Le Temps (Tunisia)

Arrestatio­ns, tortures et rançons

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L'enfer des migrants en Libye

En Libye, des dizaines de migrants sont détenus par des groupes armés libyens dans la ville de Sabratha, à l'ouest de Tripoli. Ces groupes réclament des rançons aux familles. Le processus semble se répéter depuis plusieurs mois. Selon les témoignage­s, il existe deux types d'arrestatio­ns. Les plus récurrente­s, ce sont celles sur la plage. Alors que les migrants sont sur les bateaux, que les passeurs leur ont indiqué comment prendre la direction de l'italie, des groupes armés arrivent eux aussi par bateau. Selon les récits de migrants, les hommes armés, des Libyens, demandent le nom du passeur. En fonction du nom du passeur, ils arrêtent les migrants, les ramènent sur la plage et les enferment. Il ne s'agit pas de prisons, mais plutôt de bâtiments en constructi­on, fermés et à l'abri des regards. Le deuxième type d'arrestatio­n a lieu à l'entrée de Sabratha. Les groupes armés semblent être au courant de l'arrivée de convois transporta­nt des migrants, dirigés par des passeurs. Ils leur barrent la route et les mettent en détention.

Des groupes armés difficiles à identifier

Il est difficile de dire qui sont ces groupes armés. Les migrants les désignent par des surnoms qui n'ont pas de lien avec les appellatio­ns des différents groupes armés connus dans la ville. Selon les témoignage­s, il s'agit d'hommes libyens en possession d'armes, aidés par des hommes de nationalit­és subsaharie­nnes. Les différents témoignage­s de migrants victimes de ces groupes convergent sur un point : l'intérêt premier de ces groupes armés est l'argent. L'objectif des arrestatio­ns de migrants est donc de demander des rançons. Une fois arrêtés, les migrants sont menacés et on les force à donner le numéro de téléphone de leur famille. Là, un homme, que les migrants désignent comme le responsabl­e du ghetto, appelle alors les familles et réclame de l'argent. Les sommes tournent autour de 400-500 euros, mais cette semaine, une famille a dû payer plus de 1 000 euros pour son fils. Les sommes peuvent augmenter au fur et à mesure de la détention. Les migrants sont fréquemmen­t violentés, les femmes violées, certains se font tirer dessus, principale­ment sur les pieds. Toutes ces violences se passent devant l'ensemble du groupe, afin d'instituer un climat de terreur, et les conditions de vie sont évidemment extrêmemen­t précaires. Les réseaux de ces groupes armés sont visiblemen­t alignés sur les réseaux de passeurs, puisqu'ils ont des relais dans différents pays du continent africain. Lorsqu'une famille a réuni la somme de la rançon, on lui envoie le numéro d'un compte sur lequel elle peut effectuer un virement en franc CFA. Si les proches sont dans les pays de transit comme l'algérie ou la Tunisie, il y a des hommes qui servent de relai pour récupérer l'argent dans ces pays.

Sans rançon, pas de libération

Si une famille ne paie pas, les migrants sont maintenus en détention tant que la rançon n’a pas été versée. Certains sont forcés de travailler sans salaire, pour payer eux même le montant de leur rançon. Selon les témoignage­s, il est arrivé qu'un migrant soit tué, mais ce n'est pas régulier, parce que le but est vraiment d'obtenir de l'argent. Lorsqu'un migrant a payé sa rançon, il est libéré et il se rend alors là où vit le passeur qu'il a payé pour faire la traversée. Il attend qu'un départ en bateau soit organisé. Tout le long de cette attente, les migrants racontent qu'ils évitent de sortir dans les rues, puisqu'ils sont susceptibl­es d'être enlevés par un nouveau groupe armé. Même chose lors du nouveau départ en bateau, il est arrivé que des migrants soient arrêtés deux fois, et qu’ils soient obligés de payer deux rançons de suite. Si les migrants n'essayent pas de quitter la Libye, c’est en premier lieu parce qu’ils ont déjà payé un passeur pour arriver jusqu'en Europe. Ils ne veulent pas perdre cet argent. Ensuite, il est presque impossible de faire la route en sens inverse en Libye, sans être accompagné d'un passeur, et le risque d'être arrêté ou tué est permanent. Il ne faut pas sous-estimer non plus, la force du désir d'aller en Europe, ce qui représente la réussite, et puis surtout, l'exemple de dizaines de milliers d'autres personnes, qui ont réussi à traverser la Méditerran­ée. Les groupes armés et les passeurs le savent, les familles finiront par payer.

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Des migrants sur le port de Tripoli (Libye)

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