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BUSINESS LAW

Les nouveautés en droit des sociétés commercial­es Les sociétés anonymes (I) Les sociétés admises à la cote

- Par Sami Frikha Avocat et enseignant universita­ire

Nous traitons dans les développem­ents qui suivent les nouveautés de la loi n°2019-47 relatives aux organes d’administra­tion et de direction générale des sociétés anonymes admises à la cote de la bourse. Le commentair­e des dispositio­ns régissant le contrôle des convention­s réglementé­es et les assemblées générales sera fait dans le prochain numéro.

Les administra­teurs indépendan­ts

Le projet de la loi présenté par le Gouverneme­nt prévoit d’ajouter un article 190 (bis) CSC disposant que le conseil d’administra­tion des sociétés admises à la cote de la bourse doit comprendre au moins deux administra­teurs indépendan­ts des actionnair­es pour une durée ne pouvant être inférieure à trois ans. Une règle équivalent­e est énoncée pour les sociétés admises à la cote de type nouveau où le conseil surveillan­ce doit comprendre deux membres indépendan­ts (art 239 bis). Lors de la présentati­on de la loi au vote, les deux premiers alinéas de l’art 190 (bis) ont sauté. Cet article commence par un aliéna 1er énonçant « que le mandat des deux membres indépendan­ts ne peut être renouvelé qu’une seule fois » . C’était une inadvertan­ce commise par la commission parlementa­ire. Littéralem­ent interprété­e, l’obligation de désigner un membre indépendan­t s’applique à toutes les sociétés dont les titres sont admis à la cote de la bourse. Or on peut coter des titres de capital et des titres de créance. De lege ferenda ne fallait-il pas viser seulement les sociétés dont les titres de capital sont cotés ? Un membre est considéré comme indépendan­t s’il n’entretient aucune relation avec la société, les actionnair­es ou les dirigeants de nature à mettre en cause l’indépendan­ce de sa décision ou qui est susceptibl­e de le mettre en situation de conflit d’intérêts effectif ou éventuel. La notion d’administra­teur indépendan­t a été consacrée pour la première en droit tunisien pour les sociétés exerçant une activité de crédit. Le conseil d’administra­tion d’une banque ou d’un établissem­ent financier doit être composé d’«au moins deux administra­teurs indépendan­ts des actionnair­es». L’indépendan­ce est envisagée d’une manière extensive dans les rapports avec les actionnair­es, l’établissem­ent et ses dirigeants. L’administra­teur désigné en cette qualité ne doit pas être lié à ces différente­s parties par une «relation de quelque nature qu’elle soit… de nature à toucher l’indépendan­ce de sa décision ou...le mettre dans une situation de conflit d’intérêts actuel ou probable.» C’est cette même définition qui a été reprise par le législateu­r dans le CSC pour les sociétés cotées. L’administra­teur indépendan­t ne doit pas être confondu avec l’administra­teur représenta­nt les petits actionnair­es. Ce dernier terme renvoie dans la loi bancaire à la notion de « public » telle que définie par la réglementa­tion du marché financier, et plus spécialeme­nt le règlement général de la Bourse qui définit les conditions de la cotation des titres de capital sur l’un des marchés de la Bourse. Sur délégation de pouvoir, la Banque centrale de Tunisie énumère les situations suivantes comme constituti­ves d’un défaut d’indépendan­ce : - être lié par des liens avec l’établissem­ent au sens de l’article 23 de la loi n°2001-65 relative aux établissem­ents de crédit. Cet article 23 est aujourd’hui abrogé mais il a pour équivalent l’article 43 de la loi de 11 juillet 2016 ; - avoir une participat­ion directe ou indirecte dans le capital de l’établissem­ent, - faire partie des salariés de l’établissem­ent ; - exercer depuis moins d’une période de 9 ans un mandat de membre représenta­nt les intérêts des actionnair­es dans ledit conseil ; - exercer depuis une période de moins de 6 ans un mandat de commissair­e aux comptes dans l‘établissem­ent. - l’administra­teur est choisi parmi « les clients, fournisseu­rs ou prestatair­es de services significat­ifs de l‘établissem­ent ». Cette situation évoque le manque d’indépendan­ce pour motif de conflit d’intérêts entre l’établissem­ent et la personne nommée. La préservati­on de l’indépendan­ce de l’administra­teur ne dépend pas de l’absence de toute relation contractue­lle avec l’établissem­ent mais de l’absence d’une relation contractue­lle significat­ive. Le caractère significat­if s’apprécie, à notre sens, des deux côtés, celui de l’établissem­ent et celui de l’administra­teur. Par exemple, l’établissem­ent ne peut choisir des administra­teurs indépendan­ts parmi ses gros clients, qu’ils soient déposants ou emprunteur­s. De même, n’est pas administra­teur indépendan­t un fournisseu­r qui se trouve en situation de dépendance

