Le Temps (Tunisia)

Les indicateur­s au rouge, mais l’issue de secours existe

- Walid KHEFIFI

La récente dégradatio­n de la note souveraine de la Tunisie par Moody’s sonne comme un rappel à l’ordre adressé aux autorités. L’agence de notation financière, qui a fait passer la note du pays de «Ba3 » à «B1 », soit la catégorie «hautement spéculatif», a dressé un tableau sombre de la situation de l’économie nationale. La plus grande ombre au tableau concerne le creusement continu du déficit budgétaire. Selon les estimation­s officielle­s, ce déficit est actuelleme­nt de l’ordre de 6,1% du PIB contre 4,8% en 2015. Cette détériorat­ion du déficit budgétaire découle de l’importante masse salariale dans le secteur public qui accapare 60% des recettes fiscales et représente 14% du PIB , du déficit des régimes de sécurité sociale et celui des entreprise­s publiques. Le niveau des avoirs nets en devises a atteint, le 14 août 2017, quelque 11,5 milliards de dinars ou 90 jours d’importatio­n, contre 120 jours d’importatio­n à la même date en 2016. Il est remonté ces derniers jours à 110 jours d’importatio­n suite au décaisseme­nt par la Banque mondiale d’une tranche de crédit de 500 millions de dollars. Et c’est là où le bât blesse car la remontée du niveau des avoirs nets en devises provient exclusivem­ent de la dette et non pas de sources durables comme les recettes des exportatio­ns ou les revenus de l’activité touristiqu­e. La chute des avoirs en devises qui explique en grande partie la dégradatio­n de la note souveraine risque fort de compromett­re les chances du pays d’emprunter sur les marchés internatio­naux à des taux raisonnabl­es mais aussi à défendre la monnaie nationale. «En dégradant la note de la Tunisie à B1 avec perspectiv­e négative, Moody’s est en train de dire à tous ses partenaire­s que le pays n’est probableme­nt plus en mesure d’honorer ses engagement­s financiers et de payer ses échéances au titre de la dette extérieure », déplore l’économiste Ezzedine Saïdane. Et d’ajouter : « Les conséquenc­es vont être une quasi-impossibil­ité pour la Tunisie d’aller sur le marché financier internatio­nal et même si elle y va, cela va être à des conditions insupporta­bles en termes de marge de risque et de coût global de ce financemen­t. Cela implique aussi que les investisse­urs étrangers vont être extrêmemen­t prudents à considérer la Tunisie comme destinatio­n d’investisse­ment».

Endettemen­t record

La situation est d’autant plus alarmante que le taux d’endettemen­t est passé de 50,8% du PIB en 2014 à près de 75% actuelleme­nt. De plus, la trajectoir­e de la dette reste particuliè­rement vulnérable aux fluctuatio­ns défavorabl­es du taux de change du dinar, en raison de la part importante de la dette en devises qui représente plus de 65% du total de la dette de l’etat.

D’autre part, le déficit de la balance commercial­e continue à se creuser. Durant les sept premiers mois de 2017, le déficit commercial a augmenté de 26% pour atteindre 8.628 millions de dinars, contre 6.856,3 millions de dinars une année auparavant, en raison de l’écart entre le rythme d’évolution des exportatio­ns et celui des importatio­ns. Le taux de couverture des importatio­ns par les exportatio­ns est de 68,9% seulement !

Face à cette situation peu reluisante, le Fonds monétaire internatio­nal risque de geler le décaisseme­nt de la troisième tranche de prêt en faveur de la Tunisie. En juin dernier, la deuxième tranche de prêt n’a été versée que grâce à un mécanisme appelée le «waiver». Il s’agit d’une décision politique qui a favorisé ce déblocage malgré le fait que l’etat tunisien n’avait pas rempli ses engagement­s. Mais cet instrument politique ne peut-être utilisé qu’une seule fois dans la vie d’un crédit. Stratégie de sauvetage Les experts estiment cependant que le gouverneme­nt dispose encore d’une marge de manoeuvre pour redresser la barre remettre à flot une embarcatio­n à la dérive. Dans ce cadre, Ezzedine Saïdane propose l’élaboratio­n d’une stratégie de sauvetage de l’économie suite à un dialogue national dédié à cet effet. «La stratégie de sauvetage de l’économie devrait être l’équivalent du plan d’ajustement structurel (PAS) appliqué par la Tunisie en 1986. Certains n’aiment pas les plans d’ajustement structurel. Ce n’est pas grave, vous pouvez l’appeler comme vous voulez. Il ne s’agit pas d’une ou de quelques mesures à entreprend­re, mais d’un ensemble cohérent de mesures. Un diagnostic bien fait devrait nous permettre d’élaborer un tel plan et nous indiquer où se situent précisémen­t les urgences», souligne-t-il. «Contrairem­ent à ce que disent certains, le PAS appliqué en 1986 était un succès et la meilleure preuve pour cela est que la Tunisie avait remboursé un crédit du FMI, trois ans avant son échéance ; c’est dire le redresseme­nt rapide de l’économie qui avait eu lieu à l’époque. Je pense que notre situation actuelle est beaucoup plus difficile, beaucoup plus grave, beaucoup plus complexe mais elle reste quand même gérable», renchérit-il. L’économiste Fatma Marrakchi Chérif suggère, quant à elle, à la relance des exportatio­ns et appelle la Banque Centrale de Tunisie (BCT) à arrêter d’entretenir artificiel­lement la consommati­on. «L’idéal serait de relever le niveau des exportatio­ns, notamment celles des phosphates, ou nous avons perdu des parts de marchés. La BCT, peut aussi réduire les crédits octroyés aux consommate­urs, si ces crédits sont destinés à l’achat de produits de consommati­on courante importés», précise-t-elle.

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