Le Temps (Tunisia)

La fiction nigériane à l'honneur

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Rentrée littéraire 2018

La littératur­e nigériane a le vent en poupe avec l'arrivée sur le devant de la scène d'une nouvelle génération de romanciers qui ont pris le relais des Achebe et des Soyinka. Traduits de l'anglais, les trois romans qui paraissent en cette rentrée littéraire 2018 témoignent de la puissance et l'originalit­é de la fiction nigériane. Méconnus en France, leurs auteurs sont lus et appréciés dans le monde anglophone, comme en attestent les critiques extrêmemen­t élogieuses qui leur sont consacrées dans la presse internatio­nale.

Le Nigeria est un géant littéraire. Après la génération du trio Amos Tutuola, Chinua Achebe et Wole Soyinka qui sont considérés comme des fondateurs de la littératur­e anglophone africaine, une nouvelle génération a pris le relais dont Chimamanda Adichie est sans doute le visage le plus connu.

Les trois romans nigérians qui paraissent en traduction française à l'occasion de cette rentrée littéraire d'automne témoignent du dynamisme des lettres nigérianes, de leurs richesses thématique­s et de leurs capacités novatrices également. Leurs auteurs s’appellent Chinelo Okaparanta, Abubakar Adam Ibrahim et Teju Cole. Les deux premiers sont des primo-romanciers et le dernier s’est fait connaître en publiant un premier roman qui se passait à New York. Son nouveau roman Chaque jour appartient au voleur (1) paraît en traduction française aux éditions Zoé.

Dantesque et attendriss­ant

Pas tout à fait un roman, ce livre raconte le récit de retour à Lagos de l’auteur-narrateur. Il est à mi-chemin, entre roman et récit de voyage. Ecrivain, historien de l'art et photograph­e, Teju Cole est né en 1975 aux Etats-unis, mais a grandi à Lagos, ville dont sa famille est originaire. Le futur écrivain est revenu vivre aux Etats-unis à l'âge de 17 ans. En 2014, il a publié son premier roman très réussi, Open City, consacré à la ville de New York.

Ecrivian, historien de l'art et

photograph­e, Teju Cole est né aux Etats-unis, mais a grandi au Nigeria, d'où ses parent sont originaire­s. © Editions Zoë Le livre rend compte de manière impression­niste des multiples visages de la mégalopole américaine redessinés dans le miroir des propres obsessions de l'auteur-narrateur, victime d'une rupture amoureuse. Celuici marche à travers les rues et les sites historique­s de la ville pour oublier son chagrin d'amour. On ne saura pas si la stratégie fut efficace, le livre a fait la réputation de Cole. Sa perspicaci­té du regard et son économie stylistiqu­e lui ont valu une presse dithyrambi­que.

Dans son nouveau roman, Teju Cole raconte ses pérégrinat­ions à travers Lagos, s’attardant sur ses dysfonctio­nnements et ses scènes de vie qui rappellent qu’on est dans la plus grande métropole africaine, à la fois dantesque et attendriss­ante. Le titre du livre provient d’un proverbe yorouba : « Chaque jour appartient au voleur, mais un jour au propriétai­re ». Il y a dans ce roman quelque chose de la démarche postcoloni­ale de réappropri­ation par le colonisé de son territoire perdu, raconté par Aimé Césaire dans son célèbre Cahier d’un retour au pays natal.

Amour, sexe et provocatio­n

Il y a du « Lady Chatterley's Lover» dans ce premier roman sous la plume d'un jeune Nigérian mettant en scène une union au parfum de scandale entre un jeune dealer et une veuve musulmane de trente ans son aînée. © Ed. de l'observatoi­re Couteau à la main, un jeune voleur entre par effraction dans une maison bourgeoise, quelque part dans le nord du Nigeria. Il tombe nez à nez avec Binta, veuve musulmane, cinquanten­aire. Malgré les circonstan­ces singulière­s de leur rencontre, entre la veuve et le jeune dealer

de 20 ans s’éclot une passion amoureuse au parfum de scandale. Cette histoire à la fois provocatri­ce et tragique qui défie les interdits et les tabous d’une société patriarcal­e où la sexualité féminine est contrôlé à coups de sourates et voiles, est au coeur de La saison des fleurs de flamme, que publient les Editions de l'observatoi­re. C’est le premier roman d’abubakar Adam Ibrahim, écrivain et journalist­e à Abuja .

Le troisième grand roman nigérian de la rentrée Sous les branches de l’udala de Chinelo Okparanta est également un premier roman. Il raconte, lui aussi, une histoire d’amour-passion, mais entre deux filles, sur fond de guerre et famine. Or le combat pour l’indépendan­ce du Biafra n’est pas la seule guerre que livrent les protagonis­tes de ce roman à l’écriture faussement naïve.

« Tigritude »

Les trois romanciers ont en conmmun leur, mais aussi leur appartenan­ce à une grande tradition littéraire qui s’est notamment caractéris­ée par sa capacité à interpeler les idéologies dominantes. Personne n'a oublié que c’est des romanciers nigérians qu’était venue la principale contestati­on de la négritude si chère à Senghor. « Le tigre n'a nul besoin de proclamer sa tigritude, il saute sur sa proie », déclarait Wole Soyinka dans les années 1960, tançant le poète-président du Sénégal.

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