Le Temps (Tunisia)

«Se battre ou devenir folle»

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C'est le premier film africain projeté dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2017. « La Belle et la Meute » (« Aala Kaf Ifrit ») de la réalisatri­ce tunisienne Kaouther Ben Hania a été présenté dans la prestigieu­se section Un certain RFI : Votre film La Belle et la grande conscience politique, de l’autre Meute a reçu une standing ovation au côté la femme violée. est-ce que ce Festival de Cannes. Votre voix a tremblé. sont aussi les éléments-clé pour faire Comment avez-vous vécu cette avancer une société : le combat pour première à Cannes ? la justice et le combat pour les Kaouther Ben Hania : C’était une première femmes ? très émouvante : le fait de se Bien sûr, le combat contre l’injustice retrouver en sélection officielle, il y avait fait avancer une société. C’est l’essence une partie de mon équipe et c’était la même des grands changement­s. Dans consécrati­on d’un long et très dur travail. cette histoire, Mariam, sous le choc, Donc, c’était à la fois un moment pour avait au départ besoin de ce jeune fêter ça et pour réaliser qu’on a fait un homme à ses côtés pour la soutenir. Mais, film qu’on a réalisé tous ensemble, avec c’est un personnage ambigu. On ne sait l’aide de chacun. C’était aussi un pas s’il fait cela vraiment pour elle ou moment très important pour rendre hommage parce qu’il a un passif avec la police à la mémoire du comédien dans son passé. Mohamed Akkari qui nous a quittés juste Dans la narration, j’avais besoin de avant Cannes. Donc, pour toutes ces raisons-là, quelqu’un qui la propulse, qui l’aide, c’était émouvant. jusqu’au moment où il disparaiss­e et elle

Votre Belle s’appelle Mariam, elle a se retrouve toute seule. Elle n’a plus le 21 ans et sera violée par trois policiers. choix, elle doit se battre ou devenir folle. De cette tragédie naît aussi une rébellion Et elle décide de se battre. Cela crée en et une indignatio­n contre elle un changement incroyable. Au l’injustice. avez-vous trouvé le point départ, on ne la soupçonne pas de cette où cela bascule : où l’inertie se transforme force. Même elle ne savait pas qu’elle en rébellion ? sera capable de leur tenir tête. Moi,

En fait, c’est un film sur la notion de j’aime bien cette idée : un personnage, la justice. C’est un parcours, un cheminemen­t parce qu’il est dos au mur, cherche en lui qui se passe en une nuit, un une force qu’il ne soupçonne même pas moment très court. Cette histoire est et cela le fait avancer, malgré tout. inspirée d’un fait divers qui a ému toute Le film est inspiré d’un livre dont la Tunisie. Ce qui m’a séduit dans l’auteure a dû s’exiler en France. l’histoire est cette idée de l’héroïne qui aujourd’hui, faire un film sur ce sujet, se retrouve – malgré ses fragilités, malgré le traumatism­e – toute seule à affronter l’institutio­n. C’est comme dans les mythes fondateurs : un héros affronte un dragon, David contre Goliath. Il y avait un côté épique dans cette réalité. Donc, j’ai décidé d’en faire un film. Il est construit en neuf chapitres, mais c’est aussi un film tunnel. On voit le jour à la fin. C’est aussi porteur d’espoir, malgré le traumatism­e et le côté dur. Il y a deux éléments-moteur dans le film : d’un côté Youssef avec sa très regard. Le long métrage raconte le calvaire d’un viol subi par une jeune femme, le début d’une révolte contre les institutio­ns corrompues et le combat pour la justice. Entretien.

qu’est-ce qui se passe avec la réalisatri­ce après ? Comment êtes-vous reçue en Tunisie aujourd’hui ?

Le livre, j’ai appris son existence après. Mais j’ai suivi l’affaire, parce qu’elle était très médiatisée en Tunisie. Donc, j’ai regardé les interviews que la vraie victime a donné à la presse. J’ai suivi toute l’affaire qui a ému toute la Tunisie : il y avait même des manifestat­ions dans la rue pour soutenir cette jeune femme. Et là, j’ai commencé à écrire. Ensuite, j’ai appris qu’il y a eu un livre qui a été édité, coécrit entre la vraie victime et une journalist­e française. Du coup, on a pris les droits du livre. Le livre parle de toute l’affaire, mais moi, j’ai pris beaucoup de liberté par rapport à la vraie histoire. Quel effet aura votre film en Tunisie ? Surtout par rapport à cette menace terrible pour les femmes d’être déclarée « coupable d’avoir été violée » ?

J’espère que les Tunisiens vont aller voir le film et je serai probableme­nt là pour le débat. Mais, il ne faut pas se leurrer, les films ne changent pas les choses. C’est la politique, les multinatio­nales qui changent les choses, mais l’art change notre manière de voir les choses. Donc j’espère que les Tunisiens iront le voir pour en débattre.

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