La Turquie en conflit ouvert avec les forces Kurdes
Depuis le 24 août, la Turquie est engagée dans une intervention militaire sans précédent dans le nord de Syrie. Pourtant, c’est autant à l’intérieur de ses frontières que dans son environnement régional que se trouvent les ennemis désignés par le président Recep Tayyip Erdogan, dimanche 28 août, à Gaziantep (sudest du pays). Une semaine plus tôt, dans un faubourg populaire de cette grande ville proche de la frontière syrienne, cinquante-quatre personnes avaient perdu la vie lors d’une explosion visant une cérémonie de mariage kurde, un attentat initialement attribué à l’organisation Etat islamique (EI). Le chef d’etat turc est venu leur rendre hommage sur la place de la Démocratie, au centre de la cité. Il y a répété le récit officiel des événements en cours, censé rendre intelligible à la foule rassemblée pour l’entendre un écheveau de crises qui l’est de moins en moins. A Gaziantep, le président Erdogan a décrit une Turquie en lutte contre un ennemi unique et chimérique dont procéderaient à la fois les réseaux affiliés à l’imam Fethullah Gülen – accusés d’avoir fomenté le putsch manqué du 15 juillet –, les agents en Turquie de EI, la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en guerre contre l’etat turc depuis 1984 et les émanations syriennes du mouvement kurde, c’est-à-dire le Parti de l’union démocratique (PYD) et son bras armé, les Unités de protection du peuple (YPG). Samedi, un soldat turc a été tué du fait de tirs de roquettes visant des chars déployés dans la zone. Dimanche, l’armée turque a déclaré avoir « neutralisé » vingt à vingt-cinq combattants des forces sous commandement kurde lors d’un raid aérien. D’après l’observatoire syrien des droits de l’homme, les victimes de cette frappe seraient en réalité quarante civils syriens. M. Erdogan l’a clairement indiqué à Gaziantep : « Nous n'accepterons aucune activité terroriste à ou près de nos frontières. » Au-delà de la lutte contre L’EI, l’intervention actuelle de la Turquie en Syrie apparaît désormais comme le prolongement du conflit armé qui oppose Ankara au PKK sur son propre territoire. Si M. Erdogan a abondamment parlé de la Syrie à Gaziantep, il n’a jamais évoqué le régime de Bachar Al-assad, confirmant l’infléchissement récent des positions d’ankara à ce sujet. Le président turc n’a envisagé le terrain syrien qu’au travers des conséquences que les conflits multiples qui s’y trament ont pour la Turquie et, notamment, en ce qui concerne la question kurde. Mais, en Syrie, les forces kurdes et leurs alliés constituent jusqu’à présent les principaux partenaires au sol de la coalition internationale contre L’EI, conduite par les Etats-unis. Du point de vue de la Turquie, cependant, les YPG ne sont que le prolongement du PKK, engagé avec Ankara dans un conflit vieux de trois décennies et dont le degré de violence a atteint des niveaux sans précédent au cours de l’année écoulée. Le territoire gagné par le PYD et sa milice, limitrophe de la Turquie, n’a cessé de s’étendre à la faveur de la lutte qu’elle mène contre L’EI en Syrie. En identifiant L’EI et le mouvement kurde à une menace terroriste unique, oeuvrant des deux côtés de la frontière turco-syrienne et vouée à être combattue « avec la même détermination » par Ankara, M. Erdogan dit sa volonté de peser de manière plus marquée sur les rapports de forces dans le nord de la Syrie et ce, en lien avec les tensions qui existent déjà dans son propre pays.