Le Temps (Tunisia)

Fou, le dictateur?

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Le « dictateur fou » de Pyongyang… ne l’est peutêtre pas tant que ça. Entre Kim Jong-un et Donald Trump, celui des deux qui, dans l’affronteme­nt actuel, comprend le mieux ce qu’il fait, et sait le plus où il veut aller… c’est sans doute le premier.

En testant, essai après essai, missile après missile, bombe après bombe, des « lignes rouges » qui reculent continuell­ement, Kim et ses conseiller­s semblent, jusqu’à maintenant, avoir correcteme­nt calculé leurs coups. Et ils ont imposé un effarant fait accompli : la Corée du Nord est devenue une puissance nucléaire. Le couplage des ogives et des missiles nord-coréens n’est peut-être pas encore au point ; Pyongyang n’est pas encore à même de menacer l’amérique du Nord. Mais Kim Jong-un, derrière sa rhétorique « folle » et agressive, derrière une dictature impitoyabl­e, dissimule une vraie pensée stratégiqu­e. Les États-unis, par la voix du twitteur en chef, ont beau menacer leur ennemi de faire tomber « le feu et la furie comme le monde n'en a jamais vu », répéter que « discuter ne donne rien », l’ambassadri­ce américaine a beau dire que « le temps des demi-mesures est terminé », la réalité est celle d’un grand désarroi stratégiqu­e, à New York, à Washington et ailleurs. Le fait accompli nord-coréen perturbe un ordre nucléaire de sept décennies : cinq puissances reconnues, un consensus et un traité de non-proliférat­ion, plus deux ou trois tricheurs qu’on tolère… parce que, sur ce point précis, ils sont sages et discrets. «Le temps de la faiblesse est terminé », a martelé hier le Français François Delattre au Conseil de sécurité… Mais le contraire de « la faiblesse », c’est la force. Et la force, face à la Corée du Nord, qu’est-ce que c’est ? De « vraies » sanctions qui feraient mal, et pas seulement le gel des exportatio­ns de nickel et de cuivre, ou encore l’expulsion de Pyongyang du système bancaire internatio­nal ? Les sanctions contre Pyongyang — sept votes à L’ONU depuis 2006 — sont des tartes à la crème qui n’ont pas empêché Pyongyang, non seulement de narguer le reste du monde, mais aussi de démontrer méthodique­ment ses progrès technologi­ques, par une escalade remarquabl­ement bien calibrée. Des sanctions économique­s qui feraient vaciller le régime, en étouffant son économie ? Il y a un pays — et un seul — qui pourrait les appliquer : la Chine, qui absorbe entre huit et neuf dixièmes des exportatio­ns de la Corée du Nord, et garantit ses approvisio­nnements énergétiqu­es. Mais les dirigeants chinois, tout en étant authentiqu­ement exaspérés par ce « petit frère » qui ne les écoute pas, ne veulent pas faire tomber son régime. Une Corée du Nord nucléaire, qui joue sans cesse aux limites, déplaît souveraine­ment à Xi Jinping. Mais une Corée du Nord effondrée, qui serait ensuite absorbée par la Corée du Sud capitalist­e et pro-washington… c’est encore pire. Et ultimement, c’est NON. Alors, même si Pékin a appuyé les sanctions au Conseil de sécurité, c’était un appui avec les doigts croisés dans le dos : les Chinois apposent toujours un veto de factosur l’applicatio­n des sanctions. Pékin vote peut-être en leur faveur… mais ne les applique que partiellem­ent, et veillera à ce que ne soit jamais écrit « Cessation des livraisons de pétrole »… ce qui serait « la » vraie sanction mortelle. Alors, de guerre lasse, avec un président agité, ignorant mais relativeme­nt neutralisé, Washington durcit le ton. Donald Trump évoque une possible réponse militaire… mais ce sont des mots qui ne seront vraisembla­blement pas suivis d’action. Parce qu’une solution militaire est impossible. Il n’existe pas — de l’avis des experts — un scénario réaliste et efficace qui consistera­it à clouer au sol, dans une frappe éclair foudroyant­e, toutes les capacités militaires de Pyongyang. Selon les simulation­s disponible­s, l’artillerie nord-coréenne (on ne parle pas ici de bombes atomiques), qui tient en joue Séoul à quelques minutes de tir, aurait toujours le temps — ne serait-ce qu’une heure, ou même quelques minutes — pour frapper la Corée du Sud de façon dévastatri­ce en représaill­es, avant d’être elle-même totalement neutralisé­e. Malgré le sentiment d’impuissanc­e ressenti à Washington, à Pékin, en Europe, s’imposera sans doute, dans un mois, un an, l’idée qu’il faudra absolument parler et négocier avec ces gens-là. Avec une main affaiblie par toutes ces années de divisions et de tergiversa­tions.

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