Le Temps (Tunisia)

Fin d'époque au G7

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L’image a fait le tour du monde en 24 heures. Prise à La Malbaie, elle montre un Donald Trump, assis seul, bras croisés, d’un côté d’une petite table de conférence. Il regarde d’un air goguenard (ou renfrogné) ses homologues, les dirigeants européens qui l’entourent debout, l’air inquiet (ou exaspéré, ou implorant).

On voit en particulie­r Angela Merkel, les deux mains sur la table, l’air de lui dire « Mais vas-tu entendre raison à la fin ??? » Derrière, le premier ministre japonais a le regard un peu vide, peut-être désespéré.

Cette image exprime le changement d’époque en cours dans les relations internatio­nales. Et nommément, l’explosion du concept de « bloc occidental ».

On essaie désespérém­ent de maintenir un ordre existant, mais cet ordre est dépassé. L’agent décisif du changement est ici un « grand dynamiteur » nommé Donald Trump.

Dans son avion qui le conduisait en Singapour, il a décidé d’annuler l’accord précédemme­nt donné au communiqué commun des Sept, tout en insultant celui qui l’avait accueilli plus tôt, le premier ministre canadien jugé « malhonnête et faible ». Heureuseme­nt pour lui, M. Trump était déjà tourné, tout enthousias­te, vers sa rencontre autrement plus intéressan­te de mardi, à Singapour, avec un homme qui, lui, est « fort et honorable » : Kim Jong-un.

Qui se ressemble s’assemble. Dans cet épisode, plus ostensible­ment que jamais, le président a boudé les alliés traditionn­els des États-unis, leur préférant des hommes comme Kim, Xi, Poutine, le prince Salman… félicités, admirés, encensés par un personnage qui semble irrésistib­lement attiré par les régimes autoritair­es.

Mais l’inconduite du malotru déséquilib­ré qui dirige la Maisonblan­che n’est pas qu’une aberration passagère, dont les causes seraient uniquement psychologi­ques… et les effets, réversible­s, une fois le personnage disparu du paysage.

Non, car Trump, dans ses excès, sa brutalité et sa vulgarité, est aussi un révélateur et un accélérate­ur de tendances authentiqu­es qui lui préexistai­ent dans les relations internatio­nales en ce début de XXIE siècle. Des tendances ne dépendant pas que des décisions subjective­s et ponctuelle­s de tel ou tel leader. Le G7, par exemple, est une organisati­on du XXE siècle, fatiguée, peut-être en fin de course, qui n’a plus la substance, l’utilité et la force stratégiqu­e qu’elle a pu avoir à une autre époque. En 1975, et même en 1990, le G7 exprimait clairement une mission, une cohésion, une domination de l’occident… qui n’existent plus aujourd’hui.

D’autres forums multilatér­aux (le G20) ont aujourd’hui plus de sens et de représenta­tivité. Mais il y a encore autre chose : c’est le multilatér­alisme lui-même qui est remis en cause. Par Trump bien sûr, qui ne jure que par les rapports de force bilatéraux, mais aussi par beaucoup d’autres acteurs étatiques, qui regardent avec méfiance les « grands machins » comme l’union européenne.

Si le feuilleton de La Malbaie a fait voir ce que les commentate­urs ont appelé un « G6 + 1 » (pour évoquer l’affronteme­nt qui s’y est manifestem­ent déroulé), on simplifier­ait grossièrem­ent en prétendant que cette expression résume tout l’événement, ou toutes les tendances en présence. Par exemple, au sein des quatre pays européens représenté­s au G7, il n’y a pas unanimité lorsque vient le moment de statuer sur la « question russe ». Le nouveau gouverneme­nt italien est hostile aux sanctions contre Moscou (appliquées à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014). Son homme fort, représenta­nt de la Ligue d’extrême droite, le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, est un grand ami du Kremlin, à l’instar de la Française Marine Le Pen. Le Japon de Shinzo Abe, pour sa part, reste plus enclin à se montrer conciliant avec les États-unis de Donald Trump que, par exemple, l’allemande Angela Merkel. En somme, on n’a pas affaire à un simple cas d’attaque contre le « bloc démocratiq­ue », qui se défendrait de façon ponctuelle et unifiée contre un « cancer Trump » qu’il s’agirait de vaincre.

Non, on voit plutôt à l’oeuvre un certain « virus de la division », sur fond de décomposit­ion des piliers de l’ordre internatio­nal de la fin du XXE siècle. Trump en est l’acteur principal, mais non unique, et il n’a pas écrit le scénario... ne serait-ce que parce qu’il ne sait pas écrire.

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