Le Temps (Tunisia)

L’ordre mondial en péril

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La campagne électorale qui s’achève enfin a exposé les profondes lignes de fracture, les doutes, les craintes et les récriminat­ions qui secouent la société américaine. Elle a également écorné la réputation des États-unis. Même si elle paraît peu probable, une éventuelle défaite d’hillary Clinton mardi prochain aurait des répercussi­ons potentiell­ement catastroph­iques sur la scène internatio­nale.

L’élection présidenti­elle de cette année aura été marquante, surprenant­e, déroutante et même dérangeant­e à bien des égards. C’est notamment le cas concernant la place et le rôle des Étatsunis dans le monde. Depuis 70 ans, l’ensemble des aspirants républicai­ns autant que démocrates à la Maison-blanche a considéré que l’objectif central de la politique étrangère américaine était de diriger et de préserver l’ordre internatio­nal libéral bâti à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Or, pour la première fois cette année, le candidat de l’un des deux grands partis, Donald Trump, a fait campagne sur une plateforme qui minerait considérab­lement cet ordre internatio­nal en remettant en question le système d’alliances et en manifestan­t son opposition au libre-échange. Une telle prise de position a pu trouver un écho au sein d’une population américaine désillusio­nnée par deux guerres ratées (l’irak et l’afghanista­n), marquée par la crise de 20072008, inquiète au sujet de sa sécurité et doutant de plus en plus des bienfaits de la mondialisa­tion.

S’il est important de prêter attention à cette tentation isolationn­iste et de répondre aux préoccupat­ions légitimes de la population américaine, le spectacle électoral de 2016 a laissé planer un doute réel sur leur engagement futur dans le monde. Dans ce contexte, le choix que les Américains feront mardi aura une influence manifeste sur la confiance envers les États-unis et donc sur leur marge de manoeuvre sur la scène internatio­nale. Les élections de 2004 et de 2008 en sont de bonnes illustrati­ons. Dans le premier cas, la controvers­ée guerre en Irak apparaissa­it déjà comme une erreur majeure et les exactions américaine­s, notamment à la prison d’abou Ghraïb, étaient connues. La réélection de George W. Bush suscita alors une méfiance vis-à-vis de la puissance américaine, perçue comme militarist­e et ne tenant pas compte des intérêts des autres pays dans son action sur la scène internatio­nale. L’élection de Barack Obama en 2008 changea radicaleme­nt la donne. La réalité de sa politique étrangère ne fut certes pas à la hauteur des espoirs disproport­ionnés qui accompagnè­rent son élection. Cela se traduisit par un tassement certain de l’enthousias­me internatio­nal pendant le second mandat. Il n’en demeure pas moins qu’à la veille de l’élection de 2016, des majorités nettes dans 13 des 15 pays d’europe et d’asie sondés par l’institut Pew ont une image positive des Étatsunis. Mme Clinton pourra mettre à profit cette opinion favorable. Si elle ne suscite pas un enthousias­me débordant, elle jouit en effet à l’internatio­nal d’une solide cote de confiance. Toujours selon Pew, 60 % des Canadiens, de solides majorités en Europe (à l’exception de la Grèce et de la Pologne, notamment) et en Asie (exception faite de la Chine et de l’inde) l’estiment apte à mener l’action extérieure des États-unis. Donald Trump suscite quant à lui une défiance généralisé­e. Son éventuelle élection aurait donc des conséquenc­es catastroph­iques sur la réputation des États-unis, à tel point que leur marge de manoeuvre diplomatiq­ue, leur capacité à nouer des ententes et à entretenir des alliances, ou encore la crédibilit­é de leur engagement internatio­nal seraient mises à mal.

Tous les quatre ans, l’élection présidenti­elle américaine suscite un intérêt et une attention considérab­les. Comme les Américains aiment à le penser, leur démocratie reste un modèle et l’hôte de la Maison-blanche, même s’il a souvent maille à partir avec le Congrès, est perçu comme la personne la plus puissante du monde. L’élection de 2016 a donné une bien mauvaise image de la politique américaine et, plus fondamenta­lement, de la démocratie. Aspirants despotes, partisans de régimes autoritair­es, populistes de tout acabit peuvent s’en réjouir. Pour autant, la population américaine a encore l’occasion de démontrer que les États-unis sont bel et bien une cité sur la colline, un phare pour le respect des libertés individuel­les et politiques, une puissance responsabl­e et engagée dans le monde. Il faut pour cela que les Américains désavouent clairement Donald Trump et élisent à la Maisonblan­che Hillary Clinton, la personne la plus préparée, la plus qualifiée et la plus compétente de la période contempora­ine pour présider aux destinées américaine­s et contribuer à la gestion de la scène internatio­nale. Attendre les résultats mardi soir reste bien long et anxiogène.

Source : Le devoir

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