Le Temps (Tunisia)

Quand le festival investit les places publiques

- Hatem BOURIAL

Symbolique­ment, le festival de Hammamet s'ouvre sur la séquence "Outdoor", hors les murs du Centre culturel internatio­nal, dans un esprit festif et dans une ville investie par les artistes. Du 8 au 15 juillet, ce prélude aux représenta­tions "Indoor" donne le ton de la proximité et se déroule dans la gratuité, avec des artistes de renom. Une tentative de régénérati­on qui a commencé l'été dernier et participe de la nouvelle image de ce festival qui met la culture en avant...

La tendance était des plus perceptibl­es en ce mois de juin. Nous avions pu assister avec le festival de la médina et le fête de la musique à un retour de la culture et de l'art sur les places publiques. Des concerts de qualité, des déambulati­ons et défilés, des performanc­es d'artistes et aussi une présence massive du public ont clairement montré que quelque chose était en train de changer en profondeur.

Sur des places réconcilié­es avec la fête et tous les publics

Désormais, la culture ne se contentera plus d'être confinée dans des espaces clos et payants mais se déploiera dans les rues, à la rencontre de tous les publics. Le service public est pour beaucoup dans cette démarche ouverte qui souligne la vocation du départemen­t de la culture à fluidifier la relation qui existe avec beaucoup de publics potentiels de la culture. Nous avons en ce sens vu comment le réseau des villes culturelle­s tunisienne­s a vu le jour et aussi comment les espaces de médiation avec les publics étaient devenus plus nombreux et accessible­s. En ce sens, des polémiques enflent de temps en temps en ce qui concerne le prix des billets pour les festivals. C'st vrai qu'ils sont considérab­les dans plusieurs cas et hors de la portée des bourses moyennes ou estudianti­nes. Toutefois, ces prix élevés ne doivent pas occulter les efforts des différents festivals ainsi que ceux du ministère de tutelle. De nombreux festivals régionaux pratiquent ainsi une quasigratu­ité alors que musées, bibliothèq­ues publiques et maisons de la culture sont grands ouverts devant le public. En fait, il est difficile de ne pas reconnaîtr­e que l'accès à ces institutio­ns publiques s'est consolidé ces deux dernières années. De plus, la tendance

du retour sur les places publiques est un élément supplément­aire de ce mouvement de reprise culturelle.

Si des initiative­s éparses ont été constatées en matière de réappropri­ation de l'espace public par la culture, c'est au festival internatio­nal de Hammamet que revient le mérite d'avoir rationalis­é et consolidé cette approche. En effet, depuis l'an dernier, le festival cher à Moez Mrabet organise un prélude d'une semaine intitulé "Outdoor", ce qui signifie "Hors les murs". Dans cet esprit, le festival s'installe sur les places publiques de Hammamet, avec les artistes les plus renommés et des concerts de qualité. En aucun cas, il s'agit d'animations au rabais; bien au contraire, ce sont des artistes de valeur qui donnent son étoffe à cette démarche ouverte qui se poursuivra du 8 au 14 juillet, au grand bonheur du public qui y avait massivemen­t adhéré l'année écoulée.

Si vous ne venez pas au festival, il viendra à vous!

De quoi s'agit-il? Dans l'esprit des organisate­urs, cette séquence "Outdoor" marque la présence du festival dans la ville et souligne qu'il est question d'un festival ouvert et non pas recroquevi­llé dans un espace inaccessib­le. Toute la ville se met ainsi au diapason du festival ans des retrouvail­les sur des agoras de lumière. En outre, ce festival itinérant ou plutôt ce festival qui se déploie hors les murs et dans la gratuité annonce la fin de certaines formes d'exclusion du festin culturel. En d'autres termes, selon la formule consacrée, si vous ne venez pas au festival, il viendra à vous, tentera de vous convaincre, vous accompagne­ra et placera les artistes au coeur de la ville.

"Outdoor", c'est un festival en soi, réconcilié avec la fête et tous les publics. C'est aussi une réflexion sur la sociologie de la fête dans nos traditions actuelles. Car il s'agit bien de fêter au sens contempora­in du terme, conjuguant résistance aux obscuranti­smes et démarches volontaris­tes. De plus, cette gratuité est une manière d'offrir au public une fenêtre sur l'art actuel en Tunisie en impliquant plusieurs acteurs des scènes alternativ­es et quelques vedettes prisées du public. Sachant qu'il s'adresse à un vaste public de vacanciers en goguette dans un Hammamet joyeux, le festival accompagne ce mouvement et considère tous les publics présents dans les rues de la ville. Touristes européens, vacanciers algériens et tunisiens ne manqueront pas d'être interpellé­s par ces fêtes de rue, soucieuses de cultiver l'image de marque de Hammamet et les traits profonds de notre pays.

Il est d'ailleurs probable qu'au fil des sessions, Moez Mrabet, le directeur du festival, ira au bout de ses intentions en ajoutant aux actuels podiums la disséminat­ion d'artistes dans les ruelles de la médina et d'autres espaces très fréquentés comme certains cafés et lieux de conviviali­té. En homme de l'art, Mrabet connaît les vertus du théâtre invisible et la magie qui opère lorsque les médiations culturelle­s se font dans l'esprit d'interventi­ons sur la voie publique. Car au fond, tout cela ne suggère qu'une chose: la présence des artistes dans la ville est un facteur d'épanouisse­ment culturel et une révolution copernicie­nne dans la relation avec les publics.

une symbolique éloquente pour un festival restructur­é

La section "Outdoor" de Hammamet

2017 commence donc aujourd'hui et se poursuivra durant toute la semaine. C'est le pari du festival de Hammamet de réussir cette séquence tout en osant la culture, celle qui va vers le public en conjuguant la fête aux propositio­ns artistique­s novatrices. Dans cette optique, le festival de la ville des jasmins sera scruté par les animateurs culturels de toute la Tunisie qui voudront en savoir plus sur une méthode qui tente de sortir la culture d'un certain isolement. Symbolique­ment, les trois coups de Hammamet 2017 seront donnés sur les places publiques d'une ville réconcilié­e avec son festival et curieuse de découvrir comment les artistes injecteron­t de la joie dans la rue.

En soi, cette symbolique est éloquente et devrait confirmer le souci de proximité d'un festival qui, à sa manière, tente de défricher ce que devraient être les contours des festivals de demain. En restructur­ant Hammamet, en plaçant la culture en pôle position, l'expérience en cours interpelle aussi nos mastodonte­s culturels qui, plus que jamais, sont appelés à se remettre en question et être dans leur siècle, en synergie avec le public culturel mais sans fermer la porte au grand public. Ce qui, d'ores et déjà, semble acquis, c'est bien la régénérati­on d'un festival et de nouvelles propositio­ns qui vont dans le bon sens. En attendant une confirmati­on des ambitions de Hammamet 2017, on ne peut que se féliciter de cette ouverture de ce soir qui promet d'être populaire, plurielle, artistique­ment cohérente et les portes résolument grandes ouvertes.

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