Opuscules en vers et en prose
Lire, écrire, rêver…
Ammar Akermi, professeur de français et homme de culture, a publié un premier recueil de poésie en 2015, Regards.., un second en 2016 Traces. La première de couverture du premier recueil mentionne en haut de la page les nom et prénom du poète. On notera la mise en valeur du titre du livre par le corps des caractères et des capitales, suivi de deux points de suspension Regards.. (Un choix significatif) et plus bas, en léger décalage, le genre « poésie ». Sur cette même couverture est représenté un visage de femme, une peinture enserrée dans un cadre carré. Tout à fait en bas figure le nom du pays, la date de publication (Tunisie 2015), ce qui évoque la seule impression et diffusion, sans mention de l’éditeur. Le tout sur fond marron chocolat.
Dans la dédicace, après l’hommage rendu à son père, à sa mère, à ses maîtres, « A vous tous chers lecteurs. J’offre ces vers en vrac » (Ammar Akermi). « Le vrac », ce sont ces éléments en apparence disparates qui composent le souvenir, qui suggèrent des impressions mêlées , de désordre ,mais aussi de vie, de beauté, un véritable bouquet. Un bouquet doit être beau, toucher l’émotion et le coeur. « Regards.. »,un bouquet ayant un sens narratif, puisque le poète se raconte « Mon père » « Ma mère » « l’école » « l’internat » et un sens symbolique, le parcours d’un être en quête de sens, face au climat de violence qu’ a connu la patrie « à un terroriste » « le jeune terroriste »,à la condition de la femme africaine, aux humbles, aux laissés pour compte « Le petit cireur de bottes » « Femme» à l’avenir de la patrie « Mère » « Belle ». Le recueil se présente comme une peinture d’émotions, un chant « hymne au voile » à l’écharpe une danse. Regards.., une véritable balade, intensifiant le lyrisme
de l’écriture par les comparaisons, les métaphores, les anaphores, par l’ampleur des vers, l’absence de la ponctuation, qui permettent l’expression de la méditation.
Lire, livre, lecteur, cueillir, choisir. L’acte de lecture exige du regard qu’il « cueille » les lettres et les syllabes pour les mettre en relation avec des sons, pour aboutir au mot et au sens. L’oeil met les lettres en bouquet pour en faire des phrases. Le regard est la réception des sensations avec le corps, par les yeux, ce sens de la vue. Regards.. met en jeu la volonté et par conséquent le choix conscient. En passant par la perception on passe par la pensée, par les mots, Regards.. est donc tout à la fois métaphore et quintessence de l’acte de lecture.
La première de couverture du recueil Traces mentionne les nom et prénom du poète Ammar Akermi ;le titre « Traces » est mis en évidence à l’encre rouge et donne une direction d’interprétation .Au centre de la page est représentée l’image d’une nature automnale, puis le genre « poésie ».Au bas de la page
deux oiseaux-un noir à gauche, un rouge à droite-roucoulent sur une fine branche en fleurs en dessous de laquelle est mentionné le nom de l’éditeur « Editions THAKAFIA » qui évoque un travail dépassant la seule impression et diffusion du livre :un éditeur accompagne la publication du recueil, discute avec l’auteur, le critique, l’encourage, lui demande de modifier certains aspects de son ouvrage. Le tout sur un fond vert pistache, image du rayonnement. La typographie est l’élément étonnant du recueil Traces : l’ italique met en relief tous les poèmes, non seulement pour attirer le regard, mais aussi pour suggérer un jeu de significations dépassant le sens commun ; l’inclinaison, la diagonalisation des lettres est en soi, déjà une métaphore des « glissements de sens » :Le chant d’amour pour la femme aimée, l’épouse, c’est aussi le chant d’amour pour la patrie, amour pour la beauté, beauté de la femme aimée, beauté de la patrie, femme et patrie se rejoignant définitivement, jalousement comme par magie dans un effet de miroir « Je
suis jalouse des miroirs qui te guettent ». « Jalousie » « Jalousie » se retrouve dans le premier recueil Regards.. Trois points de suspension en forme d’étoiles, (cosmos, rêve éveillé), délimitent les strophes dans nombre de poèmes, contraignant la lecture à marquer des pauses, des suspens « Père » « Femme ». Par ces arrêts ou alertes, le questionnement du poète en quête de réponses, prend un caractère apolléonien : l’écriture devient de plus en plus solaire, mesurée, sage, édifiante. Elle conduit le poète vers le chemin d’un désir du divin « Invocation ». Traces est un hymne à la femme, (bien plus réelle qu’hélène, car elle est fée, muse) à la patrie, à la beauté de la révolution, au courage des tunisiens, aux martyrs, aux sacrifiés. « Sarra » c’est le massacre d’une jeune lycéenne, c’est la patrie montrée sous le touchant et émouvant visage de l’innocence massacrée.
Traces est un chant d’espoir « une éclaircie, » une lumière. Le recueil forge la décision du poète, qui de retrouve âpre
défenseur de la patrie.
Traces trace le parcours d’une vie : « Dahmani « , la mère , le giron ; « le Kef », la belle indolente , Le poème « Zaghouan », renvoie à la région où Ammar Akermi a enseigné, des années durant ; il constitue une sorte de journal de bord. Le tutoiement instaure le registre de la confidence et de la nostalgie. La poésie de Ammar Akermi fait de la vie un monde intégré par les mots : les mots ont une existence ; ils sont mis exactement au même niveau que les différentes réalités du monde, « J’écris » Écrire pour ne pas oublier, écrire pour conjurer la mort, pour vivre ,aimer ,rester debout. Le poète Ammar Akermi est un passeur : à travers sa poésie il assure la pérennité du souvenir et donc de l’existence.
Le privilège de la poésie de l’auteur de Regards.., Traces n’est pas seulement de traduire des angoisses, mais surtout de donner corps au rêve. «Réveille-toi » ô ma patrie. Dans tes cieux brûlera Bientôt la soeur liberté (« Mon pays »)