Le Temps (Tunisia)

Des questions légitimes

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Afflux de demandeurs d’asile

L’afflux de demandeurs d’asile arrivés au Canada de façon irrégulièr­e a semé un certain émoi au sein d’une partie de la population. Les réseaux sociaux sont inondés de commentair­es à cet effet. Certains versent dans le racisme et l’intoléranc­e, mais bon nombre d’entre eux sont la simple manifestat­ion de citoyens inquiets. Malheureus­ement, les réponses du gouverneme­nt fédéral demeurent insuffisan­tes.

Le contraste était frappant mercredi entre le premier ministre Justin Trudeau et le maire de Québec, Régis Labeaume. Chacun dans leur ville, ils évoquaient le sentiment populaire face à l’arrivée soudaine et irrégulièr­e de milliers de demandeurs d’asile — plus de 8000 depuis le début du mois de juin.

Selon M. Trudeau, le Canada reste « ouvert et accueillan­t » parce que les gens « ont confiance en notre système d’immigratio­n » et dans les moyens pris par les gouverneme­nts pour en assurer l’intégrité. Peu importe la façon dont les demandeurs arrivent au pays, ils sont tous soumis aux mêmes contrôles, règles et lois, qui sont appliqués avec rigueur, a-t-il insisté.

M. Labeaume, au contraire, pense que le refus de reconnaîtr­e « l’insécurité » des citoyens permet à l’extrême droite, qu’il exècre, d’occuper l’espace. Refuser d’en discuter est pur « aveuglemen­t » et une preuve de la déconnexio­n des élites politiques, dit-il. « Les Québécois veulent juste savoir où on s’en va. […] Ce n’est pas que les gens ne veulent pas d’immigratio­n, ils veulent juste comprendre le plan. »

On ne peut pas dire que les gouverneme­nts n’ont pas de plan de match. On a rapidement mis en place un camp à la frontière pour procéder aux évaluation­s de sécurité et augmenté les effectifs pour étudier les demandes. Le processus d’examen des demandes est suivi à la lettre. Le système est toutefois surchargé, et les efforts pour ralentir le flot, dont une campagne d’informatio­n lancée il y a une semaine aux États-unis, ont été bien tardifs.

Le message d’ottawa n’a pas non plus toujours été cohérent. Si les ministres fédéraux rappellent depuis des mois que franchir la frontière de façon irrégulièr­e n’est pas un laissez-passer pour s’établir au Canada, le premier ministre a longtemps préféré miser sur le message d’ouverture qu’il a adopté dès l’adoption du premier décret anti-immigratio­n du président américain, Donald Trump, à la fin janvier.

Peu après sa signature, le premier ministre Trudeau avait écrit deux gazouillis qui ont aussitôt fait le tour du monde. « À ceux qui fuient la persécutio­n, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueiller­a indépendam­ment de votre foi. La diversité fait notre force », avait-il écrit, suivi du mot-clic #Bienvenuea­ucanada.

M. Trudeau n’avait apparemmen­t pas mesuré les implicatio­ns de son coup de relations publiques. Un grand nombre parmi les premiers demandeurs à franchir la frontière au Manitoba en février ont dit avoir retenu ce message. L’afflux progressif a rapidement inspiré des craintes d’abus, de perte de contrôle des frontières, de pressions indues sur les finances publiques, des enjeux jamais vraiment débattus.

Les questions à ce sujet sont pourtant légitimes et, bien que le maire Labeaume emmêle neutralité, laïcité et immigratio­n, il n’a pas tort quand il demande qu’on y réponde franchemen­t au lieu de les balayer sous le tapis en laissant entendre que ces préoccupat­ions ont un fond raciste et intolérant.

Justin Trudeau a dit mercredi comprendre les craintes de certains citoyens de voir des demandeurs d’asile prendre des raccourcis, mais il persiste à déformer les faits sur un point important qu’il refuse de débattre, soit l’accord sur les tiers pays sûrs qui nous lie aux États-unis.

S’adressant aux demandeurs, il a affirmé qu’il n’y avait pas d’avantages à entrer irrégulièr­ement au Canada. Or l’accord avec les États-unis oblige les demandeurs à présenter leur requête dans le premier des deux pays où ils arrivent. S’ils tentent ensuite leur chance à la frontière de l’autre pays, ils seront refoulés. La loi canadienne exige cependant que toute demande faite en territoire canadien, même par une personne arrivée de façon irrégulièr­e, soit évaluée à son mérite, ce qui pousse des demandeurs à contourner les contrôles frontalier­s pour y entrer.

Le Canada respecte ses obligation­s internatio­nales dans cette affaire et il a raison de le faire, mais les gouverneme­nts, le fédéral au premier chef, doivent donner l’heure juste aux citoyens et prendre leurs interrogat­ions au sérieux. La confiance est à ce prix.

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