Le Temps (Tunisia)

L'actualité morale de Jean Valjean

•L’oeuvre de Victor Hugo continue de faire rêver. Pour le comédien Christophe Delessart, l’appétence n’était pas mince : faire revivre Jean Valjean, l’immémorial héros de Victor Hugo dans Les misérables (1862).

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Il a donné corps et âme à ce personnage qui a depuis longtemps quitté les pages romanesque­s pour devenir celui qui accompagne chacun dans des rêves fous de justice et d’égalité. Le comédien a résumé à sa façon cette oeuvre qui figure parmi le legs majeur de Victor Hugo et très certaineme­nt de la littératur­e mondiale. Pour le comédien qui a joué «Valjean» au festival Off d’avignon, au Pixel théâtre, l’actualité morale de l’écrivain du XIXE siècle est toujours nécessaire aujourd’hui. «J’ai le sentiment que la société régresse à tous les niveaux. On retrouve de l’humain lorsqu’on frôle les catastroph­es, mais au quotidien on est dans un monde qui s’est modélisé», affirme-t-il à El Watan.

Pour lui, dans les intentions de Victor Hugo, «le premier point était l’accès à la culture, l’accès à la lumière, enrichir les gens», nous confie-t-il, ajoutant : «On est dans une société où on restreint l’univers des gens, où on lobotomise les gens, même si le mot est fort, en tout cas, on réduit l’univers des possibles.» Le héros des Misérables passe du bagne à la reconnaiss­ance, tout en étant poursuivi par l’implacable inspecteur Javert. Sauveur de la petite Cosette qu’il élèvera puis perdra lors de son mariage avec Marius, la vie de Valjean, partie de rien, frôle la plénitude d’un parcours bien rempli. «Il y a chez Hugo la volonté de montrer la misère sans, comme on le voit chez Zola, se complaire dans sa descriptio­n. Hugo la montre pour donner aussi à la société l’énergie de la combattre. Peindre la misère avec pour objectif de la faire disparaîtr­e, c’est une idée révolution­naire.» Il suffit de voir dans ce texte magistral de Victor Hugo une sorte de conte vertueux, avec ce mauvais bougre qui devient un homme bon, notamment grâce à l’évêque qu’il a volé mais qui l’absous de ses délits avant les gendarmes forcés de la relâcher. Ensuite en sauvant des griffes des Thenardier, Cosette, la fille de Faustine, pauvre ouvrière morte de maladie, Jean Valjean entre dans la lumière. Il va l’élever et la chérir. Christophe Delessart acquiesce : «Oui c’est un conte mais réaliste. Un conte heureux mais dans les idées fortes, il y a le fait qu’hugo présente comme difficulté majeure pour Valjean le passeport jaune de sorti du bagne qu’il doit présenter partout dans ses déplacemen­ts. Il a été marqué par un passé et ce passé doit le suivre jusqu’au bout. Aujourd’hui, c’est un peu ce qui se passe. Dès que vous êtes catalogué, fiché, vous ne ferez plus rien d’autre, quel que soit le domaine, avec des intensités différente­s.» Cela nous rapproche d’une certaine manière des «avec papiers» et des «sans papiers», des logés et des SDF, des pauvres et des riches, que toute société scinde en camps clairement délimités. Le comédien nous rappelle enfin que son adaptation du monument hugolien a déjà trente ans. Au départ, «je l’ai faite sans comprendre pourquoi. A l’époque, Jean Valjean était mon héros. Ce que j’avais vu chez lui, c’est un personnage capable d’assumer la haine, la violence et d’être toujours debout. Faire dix-neuf ans de bagne et continuer à vivre. Cela faisait écho à ma vie avec une enfance un peu compliquée où j’ai pris des coups sans chuter parce que j’avais des modèles. Valjean était l’un d’eux. Trent ans plus tard, je reprends le texte, avec l’expérience de la vie et on sait que la vie n’est pas que de la violence et de la colère. Avec le temps, la vraie force, c’est l’amour, la tendresse, la transmissi­on. C’est toute la dimension du personnage qui me plaît. Valjean n’est pas de la science fiction. Il est des êtres qui par le hasard de bonnes rencontres humanistes font germer en eux l’envie d’être bons». En tout cas, cela donne un moment de théâtre édifiant, avec un comédien qui joue à merveille des contours non seulement du personnage de Valjean mais aussi des autres personnage­s qu’il nous fait revivre, seul en scène.

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