Quand les artistes transcendent les migrations
Plusieurs artistes tunisiens ont créé oeuvres, installations et performances et travaillé sur la question des migrants. Organisée par l'art Rue et l'organisation internationale pour les migrations, une table-ronde a permis d'évaluer le potentiel créatif, les réponses institutionnelles et les réalités du terrain...
L'association L'art Rue a accueilli mardi 28 novembre une rencontre-débat afin d'approfondir la réflexion sur la capacité de l'art à changer le regard de l'opinion publique sur les migrants. Organisée en partenariat par l'organisation internationale pour les migrations (OIM) et l'art Rue, cette rencontre a été suivie par un public essentiellement composé d'artistes contemporains et d'activistes associatifs.
Paroles croisées pour défricher l'avenir
Trois articulations successives ont servi de trame à des débats animés. Le premier axe de discussion posait la question de la capacité des artistes à a transcender les frontières et a permis de discuter de cette notion de frontière et de plusieurs expériences artistiques s'étant déroulées en Tunisie. L'artiste visuel Nidhal Chamekh a ainsi évoqué ses créations récentes dans le cadre de la dernière édition de Dream City alors que Saloua Ghrissa, présidente de l'association pour la promotion du droit à la différence, a développé une réflexion sur la question migratoire et les périls encourus par les migrants. Pour sa part, Lorena Lando, chef de mission de L'OIM en Tunisie, a analysé le pouvoir de l'art et de la communication tout en brossant un panorama sur la question. Le second panel a donné la parole à deux artistes et deux experts. La question en discussion était la suivante: "Quand l'art donne la parole aux jeunes "harragas". Dans cette optique, le collectif Corps citoyen a rendu compte de sa méthode de travail et de sa démarche artistique qui consiste à faire remonter la parole des sans-voix pour la mettre en exergue dans ses créations. Trois membres de ce collectif ont pris la parole pour raconter leur rencontre avec les jeunes de la médina de Tunis et leurs difficultés. Sur ce même terrain, l'artiste visuelle Héla Ammar a aussi décrit son travail "A Contre-jour", réalisé dans les mêmes conditions dans le cadre de Dream City 2017. Pour sa part, l'universitaire Mustapha Nasraoui, professeur en psychologie sociale, a évoqué ses recherches et ouvrages dans ce domaine. Enfin, Paola Pace, chef de projet à L'OIM a établi une synthèse sur la question à partir de ses propres observations de terrain.
Cet axe de discussion a généré un débat des plus riches avec les interventions de plusieurs des artistes présents dans la salle. Ainsi, les membres de Lab 619 ont introduit leur dernier travail de bandes dessinées sur la question de la migration. De même, Sadika, Marianne Catzaras, Cyrine Gannoun et Wadii Mehiri ont explicité leurs démarches et présenté au public certaines de leurs créations récentes. Cette question précise a en outre suscité les commentaires les plus variés permettant de constater une prise de conscience bien réelle du problème humain posé et des réponses artistiques qui se développent dans ce sillage.
Le troisième axe de discussion intitulé "Quand l'art se révèle à
nos frontières" a permis à l'écrivain libyen El Mekki Moustajir de parler de son expérience de la censure et des questions liées aux migrants en Libye. Cet intellectuel réfugié en Tunisie a parlé des énormes difficultés qu'avaient les migrants dans son pays et de la quasi-impossibilité de leur porter assistance par le biais artistique. Ce témoignage est venu s'ajouter à l'ensemble des interventions pour souligner le travail accompli par le monde associatif et les organisations internationales dans le domaine de la migration. La présentation de El Mekki Moustajir a été suivie par un exposé de Hanen Belgacem, assistante de projet à L'OIM, qui a permis d'évaluer les méthodes d'action de cette organisation onusienne.
Les artistes et la complexité migratoire
Encore une fois, les débats ont été des plus intéressants, avec la participation d'étudiants, artistes et associatifs du Centrafrique et du Congo qui ont témoigné de leurs propres expériences. Le public a ensuite été convié à des déambulations en guise de découvertes d'oeuvres d'artistes tunisiens traitant de la question des migrations. S'inscrivant dans le prolongement de Dream City 2017, cette rencontre a permis le dialogue d'idées escompté et aussi ouvert de nombreuses perspectives sur les capacités de l'art contemporain à intervenir dans la complexité migratoire actuelle. Toutefois, cinq heures de débat et d'ateliers ne sauraient suffire dans un domaine qui appelle une réflexion intense, ciblée et exhaustive. C'est probablement pour cette raison que les interactions entre participants se sont poursuivies durant une heure supplémentaire de manière informelle mais avec l'ambition de continuer à oeuvrer dans le sens du progrès.
Hatem BOURIAL