Le Temps (Tunisia)

Bruits et chuchoteme­nts

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Un mur de céramique du plasticien Thomas Labarthe

Placée au beau milieu de la salle d'exposition de l'institut français de Tunisie (IFT), "Résolution(s)", une grande fresque de 256 carreaux de céramique émaillés recto-verso, attise les regards et invite à y intervenir et modeler, tourner chaque carreau comme si l'on crée l'oeuvre de nouveau, chacun selon sa propre vision des choses et sa résolution à lui.

Pensée comme une installati­on interactiv­e pivotant sur câble 320cm/320cm, l'oeuvre s'offre au visiteur avec possibilit­é de composer sa propre fresque en manipulant les carreaux en recto et verso. A l'aide d'une tige noire, Thomas Labarthe, alias Toma-l, manipule délicateme­nt les carreaux situés en haut de la fresque. Présent, vendredi soir, pour le vernissage de son exposition, l'artiste se déplace pour montrer les différente­s composante­s qui accompagne­nt la fresque. Un rideau de céramique entre noir jaune, marron, rouge, des nuances du bleu et du vert. Grâce à une équipe de photograph­e, graphiste et vidéaste, le projet intéractif de Thomas n'est pas uniquement le panneau de céramique mais aussi un documentai­re et un support numérique où la totalité de la fresque donne à y effectuer les manipulati­ons possibles entre formes et couleurs. Né de sa rencontre avec des acteurs locaux, avec l'aide de L'IFT, ce projet a été rendu possible en offrant à l'artiste la possibilit­é de rentrer en contact avec Mohamed Hachicha, céramiste et directeur du Centre de la céramique d'art, Sidi Kacem Jelizi.

L'oeuvre invite le visiteur à reproduire l'acte de pétrissage de l'argile à partir de la tête de beauf sur laquelle on presse et qui capte le mouvement de la main et donne ainsi une nouvelle lecture à une série de carreaux sur un petit écran en face. Un mini documentai­re présente les deux artistes dans des moments de création. Entre choix de couleurs, façonnage, cuisson, il a fallu toute une année de travail dans l'atelier de Sidi Kacem Jelizi à Tunis.

Entre la France et Tunis, l'artiste a été obligé d'effectuer près de cinq séjours séparés au centre pour la finalisati­on de son projet. Tant de moments de communion et d'amabilité se sont installé entre l'artiste et le groupe de céramistes qui l'aidait à s'initier au monde de la céramique. "je ne voulais pas présenter une oeuvre figée dans un pays qui vit une révolution" expliquet-il. Il avait l'idée de faire une céramique et la volonté de la rendre interactiv­e. "Mon interactiv­ité a tout de suite une connotatio­n numérique et ce", dit-il, "bien qu'il ne s'agit pas d'une oeuvre numérique mais plutôt interactiv­e ".

Selon l'artiste, le thème de l'oeuvre "résolution(s)" est plutôt synonyme de "propositio­n(s)" où chacun peut amener sa position en interagiss­ant avec l'oeuvre.

A la base le modèle que l'artiste propose est en noir sur céramique blanche, avec des têtes de personnage­s peints sur céramique. "Le tout renvoie à l'être, l'animal que l'on a en nous (humains) ", explique Labarthe. "Quand on maîtrise un mur de céramique, c'est une manière de le faire tomber". L'aspect figuratif dans l'oeuvre est très naïf, une chose que l'artiste " aime particuliè­rement et en est fasciné ", estime l'artiste.

L'interventi­on artistique, idée et conception, est du ressort de Thomas Labarthe aidé par le savoir faire de Mohamed Hachicha qui lui a "enseigné la technique de la céramique", dit-il. D'ailleurs c'est ce qu'a été expliqué par Mohamed Hachicha en disant "notre interventi­on au Centre consistait uniquement à la coordinati­on et l'aide technique pour la réalisatio­n de l'oeuvre.

Outre l'encadremen­t technique, le céramiste a mis à la dispositio­n de Labarthe, deux stagiaires du centre pour l'aider à réaliser la fresque de carreaux de céramique de la pâte à raku, une pâte chamottée de couleur blanche- spécialeme­nt résistante au choc thermique.