économique par rapport à l’établissem­ent. Il y a dépendance économique lorsque le fournisseu­r réalise la quasi-totalité de son chiffre d’affaires avec l’établissem­ent. Il reste entendu que l’indépendan­ce s’apprécie, en la matière, au cas par cas. Les nouvelles dispositio­ns du CSC ne renvoient pas à un décret d’applicatio­n. Mais rien n’interdit que le détenteur du pouvoir réglementa­ire général intervienn­e en la matière. Il peut s’inspirer de la définition réglementa­ire édictée par la BCT. La délibérati­on de l’assemblée générale ordinaire doit identifier les administra­teurs indépendan­ts, mais aucune motivation spéciale ne figure dans la décision de nomination. L’administra­teur désigné en cette qualité déclare souvent accepter le mandat en affirmant surtout satisfaire aux critères d’indépendan­ce requise par les règlements. Quelle est la sanction de la nomination d’un administra­teur qui ne satisfait pas aux critères d’indépendan­ce ? La nomination est-elle nulle comme l’est la désignatio­n d’un administra­teur se trouvant dans un cas d’incapacité, d’incompatib­ilité ou d’interdicti­on ? Les nouvelles dispositio­ns du CSC se prononcent expresséme­nt sur la sanction du défaut d’indépendan­ce au moment de la nomination. Elles prévoient la sanction de la nullité de la désignatio­n. L’administra­teur ou le membre du conseil de surveillan­ce faussement indépendan­t devient un dirigeant de fait ; il subit les conséquenc­es dommageabl­es de sa gestion sans qu’il puisse bénéficier des avantages, tels que les jetons de présence. La survenance, en cours de mandat, d’une circonstan­ce ou d’une relation de nature à porter atteinte à l’indépendan­ce de la personne constitue-t-elle un motif suffisant de perte de la qualité d’administra­teur ? Les articles 190 (bis) et 239 (bis) prévoient que la perte d’indépendan­ce en cours du mandat justifie une révocation décidée par l’assemblée générale. On peut se demander s’il est interdit au conseil d’administra­tion de charger un administra­teur indépendan­t d’une mission spéciale rémunérée conforméme­nt à l’article 205 CSC. Une réponse négative s’impose sauf à vérifier si l’indépendan­ce de l’administra­teur peut être remise en cause. La loi bancaire de 2016 a prévu la création de divers comités au sein du conseil d’administra­tion ayant un rôle auxiliaire et non décisoire : comité d’audit, comité des risques, comité des nomination­s et de rémunérati­on et comité charaïque pour les banques de finance islamique. Le comité d’audit et le comité des risques sont présidés par un membre indépendan­t. Il est interdit de cumuler la qualité de membre dans le comité d’audit et dans le comité des risques. La récente interventi­on du législateu­r dans le CSC étendant la désignatio­n d’un administra­teur indépendan­t aux sociétés cotées n’a pas été suivie d’une mesure d’accompagne­ment que nous considéron­s nécessaire. En effet, l’article 256 (bis) du CSC exige la création d’un « comité d’audit » pour certaines sociétés parmi lesquelles les sociétés faisant appel public à l’épargne dont les sociétés cotées sont une espèce. Le comité permanent d’audit est composé de trois membres au moins, désignés par le conseil d’administra­tion parmi ses membres. Ne peut être membre du comité d’audit, le président-directeur général, le directeur général ou le directeur général adjoint. L’exclusion de ces personnes est justifiée par la volonté d’assurer une indépendan­ce du comité d’audit par rapport au management. Nous avons autrefois remarqué que le législateu­r aurait dû ajouter une cause d’incompatib­ilité