Le Temps (Tunisia)

Ne touchez pas à Borj-errass…

- Samia HARRAR

Il y a un coin unique au monde, il y a un coin unique en Tunisie, il y a un coin unique à Mahdia, où dorment des morts qui ont pieds dans l’eau. Il ne faut pas y toucher. Face à la mer qui les berce dans leur sommeil, tantôt houleuse et sauvage, d’autres fois tendre et suave, mais toujours d’une beauté à couper le souffle. Ils sont les rois du monde dans ce « Grand Ailleurs » qui les sépare du monde des vivants. Justement, à Borj-errass si peu de choses les séparent du monde des vivants. L’éternité peut-être. Mais pour le reste, dans la vieille cité fatimide, les enfants tapent toujours dans un ballon à côté du cimetière, les amoureux s’y rencontren­t en cachette pour échanger des confidence­s dans le « confession­nal » du coeur, et des vieilles dames, toutes ratatinées, mais le souvenir alerte, viennent s’y recueillir tous les jours, et à toutes heures du jour, un peu plus le jeudi, un peu plus le vendredi, pour y échanger ces nouvelles qu’on se passe entre voisines, sur les futures épousaille­s des filles, et sur la circoncisi­on des petits enfants. Le cimetière marin de Borj-errass à Mahdia est unique au monde. Unique ! Et c’est un lieu de vie, qui rappelle certes à la finitude de toutes choses, mais qui ne broie pas le coeur comme un papier qu’on froisse. Il est lieu de poésie, de toutes les poésies, et se prolonge jusqu’à Elhamra et ses rochers abrupts qui coupent la mer comme un saphir, mais qui ne la blessent pas. Escarpés et sauvages, ils servent de plongeoir à tous les visiteurs du coin, amoureux de ce « petit paradis » où se rencontren­t tous les courants marins pour un bain de mer, plus précieux qu’un diamant. Car la mer de Borj-errass vaut tous les diamants du monde qui pâlissent d’envie à sa vue. Une vue dégagée et sublime, à perte de vue, qu’il ne faut pas gâcher. Ce serait mortel pour le cimetière marin de Borj-errass… Non, il n’y a pas d’esplanade qui tienne, ni de promenade des Anglais, qui vaillent pareil sacrilège. Ce serait un gâchis monumental ! « Lella El Bahria » a posé ses limites. N’allez pas plus loin.

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