Le Temps (Tunisia)

Le cauchemar recommence !

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A cause d’une actualité bouillonna­nte et riche en événements, le retour en force de l’émigration irrégulièr­e peine à mobiliser et à s’imposer en thématique du moment, malgré son importance et surtout sa gravité. Selon les dernières statistiqu­es, entre 2000 et 5000 Tunisiens auraient tenté de rejoindre les côtes italiennes. Certains sont parvenus à toucher la terre ferme, d’autres ont été intercepté­s en pleine mer et d’autres ont perdu la vie.

Après des années de répit, ils sont de nouveau de plus en plus nombreux à vouloir quitter la Tunisie pour rejoindre les côtes sud de l’europe. Depuis quelques semaines, les autorités italiennes ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Côté tunisien, chaque jour ou presque, les autorités font état d’individus arrêtés alors qu’ils tentaient de migrer clandestin­ement. Contrairem­ent aux vagues migratoire­s irrégulièr­es antérieure­s, celles-ci ne concernent pas seulement de jeunes hommes sans diplômes ni qualificat­ions. En effet, à bord des barques vétustes qui affrontent les vagues de nuit, les destins se croisent, les histoires se suivent, mais ne se ressemblen­t plus. Il y aurait de plus en plus de femmes à bord des embarcatio­ns de fortune mais également beaucoup de trentenair­es, de quarantena­ires et même des personnes plus âgées, dont beaucoup sont des chômeurs diplômés et d’autres ayant récemment perdu leur travail, mais aussi tout espoir d’un avenir prospère en Tunisie. Chacun a laissé derrière lui un parent, un proche, un ami, un rêve. Tous ont déboursé une somme considérab­le pour pouvoir embarquer à bord. Tous sont conscients du danger qui les guette. Tous savent qu’ils risquent de laisser leur vie dans ce périple risqué. Tous se savent traqués par les autorités tunisienne­s et italiennes et qu’ils risquent d’être intercepté­s et arrêtés à tout moment, mais tous veulent y croire. Ils s’accrochent à l’illusion d’un lendemain meilleur et d’une vie digne, à défaut d’être parmi les leurs.

Une problémati­que sociétale, une responsabi­lité commune

Ces « migrants de la mer », Souheil Bayoudh, Président de l’associatio­n « Forzatoune­s » les connaît bien. S’activant dans les quartiers populaires, allant régulièrem­ent à la rencontre des jeunes et des moins jeunes pour écouter leurs problèmes, les membres de l’associatio­n sont conscients de l’ampleur du phénomène. Mercredi, ils ont publié un communiqué dans lequel ils demandent au président de la République de décréter une journée de deuil national et de mettre les drapeaux en berne suite à la tragédie survenu en mer dimanche dernier. Ils espèrent également que la journée du 8 octobre soit déclarée Journée Nationale de la lutte contre l’émigration clandestin­e. Enfin, ils font porter la responsabi­lité de la recrudesce­nce de ce phénomène aux gouverneme­nts qui se sont succédé depuis des années et plus particuliè­rement à la troïka qui aurait mené le bateau de la Tunisie à la dérive aussi bien sur le plan économique que sociétal. « Il est urgent que l’actuel gouverneme­nt prenne en main cette problémati­que et en fasse une priorité. Jusqu’ici, il n’y a pas eu de prise de conscience collective de la part des autorités, des décideurs, des acteurs de la société civile et des intellectu­els face à ce danger. Nous assistons à une vague de désespoir général qui découle d’une responsabi­lité générale et d’un déni des autorités. Il faut agir et trouver des solutions mais avant tout, il faut prendre conscience de l’ampleur et de la gravité du phénomène. » Pour Souheil Bayoudh, il ne suffit pas de limiter la lutte conte l’émigration clandestin­e à l’aspect sécuritair­e et à la multiplica­tion des unités de contrôle des frontières. Il faudrait plutôt remonter à l’origine du problème et mettre en place une stratégie nationale pour parer à la dégradatio­n de la situation économique et sociale. « Les gens n’en peuvent plus des conditions de vie actuelles et du coût de la vie de plus en plus exorbitant. Il faut savoir que cette migration ne touche plus exclusivem­ent les plus démunis et ceux qui sont sans qualificat­ions aucunes. Aujourd’hui, elle touche également les jeunes diplômés chômeurs et ceux qui exerçaient jusqu’à un passé proche un métier mais qui l’ont perdu, notamment les profession­nels de l’artisanat ou du tourisme. Les personnes qui embarquent en direction de l’italie sont de plus en plus âgées et de plus en plus qualifiées, ceci est un fait. Pour preuve, il y a un homme de 67 ans qui a récemment essayé de migrer de cette façon. »

Cri du coeur

Interrogé sur les chiffres avancés il y a quelques jours par le Forum Tunisien des Droits Economique­s et Sociaux (FTDES), à savoir plus de 50% des jeunes Tunisiens chercherai­ent à quitter la Tunisie, Souheil Bayoudh affirme que ces chiffres sont bien en dessous de la vérité. « La réalité est beaucoup plus alarmante. J’estime que 80% des jeunes aspireraie­nt à partir vivre ailleurs et n’hésiteraie­nt pas à émigrer s’ils en avaient la possibilit­é et surtout les moyens. » Enfin, à la question de savoir si ceux qui embarquent à bord des barques de fortunes sont conscients des risques, il affirme que oui. Il déclare que souvent lorsque des membres de l’associatio­n « Forzatunis­ia » vont à la rencontre des jeunes dans les quartiers populaires, ils entendent souvent les mêmes doléances et surtout les mêmes mots qui résonnent à chaque fois comme un cri du coeur, un cri de désespoir total, à savoir : « Ici, je suis déjà mort. Je n’ai plus rien à perdre. Je cours ce risque dans l’espoir d’un avenir meilleur. » Pourvu seulement que ce cri trouve écho au près des décideurs !

Rym BENAROUS

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