Le Temps (Tunisia)

Les enfants comme hameçons

- Rym BENAROUS

«Je suis venue au monde, il y a une dizaine d'années, dans un pays qui a les meilleures lois au monde en matière de protection de l'enfance... du moins sur papier. Dès le premier jour, tout le monde avait su que j'étais différente. J'avais les yeux plus grands et plus bridés que les autres bébés, mais cela ne faisait en aucun cas de moi un monstre. On dit que je souffre de trisomie 21, une anomalie congénital­e mais ce n'est pas de ma faute si je suis malade. Je ne comprends donc pas les regards apitoyés, dégoûtés ou moqueurs qui me fixent à chaque fois que j'apparais quelque part.

«Je suis venue au monde, il y a une dizaine d'années, dans un pays qui a les meilleures lois au monde en matière de protection de l'enfance... du moins sur papier. Dès le premier jour, tout le monde avait su que j'étais différente. J'avais les yeux plus grands et plus bridés que les autres bébés, mais cela ne faisait en aucun cas de moi un monstre. On dit que je souffre de trisomie 21, une anomalie congénital­e mais ce n'est pas de ma faute si je suis malade. Je ne comprends donc pas les regards apitoyés, dégoûtés ou moqueurs qui me fixent à chaque fois que j'apparais quelque part.

Pourtant, je n'ai jamais rien demandé à personne, me contentant d'afficher un éternel sourire sur mes lèvres d'enfant différent. Mon sourire je l'affiche même quand cette femme qui n'est pas ma mère me traîne chaque jour, depuis un an, du côté d'el Menzah 6 pour mendier.

Qu'il fasse beau oui que le soleil tape fort, qu'il pleuve ou qu'il vente, elle me transporte comme du bétail jusqu'à ce croisement rempli de voitures et m'oblige à la suivre me serrant très fort la main jusqu'à me faire mal. Mais ce qui me fait le plus mal, ce sont les regards des automobili­stes et des passants qui transperce­nt mon coeur de petite fille innocente.

Certains me regardent de haut et d'autres avec pitié. Pour les autres je suis invisible. Les autres sont ceux à qui l'etat a confié la lourde et délicate tache de nous protéger nous, les enfants. Ceux qui travaillen­t dans des bureaux cossus et se déplacent en voitures de luxe alors que moi je suis obligée de parcourir, chaque jour, des dizaines de kilomètres à pied pour me retrouver à mendier au beau milieu de la route.

Pour eux, je suis invisible tout comme le sont des centaines d'autres enfants qui sont obligés de travailler au lieu de profiter de leur enfance. Comme moi, des dizaines d'enfants passent leurs journées à quémander l'aumône.

Le pire? C'est quand on nous loue, comme de la marchandis­e, à 10 et 15 DT par jour. Une poignée de dinars, voici ce qu'on vaut, alors qu'ailleurs dans ce vaste monde, les enfants de notre âge sont choyés, respectés, dorlotés. Sourire aux lèvres mais le regard vide, hagard, je passe mes journées à attendre que la nuit tombe pour pouvoir enfin reposer mon petit corps déjà las. Pourtant, je n'ai rien demandé à personne. Je rêve seulement de pouvoir profiter de mon enfance».

En Tunisie, selon l'instance nationale de lutte contre la traite des personnes, près de 300 cas de traite d'enfants auraient été recensés. Ce chiffre reflètet-il toutefois la vérité qu'on sait, tous, plus cruelle? Le travail des enfants de moins de 16 ans est certes interdit par la loi mais il continue d'exister. La source du problème? Les problèmes socio-économique­s et les mentalités qui tolèrent qu'un enfant puisse exercer un métier pénible dans l'illégalité. A qui la faute? Aux parents qui acceptent de faire travailler leur enfant, aux employeurs qui n'ont que faire du respect des lois et des Droits de l'enfant et enfin à l'etat qui s'est pris très en retard pour lutter contre ce fléau qui gangrène certaines régions de la Tunisie et condamne de jeunes enfants à l'esclavage moderne.

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