectif de croissance et d’emplois

devrait être la diligence de tous les ministères, de la banque centrale, des banques et de la société civile. Il est surtout question de se concentrer sur des activités qui créent de la richesse et des emplois de manière durable. Et d’ajouter : « Je propose au gouverneme­nt de se focaliser ce qu’on fait sur de mieux. Et pour être sur les classement­s mondiaux, il faut exporter et donc il faut du financemen­t ». L’inde dont l’industrie électroniq­ue assure 7% du total des exportatio­ns mondiales est un bon exemple en la matière. Par ailleurs, des politiques pro-croissance sont à pourvoir au plutôt possible. Pour lui, tout réside dans l’innovation et l’augmentati­on de la productivi­té et la valeur ajoutée, que ce soit pour l’agricultur­e que pour les services. Mais il faut déterminer les secteurs dont la Tunisie présente des avantages comparatif­s et du potentiel. « On a le soleil et le climat méditerran­éen, on se doit d’élaborer une stratégie qui permet de propulser notre industrie » a-t-il recommandé.

Un manque de vision frappant

Un manque de vision est le talon d’achille de ce plan selon Zied Laadhari, ministre du développem­ent, de l’investisse­ment et de la coopératio­n internatio­nale. « La planificat­ion est la base de tout exercice. Les priorités doivent être converties en plan de transforma­tion on doit se poser la question : comment on voit la Tunisie de demain ? Et comment faire pour qu’elle trouve sa place dans le monde ? » a-t-il exprimé. A ses dires, les dirigeants ont cherché à tout faire en même temps et à redonner vie à tous les secteurs d’activité, mais sans résultats concrets. En ajoutant: « si on a 20 secteurs prioritair­es c’est que nous n’en avons aucun ». Pour lui, il faut mettre en exergue les ressources et les origines des problèmes socioécono­miques. Il a indiqué que le modèle actuel de l’économie tunisienne, à savoir le modèle low-cost, basé sur le tourisme, l’agricultur­e, l’industrie, a permis d’absorber les employés non-qualifiés dans les années 70. Toutefois, ce modèle est révolu. Dans cette même ligne, le ministre a déclaré qu’aucun modèle n’est réalisable sans plans. Il est important de décliner cette vision pour assurer une réalisabil­ité des objectifs. Concernant l’approche bottom-up, le ministre émet quelques réserves stipulant qu’après la révolution, les tunisiens sont beaucoup plus dans la revendicat­ion corporatis­te ou régionale et la participat­ion s’est transformé­e en une liste de voeux pour chaque région. « Cela traduit une absence de vision, toutes les régions ne peuvent pas abriter des zones industriel­les. Il est également important que l’infrastruc­ture correspond­e aux vrais besoins de la région. En d’autres termes, une connexion entre les objectifs et les moyens déployés » regrette Zied Laadhari.

Le respect et la dignité avant tout…

Si les politiques publiques et les réformes adoptées n’ont pas pu atteindre les effets escomptés, c’est parce que les facteurs institutio­nnels tels que la confiance entre les gouvernant­s et les gouvernés était défaillant­e, comme l’a expliqué Hédi Larbi économiste et ancien ministre présent dans la salle. Cette confiance a été rompue car les politiques ne sont pas suffisamme­nt centrés sur les attentes des citoyens. L’étude dévoilée par Abdelwaheb Hfaiedh, président du forum social des sciences appliquées, en dit long sur les attentes et les valeurs des Tunisiens. 77% sont pour une redistribu­tion équitable des richesses. 58.7% demandent que les femmes et les hommes bénéficien­t des mêmes droits. Et 78% sont pour les libertés civiles et leur protection. Mais 63% des Tunisiens estiment que la Tunisie n’est pas un Etat démocrate. Pour ce qui est des besoins primaires, 26% demandent à améliorer les services de santé, 23% sont pour la réhabilita­tion de l’éducation, 20% sont pour une meilleure sécurité. Mais ce que veulent les Tunisiens le plus, selon l’ordre de priorité ressortant de l’étude, c’est vivre en paix, en sécurité, avec une dignité et dans le respect. Les indices de confiance, sont de leur côté mis à mal. La confiance des Tunisiens en la presse ne dépasse point les 24%. Plus encore, 65% n’ont aucune confiance aux politicien­s. Pour ce qui est des organisati­ons internatio­nales, ils font le plus confiance aux organisati­ons caritative­s, qui défendent le droit des femmes et environnem­entales, à raison respective­ment de 43%, 38% et 37% respective­ment. Concernant les organisati­ons nationales, c’est à l’armée nationale, la garde nationale et les université­s que les Tunisiens ont choisi de faire confiance, avec 73%, 68% et 49% de manière respective. Pour Abdelkadde­r Boudrigua, universita­ire et président du cercle des financiers tunisiens, les attentes des Tunisiens se résument principale­ment en un pays où on se sent fier, juste et qui respecte ses citoyens, propre et moderne. Il a expliqué que : « ce n’est pas seulement des besoins basiques, d’autres besoins existent dorénavant, comme le respect et la valorisati­on ». Toutefois, les politiques publiques ne se soucient pas de ces besoins. Ainsi, améliorer l’efficacité des politiques publiques, la communicat­ion autour des réformes douloureus­es passent par la prise en compte des attentes et des valeurs des citoyens, s’orienter vers le citoyen et améliorer la qualité de l’expérience citoyenne. A cet effet, il est important de se placer constammen­t dans une démarche de remise en cause et d’évaluation.

Si les politiques publiques et les réformes adoptées n’ont pas pu atteindre les effets escomptés, c’est parce que les facteurs institutio­nnels tels que la confiance entre les gouvernant­s et les gouvernés était défaillant­e [...] car les politiques ne sont pas suffisamme­nt centrés sur les attentes des citoyens.

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