Le Temps (Tunisia)

«Si ce n’est toi c’est donc ton frère» !

- Ahmed NEMLAGHI

Cette citation tirée de la fable « le loup et l’agneau » de La Fontaine s’applique parfaiteme­nt aussi bien aux bourreaux qu’aux victimes de la torture.

Ces derniers recouraien­t à la torture pour extirper des aveux à celui qui est innocent mais qui a osé critiquer l’attitude d’un policier ou critiquer les propos d’un responsabl­e. Du coup, même s’il n’a rien fait il appartient selon ceux qui veulent coûte que coûte l’incriminer au courant de ceux qui refusaient la dictature et la spoliation des droits et des libertés.

Pour les victimes les bourreaux qui les passaient à la « rôtisserie » ou « à la patinoire » n’étaient pris personnell­ement à partie mais ce sont leurs chefs qu’on mettait à l’index. Au cours des auditions publiques des victimes de la torture, organisées par L’IVD, une des victimes a déclaré qu’il n’en voulait pas du tout à ses bourreaux dont certains sont mêmes devenus ses amis ultérieure­ment mais à leur chefs qui leur ont intimé l’ordre de procéder à cette pratique inhumaine, et qui a couté la vie à certains et de laquelle plusieurs autres s’en sont tirés avec de graves séquelles physiques et psychiques. « Beaucoup de prisonnier­s finissaien­t fous », raconte l’une des anciennes victimes dans le cadre de ces auditions en se demandant quelles pouvaient être les motivation­s des bourreaux : « pourquoi font-ils cela ? Leur motivation était-elle idéologiqu­e ? Ou cherchaien­t-ils juste une promotion ? ». Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas leur porter le chapeau en occultant les vrais responsabl­es, c’est-à-dire les donneurs d’ordre.

Les auteurs de crimes ont été invités à passer devant L’IVD pour bénéficier d’un pardon ou d’une remise de peine s’ils sont en prison. «Certains hauts cadres qui ont ordonné des tortures sont encore en place et font pression sur les exécutants pour qu’ils ne parlent pas», regrette un avocat membre de l’unité d’instructio­n à L’IVD. Concernant ceux qui ont été inculpés en tant que donneurs d’ordre, sous l’ancien régime, étant donné les postes de haute responsabi­lité qu’ils occupaient, ils font l’objet de poursuites pénales, mais les affaires relatives dans lesquelles ils sont impliquées sont encore pendantes devant le tribunal.

Parmi ces affaires, celles où plusieurs hauts responsabl­es sous l’ancien régime ont été inculpés.

Dans cette affaire la victime, un enseignant à l’université en France, a été accusé de préparer un attentat visant le parti au pouvoir, le RCD. Condamné à 26 ans de prison, il a été libéré en 2006. Ce n’est qu’après la révolution qu’il a porté plainte.

Le verdict en première instance a été rendu en 2015, statuant que les faits ont été prescrits. Seul Ben Ali a été condamné à cinq ans d’emprisonne­ment, les autres accusés ont été relaxés. Portée en appel, elle a été reportée hier, elle a été renvoyée à la demande de la défense. À noter que la victime rapporte qu’elle a fait « l’objet d’atroces tortures». Lever la prescripti­on Sur le plan juridique sur ce genre d’affaire les avis divergent, d’aucuns se référant au droit interne qui est muet sur la question et estiment qu’il est donc tout à fait fondé d’appliquer la prescripti­on en matière criminelle dans le cas d’espèce.

D’autres au contraire se réfèrent au droit internatio­nal et notamment la convention contre la torture ratifiée par la Tunisie depuis 1988, et en vertu de laquelle il s’agit d’une infraction qui ne se prescrit pas.

De ce fait ils dénoncent une violation de ladite convention , en qualifiant le jugement dans l’affaire de Rached Jaïdane de « décision majeure, dans un contexte où la justice transition­nelle semble piétinée et être sérieuseme­nt menacée par un gouverneme­nt enclin à faire table rase des crimes du passé». Les organisati­ons de défense des droits de l’homme appellent à « lever la prescripti­on dans cette affaire et exigent des juges une qualificat­ion juridique, qui permet des poursuites, et qui est à la hauteur de la gravité des faits ».

Il est très important en tous les cas que les victimes de torture soient équitablem­ent dédommagés, et que la justice tunisienne oeuvre à une éradicatio­n systématiq­ue de l’impunité dans ce genre de crime, où ce ne sont uniquement les bourreaux qui en sont responsabl­es, mais ceux qui leur ont donné des ordres ainsi que tous ceux qui ont occulté la moindre atteinte à la dignité humaine. Il s’agit désormais d’une responsabi­lité collective, en vue d’une éradicatio­n de ces pratiques dégradante­s et honteuses

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