Une mission à finir
Après deux semaines de réflexion, la chef du Parti vert, Elizabeth May, a décidé de rester à la tête du parti, au grand soulagement de ses partisans. L’épisode lui a permis de confirmer ses appuis, mais aussi de mettre en relief une faiblesse centrale de son parti. Il dépend trop d’elle pour s’en priver, même si, après dix ans sous sa gouverne, le parti piétine dans les intentions de vote. Dans les jours qui ont précédé la tenue du congrès du Parti vert au début du mois d’août, Elizabeth May a confié à quelques journalistes que son travail de chef lui pesait. Elle réfléchissait à son avenir, disait-elle tout en précisant vouloir rester députée.
À l’issue du congrès, sa remise en question a pris une tournure plus sérieuse. Une résolution appuyant le mouvement Boycottage, désinvestissement et sanctions (BDS), qui vise à faire pression sur Israël en faveur des Palestiniens, l’a fait douter davantage. Jugeant la décision inappropriée, elle a dit ne pas pouvoir la défendre, ce qui aurait influé sur sa réflexion. Le vote très partagé ayant mené à l’adoption de cette politique l’a aussi indisposée, le parti ayant pour tradition de fonctionner de façon consensuelle.
Le parti et la députée étaient chacun confrontés à un sérieux dilemme. Étant la seule représentante du parti aux Communes, Mme May a obtenu un siège au sein du comité qui se penche sur la réforme du mode de scrutin. Elle y est en tant que députée, mais une partie de son poids est liée à sa position de chef. Si elle avait cédé ce poste, elle aurait poursuivi le travail, mais avec moins d’influence. Or la réforme du mode de scrutin est une revendication fondamentale et de longue date des verts. Même chose pour Mme May. En fait, elle y tient autant qu’à la protection de l’environnement, ce qui n’est pas peu dire. Affaiblir sa position si près du but était inenvisageable pour elle et son parti. Alors, tout le monde a mis de l’eau dans son vin. Et c’est tant mieux, Elizabeth May ayant encore beaucoup à offrir.
Le conseil fédéral lui a donc réitéré sa confiance et a proposé une façon de répondre à ses préoccupations à l’égard du processus de décision suivi lors du dernier congrès et des résolutions n’ayant pas fait consensus, dont celle sur le mouvement BDS. Une assemblée extraordinaire sera convoquée pour renouer avec la tradition consensuelle du parti, et les résolutions choisies seront soumises à nouveau aux membres. Mais cela attendra. D’ici décembre, la priorité des priorités sera la réforme du mode de scrutin.
Cette recherche de compromis du conseil fédéral était inévitable. Ce parti a gagné en visibilité depuis l’arrivée de Mme May en août 2006. Environnementaliste respectée, elle a réussi à se faire élire. Son travail studieux, ses interventions constructives et son esprit collégial lui ont vite valu l’estime des électeurs et des parlementaires.
Mais malgré l’intérêt plus grand des citoyens pour les enjeux environnementaux, elle n’a pas réussi à faire croître son parti. La faiblesse du NPD et des libéraux a permis aux verts de glaner 6,8 % des votes en 2008, un sommet. Depuis, leurs appuis ont fléchi pour n’atteindre que 3,4 % lors de la dernière élection. Dans l’oeil du public, le Parti vert, c’est elle. Elle en est le seul visage. Aucun autre représentant du parti n’est connu à travers le pays, prêt à lui succéder sans devenir invisible.
Le conseil fédéral a pu retarder le débat difficile sur les résolutions du dernier congrès, mais il ne pourra pas ignorer ce problème de relève très longtemps. Si l’assemblée spéciale aboutit aux mêmes résultats que le dernier congrès, Mme May devra en prendre acte. Si elle se sent toujours incapable de défendre certaines politiques, elle devra céder la place.