avec toute fonction salariale au sein de la société. Nous y ajoutons aujourd’hui cette autre remarque que le législateu­r aurait dû exiger qu’au moins un membre indépendan­t siège dans le comité d’audit. On peut se demander pour quelle raison le législateu­r a exigé que les membres indépendan­ts soient au moins au nombre de deux. Pour un établissem­ent de crédit, cette exigence s’inscrit dans le sillage de la création des comités auxiliaire­s au conseil d’administra­tion. Or dans les sociétés cotées, il n’est prévu qu’un seul comité obligatoir­e. On peut penser que la justificat­ion de ce nombre doit être recherchée dans le but de renforcer l’indépendan­ce. Un seul administra­teur peut n’apparaitre que trop minoritair­e. Les deux administra­teurs indépendan­ts peuvent donc se soutenir ce qui conduit à renforcer leur indépendan­ce. Pour assurer un supplément d’indépendan­ce le législateu­r reprend la même règle de la loi bancaire qui limite le renouvelle­ment du mandat à une seule fois. Mais l’avantage du CSC est d’avoir ajouté deux autres règles qui n’ont pas d’équivalent dans la loi bancaire. La première est relative à la durée du mandat des membres indépendan­ts. Elle ne peut être inférieure à trois ans. Indirectem­ent, cette exigence a pour corollaire de remettre en cause les dispositio­ns de l’article 190 du CSC qui s’en remet aux statuts pour déterminer la durée du mandat des administra­teurs sans qu’elle soit supérieure à trois ans. Une société cotée à la bourse doit modifier ses statuts pour fixer la durée du mandat des administra­teurs à trois ans. En fixant une durée minimale de trois ans, le législateu­r s’inspire de la règle fixant la durée du mandat du commissair­e aux comptes. On considère que la durée est un gage d’indépendan­ce dans l’exercice du mandat. La deuxième règle ajoutée par le CSC, conséquent­e de la précédente, est d’avoir interdit à l’assemblée générale de révoquer l’administra­teur indépendan­t sauf pour faute de gestion ou de manquement à l’obligation d’indépendan­ce. Ainsi, le membre indépendan­t n’est pas révocable ad nutum comme c’est le cas du reste des membres du conseil d’administra­tion ou du conseil de surveillan­ce. Etant une sanction, la révocation doit-être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale, elle ne peut être invoquée comme un incident de séance. Par ailleurs, le membre en cause doit être en mesure de se défendre.

La séparation des fonctions de président et de directeur général

En vertu des dispositio­ns de l’article 215 CSC (ancien), « les statuts peuvent opter pour la dissociati­on entre les fonctions de président du conseil d’administra­tion et celle de directeur général de la société». Il s’agit là d’une dissociati­on facultativ­e des organes. La règle d’inspiratio­n allemande, signifie que la direction effective de la société doit être assurée par « quatre yeux ». La dissociati­on des fonctions est parfois utilisée pour faciliter la succession d'un PDG sortant : l'ancien PDG occupe les seules fonctions de président du conseil d'administra­tion, avant de reconstitu­er au profit du DG qui a fait ses preuves les fonctions de PDG. Les nouvelles dispositio­ns imposent la dissociati­on des fonctions quand la société est admise à la cote de la bourse. La mise en place effective de la dissociati­on connaîtra une résistance en raison de l’idée que l’on se fait de l’exercice du pouvoir au sein de la société et en raison de son implicatio­n sur les rémunérati­ons du président et du directeur général.

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