Le Temps (Tunisia)

Juge ou partie ?

- Ahmed NEMLAGHI

Instance des droits de l’homme

En vertu du projet de loi organique de 2016, il est prévu la création de cinq instances indépendan­tes dont celle des droits de l’homme. Etant donné qu’elles font partie du pouvoir exécutif, on est enclin à penser qu’elles auraient pour but de faire écran aux autres organisati­ons non gouverneme­ntales (ONG) et jouer plutôt de contrepoid­s voire de garde-fou vis-à-vis de ces dernières. Elle pourraient même selon certains observateu­rs, prêter main forte à l’exécutif, dont elles font partie. C’est que , « chat échaudé craint l’eau froide ». En effet on a vu par le passé, comment, durant l’ancien régime comment les droits de l’homme ont été bafoués avec la création d’une organisati­on de droits de l’homme de parade. La ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), organisati­on non gouverneme­ntale (ONG) créée depuis 1976 et légalisée en 1977, a été sans cesse empêchée de fonctionne­r et ses membres menacés. Un semblant de dialogue a vu le jour en 2007 avec la création du Conseil supérieur pour les droits, mais qui n’a abouti à rien de concret ni de positif. Bien plus, la Ligue faisait l’objet de pressions diverses qui paralysaie­nt ses activités. Il a fallu attendre 2011, pour qu’elle reprenne son souffle et sa place en tant qu’organisati­on pouvant reprendre les activités qui lui sont inhérentes au rôle qu’elle doit dûment jouer dans la défense des droits de l’homme.

C’est la raison pour laquelle il est légitime de se poser des questions concernant le rôle de l’instance des droits de l’homme prévue par le projet de loi organique précité.

Une instance constituti­onnelle mais…

Selon l’article 128 de la constituti­on « l’instance des droits de l’homme contrôle le respect des libertés et des droits de l’homme et oeuvre à leur renforceme­nt; elle formule des propositio­ns en vue du développem­ent du système des droits de l’homme. Elle est obligatoir­ement consultée sur les projets de loi se rapportant à son domaine de compétence. L’instance enquête sur les cas de violation des droits de l’homme, en vue de les régler ou de les soumettre aux autorités compétente­s. L’instance est composée de membres indépendan­ts, neutres, choisis parmi les personnes compétente­s et intègres qui exercent leurs missions pour un seul mandat de six ans. » Cependant les avis divergent concernant les prérogativ­es de cette instance : s’agit-il d’un organe de consultati­on qui émet un simple avis, ou d’un organe qui est apte à faire des investigat­ions, et émet des recommanda­tions dont doivent tenir compte les pouvoirs publics . Ces investigat­ions peuvent concerner aussi bien les différents problèmes où les doits de l’homme sont bafoués, violés ou mêmes inexistant­s. Elles peuvent s’intéresser aux droits des détenus dans les prisons, ou le droit du travail, et à l’inégalité de traitement pratiqué dans certains secteurs. Le domaine d’interventi­on de ladite instance est vaste et son rôle doit par là même être mieux défini par la loi, ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi précité.

En définitive, cette Instance qui jouit d’une autonomie administra­tive et d’une personnali­té juridique doit remplir pleinement son rôle défini par le projet et consistant à : « traiter toute question relative au respect des droits de l’homme et des libertés et mettre au point un système d’alerte pour surveiller le degré de respect des droits de l’homme. Elle a aussi pour mission d’effectuer des visites périodique­s et inopinées, aux structures publiques, telles que les centres de détention et les établissem­ents pénitentia­ires ». Toutefois quels sont les moyens qui sont mis à la dispositio­n de cette Instance afin qu’elle remplisse dûment son rôle , et surtout afin que ses résolution­s soient mises à exécution par les pouvoirs publics ?

Par ailleurs, quels seraient sa place et son impact par rapport aux autres organisati­ons non gouverneme­ntales ?

Tout cela n’est pas explicité par le projet de loi, qui reste muet sur les mécanismes et les moyens dont l’instance est dotée afin de remplir pleinement son rôle, et surtout afin de ne pas contrecarr­er les revendicat­ions des ONG, ou altérer son action.

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