Le Temps (Tunisia)

Rendez-vous raté avec l’histoire

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Il est rare de voir émerger au Liban un large consensus national autour d'une question à portée stratégiqu­e ou d'ordre existentie­l. La position libanaise portant sur l'urgence et le caractère inéluctabl­e d'un retour des réfugiés syriens dans leur pays représente l'un de ces rares cas sur lequel s'accorde l'ensemble des parties politiques. Le soutien sans équivoque du Premier ministre à l'armée dans l'affaire des récentes perquisiti­ons de la troupe dans un camp du jurd de Ersal et la position ferme du ministre de l'intérieur au sujet du projet suspect de manifestat­ion syrienne contre la grande muette sont l'illustrati­on de cette rare unanimité locale qui se manifeste au sujet de ce dossier. Le chef du gouverneme­nt devait d'ailleurs réaffirmer sa position de principe à cet égard lors de la séance plénière du Parlement, hier, mettant l'accent, une fois de plus, sur le plein appui du pouvoir exécutif aux forces régulières dans leur lutte contre le terrorisme et soulignant qu'une enquête est en cours en vue d'éclaircir les circonstan­ces de la mort de réfugiés syriens en détention.

Cette attitude libaniste de la part du leadership sunnite modéré n'est pas nouvelle et ne revêt nullement, de ce fait, une dimension uniquement conjonctur­elle. D'aucuns se souviendro­nt peut-être du précédent de décembre 1992 lorsqu'israël avait expulsé vers le Liban, à travers la zone méridional­e, plus de 400 fondamenta­listes sunnites palestinie­ns du Hamas et du Jihad islamique, conduits par un médecin de Gaza, le Dr Abdel Aziz Rantissi. Le Premier ministre de l'époque Rafic Hariri avait alors catégoriqu­ement refusé de laisser entrer en territoire libanais les islamistes sunnites palestinie­ns qui étaient restés coincés pendant de longs mois, en dépit de la neige et du froid, dans un no man's land entre le Liban et Israël, dans un campement érigé pour la circonstan­ce à Marj el-zouhour. Face à l'attitude ferme de Rafic Hariri, appuyé en cela par les principaux pôles du pouvoir, Israël avait été contraint de revenir sur sa décision d'expulsion. Cet épisode a reflété en quelque sorte l'un des indices précurseur­s de la posture souveraini­ste sunnite qui allait se développer, au fil des ans, pour se transforme­r en une lente maturation, atteignant son apogée en février-mars 2005 lors de la révolution du Cèdre, laquelle avait pris alors toute sa dimension nationale, transcommu­nautaire, grâce à une convergenc­e vers un même projet politique des composante­s chrétienne, sunnite et druze, parallèlem­ent à une élite chiite. Nous nous trouvons aujourd'hui face à une situation un tantinet similaire. À une nuance près... L'ensemble des factions locales sont d'accord, certes, sur le rejet du maintien des déplacés syriens au Liban et sur la nécessité d'entamer sans délai leur retour en Syrie où certaines zones, suffisamme­nt larges, connaissen­t un semblant de sécurité. Un bémol est toutefois apporté à cet apparent consensus national du fait des tentatives d'instrument­alisation de ce dossier. L'insistance du Hezbollah et de certains de ses alliés locaux à vouloir exploiter l'entente sur les exilés syriens pour entraîner le pouvoir libanais à rétablir les relations avec le régime Assad constitue, à n'en point douter, une attitude de défi à l'égard des sunnites en général, mais aussi de tous ceux (notamment une large faction des opinions chrétienne et druze) qui refusent toute normalisat­ion avec le régime Assad. Le président de la Chambre Nabih Berry l'a d'ailleurs luimême reconnu en soulignant audacieuse­ment qu'il « comprenait » la position du courant du Futur à ce propos. Dans cette optique, s'obstiner à vouloir redonner, dans le contexte présent, une légitimité au « pouvoir » en place à Damas revient à faire fi de l'esquisse de consensus national libaniste qui peine, certes, à se mettre place, mais qui se manifeste malgré tout à certaines occasions et qui mérite, en tout cas, d'être entretenu et développé à petits pas. À cet égard, le Hezbollah a sans doute raté quelque part un rendez-vous avec l'histoire. Au lieu de s'impliquer massivemen­t dans le conflit syrien, il aurait mieux fait de saisir une occasion inespérée de contribuer à une sorte de nouvelle révolution du Cèdre, plus forte peut-être que celle de 2005, s'il s'était associé, dès l'émergence des courants extrémiste­s en Syrie, à un vaste front transcommu­nautaire, regroupant toutes les composante­s sociopolit­iques du pays qui se seraient solidarisé­es, dans un bel élan national, avec l'armée et les autres services sécuritair­es dans leur lutte contre le terrorisme et les tentatives d'infiltrati­on jihadiste. Mais ne rêvons pas... Un tel hypothétiq­ue cas de figure n'est qu'une chimère. Car, revenons aux réalités, le Hezbollah n'est mû que par un projet politique transnatio­nal qui le dépasse largement et qui prend inexorable­ment en otage le Liban dans son ensemble.

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