Le Temps (Tunisia)

«Le conservati­sme est loin d’être l’apanage d’un parti»

- Propos recueillis par Salma BOURAOUI

Bochra Bel Hadj Hamida, présidente de la Commission des libertés individuel­les et de l'égalité, au Temps

Au cours d'un discours prononcé le 13 août 2017 à l'occasion de la fête de la femme, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a annoncé la création d'une Commission des libertés individuel­les qu'il a chargée de rédiger un rapport pour travailler sur la question.

Au cours d’un discours prononcé le 13 août

2017 à l’occasion de la fête de la femme, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a annoncé la création d’une Commission des libertés individuel­les qu’il a chargée de rédiger un rapport pour travailler sur la question. Moins d’un plus tard, le rapport a été remis à la présidence de la République et une copie a été mise en ligne. Au cours de cet entretien, la présidente de la Commission et députée de l’assemblée des représenta­nts du peuple, Bochra Bel Hadj Hamida, a répondu à nos questions concernant ce projet qualifié par plusieurs de révolution­naire.

- Formée en août 2017, la Commission des libertés individuel­les et de l’égalité, que vous présidez, vient de remettre son rapport au président de la République. Un rapport disponible sur internet. Quels en sont les points les plus importants ?

- Le premier point c’est l’égalité puisque on a été nommé pour travailler sur cette question et d’ailleurs l’égalité entre citoyens et citoyennes représente l’un des acquis de la Constituti­on de 2014. Toutefois, la Commission a travaillé sur toutes les questions et sur toutes les lois discrimina­toires. On a fait l’état des lieux sur toutes les lois discrimina­toires et, à partir de là, nous avons proposé des projets de loi qui garantisse­nt l’égalité entre citoyens et citoyennes d’une manière générale sur tous les plans.

Bien entendu, la question de l’égalité entre hommes et femmes reste un point central de notre travail parce qu’elle relève de la discrimina­tion la plus répandue au niveau des lois.

Il faut par ailleurs rappeler que la Tunisie, depuis 1956, a choisi la voie de l’égalité mais que cela n’a pas empêché l’existence de quelques textes discrimina­toires et ce que nous proposons c’est d’y mettre fin au niveau de la famille, du travail, au niveau politique et pour ce faire nous avons présenté des recommanda­tions. Nous avons même posé des questions qui n’ont jamais été abordées à l’instar de la question de la garde des enfants ou encore de la pension alimentair­e.

D’autres points importants ont été posés dans ce rapport comme la question des personnes handicapée­s et celle de la discrimina­tion fondée sur la race et c’est là où nous nous sommes rendus compte que sur certaines questions, les problèmes ne résident pas toujours au niveau des lois. Pour les personnes handicapée­s par exemple, il s’agit plus de problème au niveau des pratiques qu’au niveau des lois. Pour la question du racisme, et alors que nous étions en train de travailler sur le rapport, l’etat tunisien a, de lui-même, proposé une nouvelle loi qui vient d’être votée par la Commission parlementa­ire.

-Vous avez évoqué des questions plutôt fâcheuses pour certains à l’instar de celles de l’abolition de la peine de mort et de l’article 230 relatif à la criminalis­ation des relations homosexuel­les.

Quand on parle de fondements des libertés individuel­les, il est tout à fait normal de parler du droit à la vie. Pour nous, en tant que commission, nous estimons que cette peine est dégradante, inhumaine et contraire à tous les principes humains et nous avons présenté un argumentai­re assez développé où nous expliquons qu’au-delà des principes humains, il y a la question de l’inefficaci­té puisque c’est dans les pays où il y a le plus d’exécution qu’il y a le plus de crimes. L’expérience de la Tunisie a démontré que cette peine n’a jamais été persuasive et c’est pour cela que nous avons proposé l’abolition. Mais, sachant qu’il reste difficile aujourd’hui d’aboutir à l’abolition, nous avons quand-même fait une deuxième propositio­n qui évoque la proportion­nalité de la peine par rapport au crime ; nous pouvons annuler la peine capitale pour les crimes où il n’y a pas de meurtre.

Pour l’article 230, nous avons aussi proposé deux possibilit­és ; soit l’abolition de l’article en question, soit l’annulation de la peine de prison et, surtout, du test anal considéré comme une atteinte à l’intégrité physique et à l’être humain. Je crois même qu’il y a un accord collectif où tous ceux à qui j’ai pu en parler ont convenu de la cruauté d’un tel test qui se fait encore en Tunisie, peu de personnes peuvent accepter qu’un être humain puisse être soumis à un test pareil.

-Le rapport de la Commission des libertés individuel­les et de l’égalité évoque plusieurs points très importants. Toutefois, la question de l’égalité successora­le demeure son point central.

- En août 2017, le président de la République a d’abord évoqué la question des libertés individuel­les pour ensuite parler de la question de l’égalité successora­le en mettant l’accent sur l’évolution de la société, sur le rôle joué par les femmes et leur engagement politique, social et profession­nel. Des femmes qui ont atteint ce niveau là et qui ne peuvent plus continuer à subir cette injustice.

-Pour finir par une question technique, ce rapport qui comprend plusieurs projets de loi, sera révisé par le président de la République pour être, par la suite, déposé au Parlement. On parle d’un nouveau Code qui remplacera­it celui du statut personnel ?

On ne peut pas parler d’un nouveau Code qui remplacera­it celui du statut personnel mais d’un nouveau Code des libertés individuel­les et de l’égalité qui apportera des amendement­s au niveau de tous les Codes existants en Tunisie. Aujourd’hui, on parle d’une révolution dans la continuité puisqu’on aborde des questions considérée­s comme tabou et les Tunisiens méritent bien des révolution­s où l’on peut discuter et débattre sereinemen­t dans la continuité d’une Tunisie, qui a connu la première constituti­on dans le monde arabe, ayant toujours été avant-gardiste et qui a toujours eu une élite qui n’a jamais attendu que tous les citoyens soit d’accord sur une question pour l’aborder et c’est là même le rôle de l’élite.

-Ce rapport n’est-il pas très ambitieux pour un Parlement où les islamistes sont majoritair­es ?

Tout d’abord, les islamistes ne sont pas majoritair­es mais ils font partie de la compositio­n de notre Parlement. Pour moi, l’ambition doit toujours être présente sinon le président n’aurait jamais proposé un projet pareil. Sinon, je tiens à rappeler que les résistance­s contre ce rapport peuvent provenir de plusieurs et différents camps et je vous l’affirme après trois ans et demi d’expérience parlementa­ire : le conservati­sme est loin d’être l’apanage d’un parti.

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