Le Temps (Tunisia)

La très révélatric­e tirade de Trump contre son ministre de la Justice

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Imaginez un président de la République française qui se plaindrait publiqueme­nt que son ministre de la Justice ne supervise pas une enquête le concernant. C’est un petit peu ce que vient de faire Donald Trump dans un extraordin­aire entretien au New York Times où, entre quelques considérat­ions sur les mains d’emmanuel Macron, il attaque très durement son ministre de la Justice, Jeff Sessions, qui fut pourtant un de ses premiers soutiens durant sa campagne présidenti­elle. Quand les journalist­es commencent à discuter de l’enquête sur la possible collusion de la campagne Trump avec la Russie, le président des États-unis lâche immédiatem­ent: «Je n’ai rien fait de mal. Il n’aurait jamais fallu nommer un procureur spécial dans cette affaire» –mi-mai, le ministère de la Justice avait nommé à ce poste l’ancien directeur du FBI Robert Mueller. Les journalist­es lui demandent alors si ce commentair­e est on the record, s’il peut être imprimé. Trump approuve, et se voit demander s’il attribue cette «erreur» à son ministre de la Justice, qui s’était récusé de l’enquête russe en mars en raison de son implicatio­n dans la campagne présidenti­elle, ou au numéro deux du ministère, Rod J. Rosenstein: «Écoutez, Sessions obtient le poste. Juste après, il se récuse. –C’était une erreur? –Eh bien, il n’aurait jamais dû se récuser, et s’il comptait le faire, il aurait dû me le dire avant d’accepter le poste et j’aurais choisi quelqu’un d’autre. –Il ne vous avait donné aucun indice, d’aucune sorte? –Zéro. Donc Jeff Sessions accepte le poste, commence à l’occuper, puis se récuse. Franchemen­t, je trouve que c’est très injuste pour le président. Comment pouvez-vous accepter un poste puis ensuite vous en récuser? S’il l’avait fait avant de prendre le poste, j’aurais dit: “Merci, Jeff, mais je ne peux pas, je ne vais pas te prendre”.» La suite est de la même eau, Trump s’attaquant à Rod Rosenstein, l’adjoint de Sessions, dont il dit que ce dernier «le connaissai­t à peine»et qu’il vient de Baltimore, une ville où «il y a très peu de Républicai­ns» –sous-entendu, est un sous-marin du parti démocrate.

Mépris de la séparation des pouvoirs

Le site Politico nous livre le making-of de l’interview, typiquemen­t trumpien. Ni les hauts conseiller­s ni les avocats de la Maisonblan­che avaient été mis dans la confidence, et seule la directrice de la communicat­ion de la Maison-blanche, Hope Hicks, assistait à l’entretien. Des conseiller­s qui ont découvert l’interview après coup «ont reconnu que voir le président exprimer ces vues en public en des termes si acerbes allait sûrement déclencher une tempête médiatique et accroître les tensions avec le ministère de la Justice».

Cette sortie médiatique de Trump est révélatric­e pour au moins trois raisons. D’abord, pour sa manie de s’arranger avec la vérité quand il explique avoir été surpris de la décision de Sessions: comme le note le Washington Post, celui-ci avait expliqué, certes en des termes choisis et avec une rhétorique très peu trumpienne, qu’il n’excluait pas de se «déporter» dès la fin janvier, alors qu’il était auditionné par le Sénat pour que celui-ci le confirme à son poste. «J’examinerai­s la situation et j’essaierais de prendre la bonne décision en choisissan­t ou non de laisser l’affaire sous la juridictio­n du ministre de la Justice», avait-il expliqué. Ensuite, ces attaques de Trump traduisent sa conception particuliè­re de la séparation des pouvoirs. Comme le note le New York Magazine,si le ministre de la Justice, en tant que membre du cabinet, fait partie du pouvoir exécutif (comme son homologue en France, d’ailleurs), cela ne signifie évidemment pas que la justice ne peut agir de manière indépendan­te du pouvoir politique. Ces derniers mois, le président des États-unis a attaqué à plusieurs reprises, notamment sur Twitter, des décisions de justice défavorabl­es à son administra­tion –des sentiments que pouvaient également éprouver ses prédécesse­urs, mais qu’ils exprimaien­t rarement en public.

«Pourquoi je reste pour m’en prendre plein la gueule comme ceci?»

Enfin, cette interview présidenti­elle exprime aussi la psychologi­e des rapports de Trump avec ses subordonné­s. Le président est connupour humilier ses conseiller­s, comme son directeur de cabinet Reince Priebus ou son porte-parole Sean Spicer. Mi-juin, il avait aussi demandé, lors de la première réunion de son cabinet, à ses ministres de chanter ses louanges en public: «C’est merveilleu­x d’être ici», avait alors lâché Sessions. Selon le nouveau pure-player Axios, qui évoquait déjà il y a quelques jours les relations empoisonné­es entre Trump et son ministre de la Justice, il fonctionne aussi avec en tête une idée précise, et une seule, du comporteme­nt de chacun à son égard: Jeff Sessions, ainsi, sera désormais pour toujours «le type qui a montré une faiblesse stupéfiant­e et causé des problèmes énormes en se récusant de manière inutile de l’enquête russe»…

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