Le Temps (Tunisia)

L’europe diffère du Canada

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Les droits fondamenta­ux sont en principe universels. Mais leur portée concrète est tributaire du contexte sociétal dans lequel ils sont appliqués. Leur sens et leur portée varient d’un contexte à l’autre. Deux événements récents viennent rappeler leur caractère relatif. Une décision validant l’interdicti­on du voile et une autre censurant la republicat­ion d’images témoignent des différence­s entre les conception­s européenne­s et nord-américaine­s. Le 11 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé valide une loi belge interdisan­t de se trouver dans l’espace public vêtu d’une tenue destinée à dissimuler le visage. Le plus haut tribunal européen a estimé que la loi est justifiée dans son principe dès lors qu’elle vise à garantir les conditions du « vivre-ensemble ». La Cour ajoute que « les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratiq­ue directe en ce qui concerne la protection des droits de l’homme. En outre, grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’état se trouvent en principe mieux placées que le juge internatio­nal pour évaluer les besoins et le contexte locaux. » Dans le contexte de la Convention européenne des droits, la Cour rappelle la nécessité« d’accorder une importance particuliè­re au rôle du décideur national ». L’état dispose en effet d’une « ample marge d’appréciati­on pour décider si et dans quelle mesure une restrictio­n au droit de manifester sa religion ou ses conviction­s est “nécessaire” ». En somme, il revient aux élus de déterminer la limite entre le droit de manifester son identité religieuse en public et les impératifs du « vivre-ensemble ».

Ce jugement illustre la pluralité de façons d’envisager les limites à la liberté de religion. Au Canada, les tribunaux ont plutôt estimé qu’une loi ne peut a priori interdire le port de vêtements manifestan­t une identité religieuse à moins de démontrer des impératifs spécifique­s incontourn­ables pour limiter la liberté individuel­le. La liberté de religion est à cet égard plus étendue au Canada qu’en Europe. La semaine dernière, un tribunal français a interdit à Paris Match de republier des images émanant de dispositif­s de surveillan­ce et montrant le déroulemen­t de moments de l’attentat meurtrier perpétré à Nice le 14 juillet 2016. Selon ce qu’en rapporte Le Monde, le tribunal a estimé que certaines des photograph­ies diffusées par le magazine« témoignent d’une recherche évidente de sensationn­el, dès lors qu’elles révèlent des personnes paniquées, sur le point de se faire écraser ». Le tribunal retient aussi que les images « sont accompagné­es de commentair­es racoleurs », ce qui les rendrait indécentes. Pour le tribunal, ces photograph­ies portent atteinte à la « dignité humaine » et « n’apportent rien de nouveau au droit à l’informatio­n légitime du public sur les faits ».

Sanctionna­nt ce qu’il qualifie d’« atteinte à la dignité humaine », le tribunal interdit toute nouvelle publicatio­n de ces photos. Il refuse cependant d’ordonner le retrait des exemplaire­s de Paris Match déjà en vente, car une telle mesure serait difficile d’applicatio­n. En somme, le tribunal s’autorise à évaluer ce qui est constituti­f de l’intérêt « légitime » du public à l’informatio­n à l’égard de matériel déjà publié. Cette décision illustre la légèreté du poids de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit de départager le droit de publier des documents publics portant sur des événements publics et historique­s et les revendicat­ions de certains proches des victimes qui clament leur inconfort devant la diffusion de ces images. C’est une autre illustrati­on des conception­s prévalant en Europe à l’égard de la préséance accordée à l’une ou l’autre des libertés fondamenta­les. Tant à l’égard de la loi belge réprimant la liberté de paraître en public vêtu selon ses croyances religieuse­s qu’à l’égard des choix éditoriaux de Paris Match, les juridictio­ns européenne­s concluent que les libertés de religion et d’expression doivent céder le pas devant les exigences du « vivre-ensemble » ou encore devant la lutte au« sensationn­alisme ». Les tribunaux nord-américains font des évaluation­s différente­s de la place de ces libertés. La Cour suprême du Canada a jugé que les lois étatiques ne peuvent imposer un interdit général de porter en public des vêtements qui manifesten­t des identités ou croyances religieuse­s. De même, les tribunaux canadiens et américains exigent plus que des allégation­s de « sensationn­alisme médiatique » pour interdire la publicatio­n d’images relatant des événements historique­s ou d’intérêt public. Ces exemples viennent rappeler que les droits fondamenta­ux ont beau être proclamés universels, ils sont l’objet d’interpréta­tions qui peuvent en accroître ou en diminuer la portée, surtout lorsque leur exercice vient en conflit avec d’autres valeurs.

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