Le Temps (Tunisia)

L’ombre portée de la partition

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L’inde a célébré ses 70 ans cette année, le 15 août, précisémen­t. Accessoire­ment, le Pakistan aussi – la veille. Ce qui aurait dû êtreun motif de réjouissan­ces, l’anniversai­re de l’indépendan­ce d’un souscontin­ent si densément peuplé, la célébratio­n de son dynamisme et de son émergence comme puissance économique et politique, n’a pu être fêté comme il l’aurait mérité, malgré les cérémonies officielle­s.

Une frontière artificiel­le L’agitation qui règne au Cachemire, région déchirée entre les deux pays, en témoigne, parmi d’autres exemples : soixante-dix ans plus tard, l’ombre portée de la partition plane encore sur l’évolution de l’inde. La tragédie humaine provoquée par la partition, décidée en catastroph­e en 1947 par le vice-roi Lord Mountbatte­n tandis qu’un juriste britanniqu­e qui ignorait tout de l’inde, Sir Cyril Radcliffe, dessinait à la hâte une frontière artificiel­le, a marqué la naissance de ces deux pays dans la douleur. La question de savoir si la partition, visant àprotéger la minorité musulmane qui constituai­t alors 30 % de la population, aurait pu être évitée, est aujourd’hui vaine. Gandhi lui-même y était opposé ; il fut assassiné par des fanatiques hindous. Il restait au sous-continent indépendan­t à gérer cet héritage : plus d’un million de morts, une quinzaine de millions de personnes déplacées, viols, émeutes et massacres à grande échelle. Surmonter de tels drames exige un sens de la responsabi­lité politique et religieuse exceptionn­el. Ces dernières années, malheureus­ement, l’évolution des mentalités et des partis politiques, dans les deux pays, va à l’opposé de l’idéal de sécularism­e de leurs pères fondateurs.

Agressions et lynchages Au Pakistan, le fondamenta­lisme islamiste, reflet d’une dynamique mondiale, accroît son influence. Quant à l’inde, elle s’éloigne de plus en plus des valeurs libérales occidental­es auxquelles étaient attachées ses élites politiques pour setransfor­mer en puissance nationalis­te hindoue, sous l’impulsion de son premier ministre Narendra Modi, du parti qui l’a porté au pouvoir, le BJP (Bharatiya Janata Party) et de l’influent mouvement qui en forme la matrice idéologiqu­e, le RSS (Corps des volontaire­s nationaux). Cette évolution est en train de changer le visage de l’inde. La manifestat­ion la plus inquiétant­e en est certaineme­nt la montée de l’intoléranc­e religieuse, qui se traduit par la multiplica­tion des agressions et des lynchages de musulmans accusés de manger du boeuf par des hindous pour lesquels la vache est sacrée. Près de trente personnes ont ainsi été assassinée­s depuis 2010. Au-delà de la terreur semée par ces milices ultranatio­nalistes, une atmosphère d’intimidati­on s’installe. Le peu d’empresseme­nt manifesté par M. Modi pour condamner ces agressions, voire son silence, a été très critiqué par de nombreux intellectu­els qui, eux-mêmes, se sentent de moins en moins à l’aise dans leur pays. L’atmosphère politique dans son ensemble leur paraît hostile : l’opposition est en miettes et les contre-pouvoirs institutio­nnels affaiblis. Un prêtre extrémiste hindou, Yogi Adityanath, a été nommé cette année premier ministre de l’etat le plus peuplé de l’inde, l’uttar Pradesh, à la suite de la victoire écrasante des nationalis­tes du BJP aux élections régionales. M. Modi ambitionne de donner à l’inde le rôle qui lui revient sur la scène internatio­nale par une diplomatie active. Les nombreux dirigeants européens qu’il rencontre devraient se faire fort de lui rappeler les valeurs auxquelles il est en train de tourner le dos.

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