« Hizam » À la recherche de son centre d’énergie
Long métrage documentaire sur la danse orientale : de Hamid Benamra, sorti en 2016, 86 mn, Algérie/france
Quand se recentrer devient un principe, une ligne de conduite, ceci prend la dimension d’une valeur et d’une éthique, se plaçant par delà la pratique de la danse elle-même. Durant les seize ans
Voilà un homme qui comprend les femmes, qui sait les regarder sans complexe, sans tabou et les filmer avec une intelligence sensible. Hamid Benamra est l’un des rares qui n’a pas peur de la femme. Quand je l’ai questionné sur sa mère il m’a assuré qu’il était vrai que celle-ci avait beaucoup de mérite, autant dire que l’éducation compte dans la construction de la mentalité du futur adulte.
D’emblée, dans ce documentaire de fiction, Benamra filme Assia Guemra qui regagne sa loge, s’assoit, s’essouffle, essuie et sèche la sueur de son visage. Une caméra qui montre le résultat du labeur, puis petit à petit les séquences et les plans remontent les étapes du faire de la danse dite orientale. Assia crée des chorégraphies et les interprète avec les membres de son ballet qu’elle aide à se connaître à travers leur corps.
Le ventre et ce qui le ceinture à partir du nombril est souvent laissé nu chez les danseuses. La danse orientale considère cette partie autour du nombril comme un lieu fondamental du corps où se concentre - et à partir duquel émane notre énergie. Et parce que sans conteste c’est la marque de notre présence au monde, notre présence à nous-mêmes. Par conséquent et à tout moment l’action de se recentrer physiquement et psychiquement reste un acte capital et devient une force, une attitude à adopter dans la vie. Le légendaire peintre du siècle dernier Pablo Picasso ne dit-il pas qu’on a un soleil dans le ventre ?
Mais pour le réalisateur Hamid Benamra le but de son film ne s’arrête pas là, ceci n’est qu’un tremplin pour rendre hommage à ce lieu de l’origine de la vie qu’est le ventre et par là à la femme donneuse de vie et généreuse en tout point de vue, ainsi comme il l’explique dans une interview télévisée. Ce film est fait en reconnaissance à la femme qui lui a tout appris, lui a donné sans compter qu’elle soit mère, soeur, épouse. D’ailleurs à plusieurs reprises on voit dans le film une femme enceinte qui marche dans l’eau ou dans l’air le ventre presque entièrement nu. Au niveau du tournage, point de voyeurisme, ni de fausse pudeur, se plaçant parfois devant un miroir, le réalisateur filme la danseuse en se filmant. Une caméra qui réfléchit - à comprendre dans son double sens -. Une oeuvre construite essentiellement à l’aide d’images prises avec une courte focale donc avec de gros plans et de très courts gros plans si furtifs, qu’on est projeté dans le mouvement qui se balance dans le sens de la largeur formant un huit couché, ce signe de l’infini. Ventre, bassin et bas des reins sont en état de déhanchement, mains, avantbras et bras exécutent des arabesques, jambes et pieds réalisent des pas et des enjambées rythmées. De même qu’on est bercé doublement quand vient s’ajouter la voix lyrique et suave à souhait d’abdelhalim Hafedh. On est pris aussi dans l’élan de la voix de Cheikh El Afrit : « hizi ehzamek… » et d’autres chanteurs de la belle époque; cela tangue, se balance, se déhanche et les pas battent précipitamment.
Les images et les chansons sont parsemées de commentaires des danseuses, de séquences d’art martial où qu’il filmait la danse orientale d’assia Guemra, c’est de cette philosophie de vie que la précieuse caméra du réalisateur H Benamra - qui cadre depuis 1978 - nous rend compte. Assia et l’auteur du film se rencontrent sous la houlette d’un maître de Karaté. Tout dans le film se fait naturellement, en harmonie, en résonance, avec fluidité, sensualité et raffinement. Tout paraît homogène, même si parfois le rythme accéléré du montage des images ne laisse pas de répit au spectateur, ce sont des détails captés, des instants, des expressions de visages saisis rapidement, avec le hors champ en maître. Justement cette dimension du film fait entrer plus fort que lui dans la danse celui qui regarde le film. Les textures soyeuses des costumes, les couleurs chaudes et chatoyantes des étoffes concourent à rendre le spectacle si vivant, si émouvant ! La grâce des silhouettes féminines en mouvement incessant, en plus des sonorités musicales, font que l’émerveillement atteint son comble et le spectateur se trouve transporté par la succession soutenue des plans-séquences avec caméra portée à bras le corps ! La tension ne perdure pas, la cadence se calme et l’alternance entre action et expression verbale d’assia et de ses danseuses rythme ainsi la respiration
tout en nuances du film. Filmé en plongée verticale et en plan rapproché, comme un narrateur, le fameux réalisateur Syrien Mohamad Malas - étendu sur un divan comme en psychanalyse se confesse. Un cinéaste qui regarde la danse et se trouve face à l’objectifmiroir de la caméra, parle de sa mère qu’il associe à la terre, évoque l’absence et la difficulté d’aimer… Malas incarne pour Benamra une part de son cinéma, celui-là même qu’il défend et dans lequel il donne le ton au féminin présent en chaque être humain. Tous les deux sont attrapés dans le miroir du cinéma qui les raconte, un cinéma serein, libre et respectueux selon les termes de Hamid Benamra. Ce dernier a commencé à filmer Mohamad Malas la première fois aux Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) en 1992 et continue à le faire dans son prochain film « Timelife ». En revenant au film « Hizam », il y a un point de vue subtil de valorisation du corps et du nu féminin, éloigné du folklore, de l’exotisme orientalisant et du pornographique. À travers la monstration du ventre, l’expression du visage et l’expression verbale des danseuses, le film démontre que la femme n’est pas que procréatrice dans la vie. La femme peut être une artiste authentique avec son corps et plus particulièrement avec la partie centrale du corps qui devient la base du spectacle et la source de plaisir artistique. En revanche, Hamid Benamra prouve une fois de plus que la femme ne peut pas et ne doit pas demeurer assujettie à la fonction biologique de l’enfantement et celle de statut de conjointe et de mère; ainsi est-elle sujet à part entière.
Un autre point de vue subtil atteste de la richesse de ce long métrage marquant et bouleversant de vérité: ce plaisir visuel esthétique offert permet de réfléchir, parce d’une part il nous apprend bien des choses sur nous et d’autre part il est pensé pour donner confiance, équilibre et un meilleur être aux personnes en quête d’elles-mêmes. D’où la dimension universelle de ce film fait poème.
Amel Bo
Universitaire et artiste visuelle