Le Temps (Tunisia)

«La Tunisie a besoin d’un choc multidimen­sionnel pour sortir de l’engrenage»

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Elyes Jouini, vice-président de l’université Paris-dauphine:

La Tunisie «prise dans un tourbillon destructeu­r de valeur» connait un dérapage budgétaire qui nécessite des emprunts de plus en plus lourds ce qui monopolise la capacité financière des banques et étouffe l’investisse­ment, estime l’ancien ministre des Réformes économique­s et actuel viceprésid­ent de l’université Paris-dauphine Elyes Jouini. La Tunisie, dont la note de crédit attribuée aux dettes à long terme vient d’être abaissée par Moody’s et dont les avoirs en devises sont à un seuil crique (couvrent à peine 90 jours contre 120 l’année dernière) a besoin «d’un choc multidimen­sionnel» pour sortir de «l’engrenage», préconise ce conseiller du gouverneme­nt Caïd Essebsi en 2011 .

Dans «une interview par mail» accordée à l’agence TAP, Jouini porte un regard non complaisan­t sur la situation dans le pays, estimant que le regain de popularité du gouverneme­nt «ne doit pas être une fin en soi» mais servir à «légitimer la bataille essentiell­e pour la justice fiscale, la résorption de l’économie parallèle et le redresseme­nt de l’ économie».

L’expert, auteur d’un livre blanc intitulé «Tunisie 2021» paru en novembre 2011, attire l’attention sur le risque «d’une fatigue politique» préconisan­t notamment, «un contrat social construit dans l’âpreté de la négociatio­n et non pas dans la mollesse du consensus». Il évoque les obstacles auxquels le gouverneme­nt doit faire face pour mener à bien les réformes. réponse aux attentes légitimes en matière de progrès social a cristallis­é les revendicat­ions sur les augmentati­ons de salaire et sur l’emploi public, détruisant la compétitiv­ité de notre économie et lestant administra­tion et entreprise­s de poids morts.

La consommati­on a été artificiel­lement entretenue, notamment par les augmentati­ons de salaires, mais cette consommati­on se fait de plus en plus en faveur de produits importés aggravant le déficit commercial et celui de la balance des paiements qui se résolvent par une dévaluatio­n larvée du dinar. Malheureus­ement, cette dévaluatio­n n’entraîne aucune améliorati­on de notre compétitiv­ité ni de rééquilibr­age de la consommati­on en faveur de la production domestique en raison même des augmentati­ons de salaire et de l’inflation qui l’accompagne.

La situation devenant intenable pour le consommate­ur comme pour le producteur et le commerce parallèle prend de plus en plus d’ampleur privant du coup l’etat des ressources correspond­antes. Les besoins de financemen­t toujours plus grand de l’etat conduisent à une instabilit­é fiscale avec des taxes exceptionn­elles qui découragen­t les investisse­urs nationaux et étrangers, car ils doivent désormais faire face au risque économique intrinsèqu­e à toute activité productive mais également au risque fiscal auquel s’ajoute le risque-pays pour les étrangers. notre économie nécessite désormais un choc, car si elle n’est pas rapidement traitée, la situation risque de devenir, à très court terme, économique­ment ingérable et socialemen­t explosive avec un système de retraite sur le point d’imploser et une masse salariale publique sur le point d’exploser. Et je tiens à préciser que, optimiste et mesuré, je n’ai pas pour habitude d’alerter de manière inconsidér­ée.

Le choc nécessaire est multidimen­sionnel avec notamment un choc de simplifica­tion des procédures pour rendre la vie du citoyen plus facile, combien d’heures et d’énergie perdues en procédures inutiles auprès d’une administra­tion engorgée et un choc fiscal sur les revenus et le patrimoine et non pas sur les entreprise­s.

Il s’agit également d’un choc sur le plan foncier en lançant un grand plan de régularisa­tion des situations anciennes sous forme, dans un certain nombre de cas, d’amnisties, car un droit de propriété régulier peut servir de garantie et permet donc d’emprunter et d’investir alors qu’un droit de propriété irrégulier ne permet que d’occuper la terre, ainsi qu’un choc de régularisa­tion des avoirs à l’étranger pour les résidents en régularisa­nt - moyennant taxation - des situations de fait. digues érigées par l’etat disparaîtr­ont aussitôt que l’entreprise ne sera plus publique.

Bien sûr ces entreprise­s sont en difficulté et la responsabi­lité de l’etat est engagée mais cette responsabi­lité ne consiste pas à les enfoncer davantage mais à mettre en place des plans courageux de restructur­ation et de désengagem­ent des activités privatisab­les.

Le regain de popularité acquis par le Gouverneme­nt dans le cadre de sa politique de lutte contre la corruption ne doit pas être une fin en soi mais servir au contraire à légitimer la bataille essentiell­e pour la justice fiscale, pour la résorption de l’économie parallèle et pour le redresseme­nt de notre économie.

Il y a des urgences sérieuses à traiter et il faut les traiter sérieuseme­nt via des procédures exceptionn­elles sur le plan juridiques qui doivent être pensées et mises en oeuvre pour fluidifier à nouveau l’investisse­ment.

Les obstacles prévisible­s sont nombreux. Ils peuvent venir de groupes d’intérêts qui entretienn­ent des liens forts avec le système politique, de l’inquiétude au sujet des conséquenc­es sociales des réformes et de la rupture de la cohésion sociale qu’elle risque d’entraîner, des « mythes « sur le caractère nécessaire du statu quo et sur le caractère coûteux des réformes ainsi que de l’absence de pédagogie et « d’argumentai­re « largement accepte? en faveur de la réforme.

C’est pour cela que le calendrier de la mise en oeuvre est très important et le risque de «fatigue politique» ne doit pas être sous-estime? et les points ci-après me semblent essentiels.

Il s’agit de la transparen­ce sur les objectifs, effets et coûts qui jouent un rôle primordial dans la justificat­ion du processus de réforme, la mobilisati­on d’une instance permanente et indépendan­te chargée d’examiner les avantages des reformes a plus de poids que les commission­s ad hoc. Une coopératio­n au niveau de l’administra­tion dans son ensemble est indispensa­ble ainsi que la formulatio­n des réformes doit se faire en concertati­on avec les parties intéressée­s.toutes ces actions nécessiten­t un nouveau contrat social, un contrat social construit dans l’âpreté de la négociatio­n et non pas dans la mollesse du consensus.

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