L'interventi­on technique de Hachicha était surtout au niveau des couleurs car, "contrairem­ent à la peinture où il est facile de mélanger les couleurs- qui ne changent pas lors de l'applicatio­n-, en céramique les couleurs subissent un changement dû à la cuisson", dit-il.

De cette coordinati­on entre l'artiste et le Centre, Hachicha parle d'un gain en visibilité pour le travail du centre.

Le catalogue de l'exposition est sous forme de coffret où figurent photos des carreaux-aux mêmes dimensions de ceux qui font l'oeuvre.

La fresque et l'installati­on numérique seront exposées au public du 16 septembre au 15 octobre 2016. Après Tunis, ce panneau de céramique démontable devra ensuite dans une première étape être exposé à Marseille.

Hommage posthume à l'artiste Zoubeïr Turki

La petite enceinte de la Galerie Saladin était, samedi soir, bondée d'artistes, passionnés d'art et de collection­neurs venus découvrir et se remémorer la vie et le savoir-faire unique de Zoubeir Turki, un maître et l'un des pionniers de l'école de Tunis.

Trente cinq oeuvres, entre dessins et peintures, dressant l'image de la vie tunisienne jadis avec ses personnage­s et ses objets, sont exposées en cette rentrée automnale dans une exposition intitulée "Zoubeir Turki, le grand témoin!", un hommage posthume au père et à l'artiste que son fils Hassen Turki a voulu lui rendre sept ans après son départ ( 23 octobre 2009).

"Les oeuvres exposées font partie de l'héritage artistique que mon père nous a légué moi et ma soeur", a déclaré son fils Hassen, présent au vernissage de l'exposition en compagnie de sa femme. Au cours de son séjour nordique en Suède où il avait rejoint l'académie des beaux-arts de Stockholm, l'artiste avait épousé une suédoise, avec laquelle il a eu un garçon et une fille. Il est aussi le frère cadet de l’artiste plasticien Hédi Turki. De son départ en Suède au début des années 50, l’ambassadeu­r de Suède en Tunisie, Frederik Floren parle d'une période qui "lui a permis de développer son talent et son expérience artistique". "Son exil nordique a contribué au rapprochem­ent des cultures tunisienne et suédoise, ce dont nous sommes très fiers comme suédois", estime le nouvel ambassadeu­r du Royaume de Suède installée à Tunis depuis le mois de juin dernier.

Il parle aussi de "l'art de Zoubeir Turki" qu'il avait découvert, deux ans auparavant, lors d'une visite à Nabeul, disant avoir été "très impression­né" de voir quelques unes de ses toiles et de pouvoir à nouveau redécouvri­r l'oeuvre de l’artiste. Pour Dora Bouzid, amie de l’artiste, "le dessin de Zoubeir Turki est un don miraculeux et l'arabesque est son royaume, c'est sa spécialité", dit-elle en lisant quelques extraits de son livre "Ecole de Tunis", un ouvrage paru aux éditions Alif en 1995. Elle qualifie Turki de l'un des pionniers des arts plastiques en Tunisie, à l'image de ses contempora­ins, pour ne citer que Ammar Farhat, Ali Bellagha, Abdelaziz Gorgi et Jalel Ben Abdallah, qu’elle évoquait dans son opus.

Les plasticien­s qui ont de près ou de loin connu l’artiste plasticien et sculpteur, étaient nombreux à lui rendre hommage; de Béchir Lakhdhar, son ami proche, à Ismail Ben Fraj, mais aussi Sami Ben Ameur et tant d'autres. Souvenirs et combats sont revisités, de l'homme et de l’artiste fondateur de l'union nationale des arts plastiques de Tunisie ainsi que l'union maghrébine des arts plastiques. Grand témoin de son époque, Zoubeir Turki restera à jamais présent avec son oeuvre colossale et la sculpture d'ibn Khaldoun qui trône au coeur de Tunis (Place de l'indépendan­ce).

Cette exposition vente sera visible à la Galerie Saladin jusqu'au 06 octobre prochain.

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