Le Temps (Tunisia)

L'horreur du verrou libyen

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Cela pourrait ressembler à une bonne nouvelle : pour la première fois depuis trois ans, c’est-à-dire depuis le début de la crise migratoire vers l’europe, le nombre d’arrivées illégales enregistré­es en Italie en juillet a fortement décru. Ce chiffre accuse même une baisse de 57 % par rapport à juin, pour revenir au niveau du premier été de l’exode à travers la Méditerran­ée, en 2014. Ajoutée à l’arrêt presque net du flux migratoire de la Turquie vers la Grèce depuis 2016, grâce à l’accord conclu par l’union européenne avec Ankara, cette évolution permet peut-être d’envisager une inversion de la courbe des arrivées sur l’ensemble des quatre routes vers l’europe empruntées par les migrants et leurs passeurs : Turquie-grèce, Libye-italie, Maghreb-espagne et Balkans. Mais est-ce vraiment bon signe ? S’il s’agit d’une tendance lourde susceptibl­e d’éviter de nouveaux drames dans la Méditerran­ée, qui a déjà englouti plus de 2 100 personnes cette année, c’en est incontesta­blement un. Toutefois, derrière les chiffres – qui ne reflètent, pour l’instant, qu’une tendance provisoire – se cachent d’autres évolutions, plus profondes et souvent inquiétant­es.

Une présence accrue de garde-côtes

La série de reportages de notre envoyé spécial Frédéric Bobin sur l’enfer migratoire libyen, dont nous commençons la publicatio­n aujourd’hui, en fournit quelques cruelles illustrati­ons. Si le flux des départs des côtes libyennes s’est tari en juillet, c’est en partie parce que des combats dans la région de Sabratha, une zone côtière très utilisée par les passeurs, ont perturbé le trafic. Une autre raison avancée par Frontex, l’agence européenne des gardes-frontières, est la présence accrue des gardes-côtes libyens, qui serait dissuasive pour les trafiquant­s. Or, comme la Turquie, la Libye n’est qu’un pays de transit. Le ralentisse­ment des arrivées en Europe signifie simplement, pour l’heure, non pas que les candidats à l’émigration clandestin­e ont renoncé à quitter leur pays, mais qu’ils sont, plus vraisembla­blement, bloqués en Libye dans des conditions généraleme­nt inhumaines. Alors que la route Turquie-grèce était en priorité utilisée par les gens fuyant les guerres de Syrie, d’irak ou d’afghanista­n, une nouvelle économie migratoire a émergé en Méditerran­ée centrale, sur la route Libye-italie, profitant du chaos post-kadhafi. Le flux migratoire d’afrique de l’est a été largement supplanté par un flux venant d’afriquecen­trale et occidental­e : un migrant sur six est désormais nigérian. En outre, le modèle économique de la migration illégale s’est totalement transformé, fragmenté en une multitude de circuits de passeurs qui non seulement décuplent les agressions et l’exploitati­on des migrants, mais compliquen­t considérab­lement les efforts menés pour les combattre.

Contrôler la mise en oeuvre de l’aide

L’action sur les pays de départ est une oeuvre de longue haleine. L’UE cherche donc logiquemen­t, dans l’immédiat, à concentrer ses efforts sur la Libye, en tentant de reproduire le modèle de l’accord avec la Turquie.

Mais peut-on sous-traiter la gestion de flux migratoire­s à un pays où l’etat est complèteme­nt défaillant, où les migrants sont livrés à l’esclavage et aux violences sexuelles à grande échelle, où les milices sont parfois complices des trafiquant­s ? C’est là tout le dilemme des Européens. Travailler avec la Libye, oui. Mais les yeux grands ouverts, en exigeant d’exercer sur place un contrôle de la mise en oeuvre de l’aide accordée. Pour ne pas, à notre tour, être complices.

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